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Quelques considérations économiques – 1/12

 

Tout le monde veut vivre aux dépens de l’État, et on oublie que l’État vit aux dépens de tout le monde. Frédéric Bastiat

 

Frédéric Bastiat (1801-1850)

 

Cette suite d’articles m’a été inspirée par l’actualité. J’ai choisi de prendre des notes d’une manière fragmentée afin d’accompagner mes humeurs et les analyses (fragmentaires) que m’inspire l’actualité en pleine pandémie. La lecture d’ouvrages d’économie générale et de la presse anglo-saxonne, francophone, hispanophone et depuis quelque temps lusophone, relative aux problèmes économiques me passionne depuis mes années de lycée, une passion qui m’a été transmise par un professeur d’économie, Monsieur Cassis, un Juif séfarade, qui voulait faire de nous des adultes  capables de lire un journal ou une revue d’économie générale avec aisance, capables de comprendre les mécanismes de l’économie, bref, de nous doter d’une culture économique générale qui nous aide dans la vie sociale. Ainsi nous fit-il résumer des grands classiques de l’économie et je me pris au jeu au point de passer des nuits entières à lire, crayon en main, des livres parmi lesquels : « Le nouvel État industriel » de John Kenneth Galbraith, « Le Tiers-Monde dans l’impasse » de Paul Bairoch, « Le grand espoir du XXe siècle » de Jean Fourastié, plusieurs ouvrages de François Perroux, « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » d’Adam Smith, etc., etc.

Je revois cet homme plutôt petit, mince, à la démarche rapide, toujours très élégant, costume trois pièces et cravate, attaché-case, lunettes de myope, front dégarni et cheveux noirs légèrement frisés. Il me communiqua avec modestie sa passion pour l’économie, l’histoire économique. Je me souviens d’un passionnant trimestre dédié à la Révolution industrielle. Et comme l’U.R.S.S. était encore un empire, nous étudiâmes l’économie soviétique, sans oublier le système d’autogestion de la Yougoslavie de Tito. Il était discret sur ses opinions politiques, mais je le devinai libéral. Ses propositions bibliographiques étaient éclectiques mais toujours de haute qualité. Il aimait la connaissance et cherchait à nous en donner le goût. J’ai connu l’ennui au lycée, mais je me souviens de quelques professeurs avec émotion, et il est l’un d’eux. Je n’avais guère pensé à lui depuis quelque temps ; mais à présent, je constate que j’ai un souvenir plutôt précis de cet homme qui au cours des trois années qui précédèrent le baccalauréat (le baccalauréat économique et social ou bac ES, alors baccalauréat série B) aviva mes curiosités. Qu’il en soit remercié. Je ne sais s’il est encore de ce monde. Je n’ai pu retrouver son nom sur Internet. Mais qu’importe. Cette suite de modestes articles lui est dédiée.

 

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Il y a longtemps que je considère l’État français comme particulièrement dangereux. J’en parle à des proches lorsque l’occasion se présente car j’ai par moments le sentiment de « planer » comme on dit. Je reconnais que ma situation ne concerne que moi, qu’elle n’est pas représentative d’une moyenne, la moyenne étant à ce sujet aussi imprécise qu’un banc de fumée à moins qu’elle ne soit précisée par un institut de sondage ou une administration…

Je me méfie de l’État français depuis longtemps. Je le vois tantôt comme une goule tantôt comme un pachyderme, plus souvent comme un croisement des deux. Et je crains que la crise du Covid-19 n’augmente ces deux caractéristiques. Il s’est mortellement endetté mais qu’importe ! Il profite des taux faibles et tutti quanti. Le citoyen qui n’est pas nourri directement ou indirectement par l’appareil d’État a tout à redouter de cette chose qui n’est rien qu’un énorme appareil, l’État français plus que les autres – et je m’en tiens à l’Europe. Les prétentions de cette chose qui vit depuis des décennies dans l’endettement permanent m’affligent. L’État est le plus froid des monstres froids, et je le dis sans chercher à parodier Zarathoustra ; mais à présent, et particulièrement en France, il a quelque chose de gluant : il se mêle de tout. Par ses puissants appareils de propagande, il est devenu bien plus oppressant que ces membres de l’Église qui prêchaient du haut de leur chaire ; au moins avaient-ils Dieu au-dessus d’eux – relation de transcendance – tandis que l’État est son propre horizon : il n’est rien qui ne soit lui – il s’envisage comme une immanence.

L’État français m’épuise et me déprime depuis longtemps, depuis trois décennies. Avec un tel État on va du parasitage à l’extorsion. Et pour l’heure je mets en veille mon inclinaison anarcho-capitaliste (l’anarcho-capitalisme si riche en nuances) en me contentant de prendre note du fait que cet État s’est converti au fil des décennies en une force d’occupation qu’il faudra réduire progressivement dans l’espoir de l’expulser enfin.

Et cet État gavé mais toujours victime de sa gloutonnerie fait travailler des régiments de fonctionnaires pour concevoir et lever de nouveaux impôts, non seulement en France mais en Europe, afin de garantir sa survie, soit satisfaire sa gloutonnerie. L’État est non seulement obèse, il est ivre, ivre de lui-même, ce qui est bien la pire des ivresses…

S’il est un domaine où la France sait faire preuve de créativité, c’est la fiscalité. Il lui arrive même de donner des idées à ses collègues européens. Emmanuel Macron qui s’est permis de distribuer bons et mauvais points à maints pays, et pas uniquement à des pays d’Europe, a fait de la mutualisation de la dette son cheval de bataille. Je suis avec inquiétude cette affaire en espérant qu’elle n’aboutira pas. Je compte sur Madame Merkel pour repousser ce plan minable derrière lequel se presse notamment Pedro Sánchez, un politicard qui pour parvenir à gouverner s’est allié à un individu dont les sympathies me restent suspectes. Pedro Sánchez va encore plus fort qu’Emmanuel Macron puisqu’il espère la création d’un fonds de mille cinq cents milliards d’euros alimenté par une dette dite perpétuelle (durée indéfinie) afin d’aider les pays les plus en difficultés, parmi lesquels la France et l’Espagne. Cette manœuvre me fait honte.

 

Émile Durkheim (1858-1917)

 

Pour qui s’intéresse au socialisme (ce mot terriblement fourre-tout), je conseille la lecture d’un livre d’Émile Durkheim, « Le socialisme », qui précise ce mot et, ainsi, lui (re)donne une forme. Avant d’être un livre (publié en 1926), « Le socialisme » fut un cours. Dans sa définition du socialisme, à ma connaissance la plus aiguë des définitions, Émile Durkheim expose tout ce qui le distingue du communisme. Le socialisme, c’est d’abord Saint-Simon à propos duquel il a écrit des pages magistrales. Dans la « Dixième leçon », il écrit : « La meilleure preuve, d’ailleurs, que le communisme ne se confond pas avec le socialisme, c’est que s’il s’y retrouve, c’est sous des formes tout à fait nouvelles. D’après le communisme, le seul moyen de prévenir le mal social était de rendre toutes les conditions médiocres. Pour prévenir l’hostilité des riches et des pauvres, il fallait supprimer les riches ; il fallait apprendre aux hommes à mépriser le bien-être matériel, à se contenter du strict nécessaire. C’est en un tout autre sens que Saint-Simon, et à sa suite le socialisme, cherche à édifier une société nouvelle. C’est en supprimant les pauvres qu’il entend rapprocher les deux classes. Bien loin de voir dans le bien-être temporel une quantité négligeable, il en fait la seule fin désirable, et, par suite, la seule manière d’asseoir la paix sociale c’est de produire le plus de richesses possibles pour satisfaire le plus d’appétits possible, le plus complètement possible ». Il faut lire et relire ce livre ; il nous aide à régler nos instruments de vision trop souvent détraqués par les médias de masse. Je ne m’en tiendrai pas pour autant au socialisme.

 

Dommage que le grand Frédéric Bastiat ne soit pas plus étudié dans son pays, la France. Aux États-Unis, on lui consacre des thèses monumentales. Il est vrai que la France préfère la pensée économique socialiste (au sens générique du mot, moins précis donc que la définition qu’en donne Émile Durkheim) à la pensée libérale qu’elle considère volontiers comme une abomination. « Libéralisme » (économique) est même devenu une injure qui fait à présent parti du vocabulaire courant dans l’Hexagone. Dommage ! « Harmonies économiques » de Frédéric Bastiat est un livre magistral et, dirais-je, rafraîchissant. Il repose de ces eaux usées dans lesquelles ils sont si nombreux à barboter. Ce livre qui constitue l’aboutissement de son œuvre pousse de côté, et plus de quinze ans avant la parution de « Das Kapital » de Karl Marx, les doctrines socialistes et les erreurs de l’économie politique libérale classique, fondatrices du marxisme.

Frédéric Bastiat écrit au chapitre IV, « Échanges » : « Fatales illusions qui naissent de l’échange. L’échange, c’est la société. Par conséquent, la vitalité économique c’est la vue complète, et l’erreur économique c’est la vue partielle de l’échange ». Il serait facile d’isoler certains passages (comme celui que je viens de rapporter) et d’en faire un recueil d’aphorismes ; car il y a bien chez Frédéric Bastiat une manière de penser et un style qui le rapprochent des grands moralistes français du XVIIIe siècle. Ses propos sur l’échange sont une dénonciation aussi polie qu’implacable du système élaboré par Jean-Jacques Rousseau « qui a exercé et exerce encore une si grande influence sur les opinions et sur les faits », un système qui « repose tout entier sur cette hypothèse qu’un jour les hommes, pour leur malheur, convinrent d’abandonner l’innocent état de nature pour l’orageux état de société ». Or, nous dit Frédéric Bastiat, si les hommes vivaient dans un complet isolement les uns des autres, il n’y aurait pas de société ; mieux encore, il n’y aurait même pas d’individu car « pour l’homme, l’isolement, c’est la mort », ce qui amène la conclusion suivante : si l’homme ne peut vivre hors de la société, « c’est que son état de nature c’est l’état social ». Le chapitre « Échanges » s’ouvre sur cette remarque, un aphorisme à sa manière : « L’échange, c’est l’économie politique, c’est la société tout entière ; car il est impossible de concevoir la société sans échange ni l’échange sans société ».

J’en profite pour ouvrir une parenthèse. Jean-Jacques Rousseau m’irrite bien souvent – et je me reconnais avec lui une certaine communauté de tempérament. Ainsi ai-je lu avec délice ses écrits à caractère autobiographique, à commencer par « Les Confessions » ; mais s’il me séduit sentimentalement, il ne me convient pas intellectuellement. Je relève ici et là des hypothèses foutraques sur lesquelles lui et ses admirateurs, si nombreux, ont érigé des édifices de croyances invraisemblables. Jean-Jacques Rousseau est, l’air de rien, l’un des penseurs qui ont le plus influé sur les individus et les sociétés, une influence bien plus discrète mais probablement bien plus profonde – et durable – que celle de Karl Marx. C’est que Jean-Jacques Rousseau est un théoricien qui enrobe ses théories de sentiments, non par calcul mais par tempérament, tout simplement. Rien de tel avec Karl Marx dont les théories sont froides comme les rapports d’un médecin légiste.

Parmi les hypothèses bancales (mais c’est l’une des plus néfastes) de Jean-Jacques Rousseau, celle qui oppose état de nature / état social, une opposition qui aura des conséquences politiques et morales considérables avec la prééminence donnée à ce premier état.

Frédéric Bastiat réhabilite le capital dans le chapitre VII (« Capital »), le capital auquel on attribue communément, et en France plus particulièrement, « l’égoïsme, la dureté, le machiavélisme dans le cœur de ceux qui y aspirent ou le possèdent », un jugement qui procède de la confusion et qui augmente la confusion. Le travail en France, pays pourtant riche en talents, ne mène pas à grand-chose puisqu’il faut toujours partager avec le fisc, et dans des proportions décourageantes. L’État se mêle de tout et sa gloutonnerie est telle qu’il complète ses repas par la nécrophagie.

Le capital est conspué en France et l’État s’affaire « à le soutirer pas la force et par la ruse à ceux qui l’ont créé ». La France est championne mondiale en matière de fiscalité, ce qui explique en partie la grande fatigue qui prend ce pays pourtant riche en talents et magnifiquement doté par la nature. La France dépense des trésors d’imagination pour alimenter le trésor (dit) public. Et le pire est qu’elle finit par donner des idées aux autres. Mais cette imagination dédiée à la « féerie fiscale » accable les énergies, éreinte le pays. L’impôt multiplie ses figures pour chaparder. Des armées de fonctionnaires et de responsables politiques (toutes étiquettes politiques confondues) échafaudent des plans pour nourrir la bête : l’État. Cette entreprise de vol institutionnalisée n’émeut presque personne car l’association capitalégoïsme est ancrée et bien ancrée. Ainsi, dans ce pays abruti par l’impôt, le seul capital qui ne soit pas égoïste est celui qui a été prélevé – volé – par l’impôt. Par l’impôt le capital devient moral, comme par enchantement.

Lorsqu’il est question du capital, nous dit Frédéric Bastiat, on pense beaucoup plus à sa soustraction (par l’impôt ou autres formes de rapines institutionnalisées) qu’à sa formation qui nécessite généralement nombre de qualités qu’il attribue à l’activité intelligente, à la prévoyance et la frugalité. On comprend que, considérant la disposition d’esprit générale en France, Frédéric Bastiat soit boudé lorsqu’il n’est pas conspué, lui qui affirme que « s’il y a de la sociabilité morale dans la formation du capital, il n’y en a pas moins dans son action. »

Olivier Ypsilantis

4 thoughts on “Quelques considérations économiques – 1/12”

  1. chroniquessansraison

    Monsieur est-il vraiment nécessaire de toujours préciser qu’un tel est Juif, ou Juif Sépharade, comme vous le dites pour Monsieur Cassis ? Ça ne rajoute rien au texte ni aux qualités de ce Monsieur. Si c’est important de le préciser dites tout simplement que ce Monsieur est Français (si il l’est) de religion juive. Mais dans le reste de votre texte il faudra aussi que vous précisiez la religion des autres nommés. Tels que Monsieur Durkeim, Monsieur Bastiat, Monsieur Rousseau, ou encore Monsieur Marx. Cette propension qu’ont beaucoup de personnes de montrer du doigt la religion Juive est parfaitement déplaisante pour ceux qui le sont comme pour ceux qui ne le sont pas.

    1. Lorsque j’écris que Monsieur Cassis (il me revient que son nom s’écrivait peut-être Kassis) était juif c’est tout simplement parce que je n’ai pas à le cacher. Ce point fait partie de mes souvenirs se rattachant à cet homme. Et comme il n’y a pas de honte à être juif, je ne vois pas pourquoi je tairais ce souvenir. Je vous trouve bien compliqué. Par ailleurs, je ne « montre pas du doigt la religion juive » (votre expression est bien ambiguë) et ne me suis jamais préoccupé de savoir si ce professeur était pratiquant ou non. J’aurais dû préciser qu’il était libanais et qu’au Liban (comme en Inde), on ne se définit pas que par la nationalité libanaise. J’espère que vous trouverez le sommeil.

  2. Merci cher Olivier pour cette belle dédicace à ton professeur
    que tu évoques avec émotion,
    Les bons professeurs nous marquent pour la vie.
    Amitiés
    Pierre
    PS et m… aux grincheux!

    1. Cher Pierre,
      Je constate que tu as publié des articles à un rythme rapide ces derniers jours. Je vais les lire ce soir. Les bons professeurs nous marquent pour la vie, c’est vrai. Hasta pronto, amigo. Olivier.

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