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En lisant « Ariel Sharon » de Luc Rosenzweig – 9/9

 

Il s’agit à présent de rétablir la sécurité : Shimon Peres (il a été nommé ministre des Affaires étrangères) est autorisé à maintenir le contact avec Yasser Arafat tandis qu’Ariel Sharon s’occupe du volet militaire. Deux missions américaines sont envoyées en Israël ; elles se soldent par un échec. Ariel Sharon est convaincu (et l’avenir lui donnera raison) que Yasser Arafat n’a ni la volonté ni le pouvoir d’imposer une trêve aux diverses organisations palestiniennes. Nuit du 1er au 2 juin 2001, un attentat particulièrement meurtrier frappe Tel-Aviv. Joshka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères, se rend sur place et constate le carnage. Cet homme passé dans sa jeunesse par les camps d’entraînement palestiniens va devenir l’un des plus attentifs interlocuteurs d’Ariel Sharon et son intermédiaire dans la diplomatie européenne. Il est pleinement convaincu du rôle néfaste de Yasser Arafat. Jacques Chirac quant à lui, dans son confort élyséen, va faire la leçon à son hôte Ariel Sharon sur la nécessité de maintenir le chef de l’Autorité palestinienne au centre du dispositif politique et diplomatique. 11 septembre 2001, Yasser Arafat soucieux d’assurer sa survie s’empresse de se montrer solidaire des États-Unis et de ne pas répéter l’erreur de 1991, lorsqu’il s’était rangé aux côtés de Saddam Hussein.

 

Joshka Fischer (né en 1948)

 

George W. Bush qui veut entraîner le plus grand nombre de dirigeants arabes dans une alliance contre « l’Axe du Mal » ménage Yasser Arafat et demande à Israël de reprendre les négociations sans conditions avec l’Autorité palestinienne. Ariel Sharon renvoie George W. Bush dans ses buts, et vertement – voir son discours du 4 octobre 2001. Yasser Arafat ne saisit pas la balle au bond : s’il avait établi une trêve de quelques semaines, tout prétexte aurait été ôté à Ariel Sharon pour continuer à détruire les institutions de l’Autorité palestinienne soupçonnées de complicité avec les terroristes.

La retenue d’Ariel Sharon suite à l’attentat du 9 août 2001 dans le centre de Jérusalem provoque la première crise gouvernementale. Deux ministres démissionnent pour protester contre ce qu’ils jugent être de la passivité. Mais peu à peu Ariel Sharon durcit le ton et la pression américaine sur Israël se relâche à mesure que les néo-conservateurs gagnent en influence dans l’administration Bush. Suite à l’assassinat de Rehavam Zeevi, le 17 octobre 2001, à Jérusalem, par un commando du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), Washington change d’attitude à l’égard de Yasser Arafat : on comprend enfin qu’il n’est pas la solution mais le problème.

Une mission de conciliation américaine échoue. Yasser Arafat est d’autant plus déconsidéré auprès des Américains qu’il n’a plus la capacité d’arrêter les auteurs des attentats perpétrés dans les secteurs contrôlés par l’Autorité palestinienne. L’affaire du Karine A, un cargo chargé d’armes à destination de Gaza, et Yasser Arafat niant l’évidence (le trésorier de l’Autorité palestinienne est impliqué dans ce trafic), provoque la fureur de George W. Bush qui claque la porte.

L’année 2002 restera l’année la plus meurtrière de cette Intifada. Les attentats-suicides se multiplient et Israël multiplie les « assassinats ciblés ». L’opinion soutient majoritairement la politique de fermeté du gouvernement. Une bonne partie de la gauche n’évoque plus la table des négociations ; mais un nouveau clivage apparaît : l’opposition entre les partisans de la séparation avec les Palestiniens par une barrière de sécurité infranchissable et ceux qui la refusent au nom de la préservation des implantations juives en Cisjordanie et à Gaza. Une partie de la gauche persiste dans le projet d’un règlement négocié avec l’Autorité palestinienne.

La coalition gouvernementale se délite. Le 28 octobre 2002, Ariel Sharon demande la dissolution de la Knesset et des élections sont fixées au 28 janvier 2003. Benyamin Netanyahou est de retour. Il est nommé ministre des Affaires étrangères. Ce retour a pour but de désamorcer une fronde anti-Sharon au sein du comité central du Likoud. Mais la bagarre va se poursuivre au sein du parti, entre partisans de Sharon et partisans de Netanyahou. Ariel Sharon obtient 56 % des voix, mais le Likoud donne une image peu reluisante ; et Ariel Sharon se prend à regretter d’avoir aboli l’élection du Premier ministre au suffrage universel.

Au cours de la campagne électorale, Ariel Sharon reste vague sur ses projets. Il se présente comme celui qui a toujours œuvré pour la sécurité de son pays. Le Likoud obtient quarante sièges, les Travaillistes dix-neuf. Ariel Sharon échoue à reconstituer l’attelage Likoud-Travaillistes. Le petit parti Shinouï, soit quinze sièges (sa percée spectaculaire est liée aux voix de la bourgeoisie citadine et laïque exaspérée par les privilèges accordés aux Haredim), se substitue aux Travaillistes pour former un gouvernement très à droite.

La « Feuille de route » rendue publique par les États-Unis le 30 avril 2003 (voir détails) est à l’origine d’un mouvement dont Ariel Sharon va être le maître d’œuvre jusqu’au 4 janvier 2006, date de son hémorragie cérébrale. Faire adopter cette « Feuille de route » par le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays relève presque de l’impossible.

Au cours de la réunion du 26 mai 2003 avec les députés du Likoud, suite à l’adoption de la « Feuille de route », la veille, par le cabinet (douze voix pour, sept voix contre, quatre abstentions), avec quatorze réserves qui doivent être transmises à Washington, on peut noter un changement radical d’orientation. Ariel Sharon met en avant le coût de l’occupation des Territoires, tant pour Israël que pour les Palestiniens mais aussi pour les organisations internationales. Le mot « occupation » (kiboush en hébreu) trouble les héritiers de Jabotinsky et provoque même un tollé, ce mot n’étant employé que par la gauche et les pacifistes pour dénoncer Israël. L’acceptation d’un État palestinien par la quasi-totalité des forces politiques du pays est lancée. Autres étapes importantes : la présentation du plan de désengagement de Gaza et des implantations du nord de la Cisjordanie, en 2003 ; les courriers échangés au cours de l’année avec George W. Bush, en 2004, où ce dernier reconnaît la nécessité de modifier le tracé de 1949 ; l’application du plan de retrait de 2005. Il s’agit non pas d’improvisations dictées par la pression internationale mais d’un plan élaboré entre le printemps et l’automne 2003, chez lui, à la ferme des Sycomores, en compagnie de ses fidèles. Ce plan est d’abord dicté par son affaiblissement politique dû pour l’essentiel aux révélations du journal Haaretz sur ses arrangements financiers au cours de sa campagne de 1999 pour la présidence du Likoud. Yasser Arafat est lui aussi fragilisé, et sous la pression internationale il se montre soucieux, au moins en apparence, de respecter la « Feuille de route », un plan conçu aux États-Unis et avalisé par la communauté internationale. Mais cette « Feuille de route » n’est pas tout, une impulsion extérieure est nécessaire pour espérer sortir de ce qui semble conduire à une impasse. L’impulsion va venir de l’extérieur du gouvernement israélien et même de la Knesset. Son principal animateur, Yossi Beïlin – voir les « Initiatives de Genève ». Ariel Sharon sent qu’il lui faut reprendre la main et concevoir un scénario dont il serait l’auteur principal puis l’acteur principal. Le 18 décembre 2003, il présente son plan dans un discours retransmis en direct à la télévision, un plan de séparation avec repositionnement sur de nouvelles lignes de sécurité et évacuation d’implantations afin d’éviter qu’elles ne soient cernées par les populations palestiniennes. Il s’agit de se séparer des Palestiniens pour mieux assurer la sécurité d’Israël. Par ailleurs la construction de la barrière de sécurité va être accélérée.

Les États-Unis finissent par trouver ce plan tout à fait satisfaisant. Jacques Chirac pinaille tandis que Joshka Fisher appuie Ariel Sharon. Ce discours scelle la fin du projet du Grand Israël qu’Ariel Sharon avait défendu des décennies durant. Les Palestiniens quant à eux protestent contre ce plan unilatéraliste qui écarte les négociations sur un statut final. La gauche israélienne est déboussolée car son programme a été adopté par son ennemi – et pas n’importe lequel – qui risque de lui ôter un certain nombre de ses électeurs.

La population israélienne est lasse. Les attaques terroristes ne cessent pas, même si elles ont baissé en intensité par rapport à la terrible année 2002. Le chantre Shimon Peres et les accords d’Oslo sont devenus inaudibles. Divorcer des Palestiniens pour avoir la paix est devenu le souhait de la majorité. Plus de deux années d’Intifada ont modifié en profondeur les structures de l’économie israélienne. Par ailleurs, la question démographique est mise en avant : la fécondité des Arabes palestiniens devrait faire qu’aux alentours de 2025 les Juifs se retrouvent en minorité sur le territoire de la Palestine mandataire, ce qui mettrait en danger le « caractère juif » de l’État d’Israël. La proposition d’Ariel Sharon est la preuve qu’il est bien le dernier mapaïnik du monde politique israélien. Entre janvier 2004 et janvier 2006, il met en œuvre ce qu’il a exposé dans son discours du 18 décembre 2003, et il va s’employer à convaincre que le plan de séparation n’est pas incompatible avec la « Feuille de route », qu’il peut être envisagé comme une contribution israélienne au processus de paix : déplacer des installations militaires et toutes les implantations juives de la bande de Gaza, quelques bases militaires et un nombre restreint de localités de la Samarie. La Barrière de Sécurité, indispensable, est présentée comme provisoire ; elle n’influerait donc pas sur un arrangement définitif du tracé des frontières. Les États-Unis donnent leur feu vert à ce plan. Le mécontentement est grand au Likoud qui organise au sein de son groupe parlementaire un référendum. Les opposants au plan recueillent plus de 60 % des voix ; mais Ariel Sharon sait qu’il dispose dans le pays d’une majorité pour mener à bien ses projets. Ses opposants au Likoud se tiennent tranquilles car ils savent qu’en cas de dissolution de la Knesset leur parti risque de perdre des plumes.

Pour faire passer son vote au cabinet, Ariel Sharon limoge deux de ses ministres d’extrême-droite. C’est en vain que Benyamin Netanyahou s’efforce de destituer le Premier ministre dont les Travaillistes et le Meretz (gauche pacifiste) ont fini par soutenir le plan.

12 novembre 2004, décès de Yasser Arafat. La situation sécuritaire s’améliore. Le plan de séparation est promu sur la scène nationale et internationale tandis que Tsahal porte des coups très durs aux cellules terroristes palestiniennes, avec notamment les « éliminations ciblées ». La société israélienne respire. Les Palestiniens se retrouvent tant sur le plan sécuritaire que diplomatique dans une situation bien moins favorable qu’à la veille de Camp David (juillet 2000). Mahmoud Abbas (avec lequel Ariel Sharon entretient de bonnes relations personnelles) succède à Yasser Arafat et le Fatah remporte des élections au Conseil législatif palestinien. Fidèle à sa parole, Ariel Sharon poursuit les préparatifs de retrait de la bande de Gaza et la construction de la Barrière de Sécurité. La tension monte dans la rue entre les opposants au retrait (rubans orange) et les partisans du retrait (rubans bleu). Ariel Sharon a les mains libres après l’exclusion des ministres d’extrême-droite, l’appui relatif des Travaillistes et des partis ultra-orthodoxes (un contrepoids aux rabbins extrémistes des implantations). Ariel Sharon se débarrasse de son allié, le Shinouï, dont l’anticléricalisme est un obstacle au ralliement des rabbins ultra-orthodoxes, il s’en débarrasse en refusant de supprimer une subvention aux institutions éducatives ultra-orthodoxes. Des ministres du Shinouï démissionnent alors. Les rebelles du Likoud, conduits par Benyamin Netanyahou, ministre des Finances, restent en embuscade dans l’espoir de déboulonner Ariel Sharon comme Premier ministre et chef du Likoud.

Mi-août 2005, les préparatifs de retrait s’accélèrent. L’évacuation de la bande de Gaza des derniers habitants des implantations se passe sans incident majeur. La mise en place des structures d’accueil pour les évacués est un succès, ce qui ajoute au prestige national et international d’Ariel Sharon. Le 15 septembre 2005, devant l’Assemblée générale des Nations unies, il prononce un discours considéré à présent comme son testament politique. Ce discours est chaleureusement accueilli par l’ONU si souvent injuste envers Israël. Mais Ariel Sharon estime que son travail est loin d’être terminé et il a en tête de solliciter un autre mandat de Premier ministre. Il lui faut à présent fixer les frontières d’Israël et achever la Barrière de Sécurité. Le regroupement des habitants des implantations isolées de Cisjordanie concerne six à sept fois plus de personnes que les huit mille évacués de la bande de Gaza. Et certains lieux de Cisjordanie sont chargés d’histoire biblique, contrairement à la bande de Gaza. La Barrière de Sécurité a fait l’objet d’une condamnation par la Cour de justice internationale de La Haye et la Cour suprême d’Israël veille à ce que son tracé obéisse strictement à des exigences sécuritaires et ne gêne pas les populations palestiniennes. A Gaza les factions armées s’affrontent et au Nord le Hezbollah est menaçant.

Benyamin Netanyahou se tient toujours en embuscade et organise contre Ariel Sharon un vote de défiance. Ariel Sharon qui envisage la défaite l’emporte mais de peu. Il sait que ce n’est que partie remise et qu’il ne sera pas en mesure, pour les élections législatives, d’établir une liste où les partisans du désengagement puissent être majoritaires. Mais une occasion va s’offrir à lui, suite à des élections internes au Parti travailliste : Shimon Peres est battu par le syndicaliste Amir Peretz pour la présidence du parti. Ariel Sharon y voit l’occasion de réunir derrière lui des femmes et des hommes issus de la droite et de la gauche, ce qu’il avait tenté de faire vingt ans auparavant avec la création du Shlomzion.

Le 20 novembre 2005, il annonce la création de Kadima (« En avant ! »), la dissolution de la Knesset et des élections pour le 28 mars 2006. L’opinion réagit très favorablement et la cote de Kadima ne cesse de monter tandis que les Travaillistes et plus encore le Likoud se trouvent en mauvaise posture. L’élection d’Amin Peretz à la tête des Travaillistes replace les questions sociales dans le débat public, des questions poussées de côté pour cause d’Intifada. L’éviction de Benyamin Netanyahou l’ultra-libéral va permettre à Kadima de se pencher également sur ces questions. De son côté, Ariel Sharon veut parachever l’œuvre de David Ben Gourion, soit donner au peuple juif une terre où il puisse vivre en paix et prospérer.

Le 18 décembre 2005, Ariel Sharon est victime d’un malaise. On lui prescrit un traitement et plus de calme. Une opération est prévue pour les premiers jours de l’année 2006. Le 4 janvier, une hémorragie cérébrale massive le plonge dans un coma définitif. Il décédera le 11 janvier 2014.

Olivier Ypsilantis

2 thoughts on “En lisant « Ariel Sharon » de Luc Rosenzweig – 9/9”

  1. Cher Olivier,

    Je suis toujours avec intérêt ton blog,
    Permets-moi cependant de ne pas partager le portrait très flatteur d’Ariel Sharon que tu as donné.
    Il y manque (au moins) la dernière partie de sa vie, le catastrophique “retrait de Gaza” dont nous n’avons pas fini de payer le prix…
    J’en ai parlé notamment ici
    http://vudejerusalem.20minutes-blogs.fr/archive/2014/01/19/etat-juif-ou-monstre-froid-ii-grandeur-et-decheance-d-ariel-890348.html

    Amitiés
    Pierre

  2. Cher Pierre, ce long texte ne se veut qu’un simple résumé du livre de Luc Rosenzweig. Je me suis totalement effacé derrière ce livre. Il y a bien évidemment un certain nombre de choses que je désapprouve chez ce politique mais le personnage a quelque chose de captivant.

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