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Le sebastianismo, un mythe portugais

 

Le sebastianismo est une spécificité portugaise, um mito português.

D. Sebastão (1554-1578) succède à son grand-père D. João III. Roi à trois ans, il reste sous la tutelle de sa grand-mère, D. Catarina, régente du royaume de 1557 à 1562, puis de celle de son grand-oncle, D. Henrique, régent du royaume de 1562 à 1568. En 1568, à sa majorité, il prend les rênes du royaume. De santé fragile et d’un caractère exalté, D. Sebastão est détaché des réalités politiques et économiques de son royaume. Il remue un projet de croisade en Afrique du Nord. En 1578, il embarque à la tête d’une armée. Il est battu et tué à la bataille d’Alcácer-Quibir, entre Tanger et Fez. Lui succède son grand-oncle, D. Henrique.

La mort ou, plus exactement, la disparition de D. Sebastão va donner naissance au sebastianismo, un mythe d’origine populaire basé sur la croyance au retour du roi disparu dans la bataille d’Alcácer-Quibir. Le sebastianismo est l’expression d’une nostalgie d’un âge d’or, alors que le pays est sous occupation espagnole, une nostalgie doublée d’une espérance messianique. Ce courant est activé par les cristãos-novos, soit les Juifs convertis au catholicisme. Le messianisme juif se joint au messianisme très particulier qu’est le sebastianismo et le renforce en quelque sorte.

 

D. Sebastão

 

Les Juifs sont expulsés d’Espagne en 1492 et du Portugal peu après, en 1496. Les « Trovas » de Gonçalo Anes Bandarra, cordonnier originaire de Trancoso (Beira Alta), sont célèbres, avec leurs prophéties à caractère messianique. L’auteur a une bonne connaissance de l’Ancien Testament qu’il interprète d’une manière toute personnelle, en insistant sur la venue de O Encoberto, (le Caché) censé faire du Portugal le pays fondateur du Royaume universel. L’Inquisition ne tarde pas à s’intéresser au cordonnier : elle pense flairer des traces de judaïsme. L’auteur doit participer à un auto-de-fé, en 1541. Il est par ailleurs invité à garder pour lui ses interprétations de la Bible et à cesser tout enseignement théologique. On ne sait s’il était d’ascendance juive, mais il est certain de ses « Trovas » eurent un écho favorable auprès des cristãos-novos. Malgré l’interdiction de l’Inquisition, son écrit circula sous forme de copies manuscrites. En 1603, après sa mort, D. João de Castro le commenta et le fit imprimer à Paris sous le titre : « Paráfrase e Concordância de Algumas Profecias de Bandarra ». Cet écrit restera l’un des principaux véhicules du sebastianismo au Portugal métropolitain et dans le Nord-Est du Brésil (cultura nordestina).

Le sebastianismo suppose la possibilité de miracles ; il est attente d’un retour et espoir capable de remédier à sa manière au découragement d’un peuple. Le sebastianismo ne se limite pas à la figure du roi D. Sebastão ; on le retrouve, plus ou moins diffus, à certains moments de l’histoire du Portugal, principalement au cours de la domination espagnole, de 1580 à 1640, puis de la Guerra da Restauração, de 1640 à 1668. Antônio Vieira, un Jésuite, est le principal maître d’œuvre de ce concept prophétique, concept qui perdurera après l’indépendance du Portugal et d’une manière généralement latente.

Les Juifs ont eu de faux messies, notamment en la personne de Sabbataï Tsevi. Le sebastianismo en a donné plusieurs, sous l’occupation espagnole ; et ce sont autant d’histoires tragicomiques. L’histoire en a retenu quatre ; il y en a eu probablement plus : A história de Portugal está repleta de dons Sebastões. Brièvement (ces histoires diversement rocambolesques et pathétiques sont consultables en ligne et toujours en portugais) : 1. Le Rei de Penamacor se signale à Alcobaça, en 1584, où il se met à raconter des histoires abracadabra sur la bataille d’Alcácer-Quibir. Les Espagnols le détiennent et le condamnent aux galères ; il embarque avec l’Invincible Armada et, semble-t-il, disparaît au cours de l’expédition. 2. Le Rei da Ericeira (Mateus Álvares), un ermite qui vit entouré d’un groupe de disciples. Il choisit une reine qu’il couronne après avoir dérobé le diadème d’une statue de la Vierge. Arrêté en 1585, il est décapité à Lisbonne. 3. Un ancien soldat espagnol qui a servi au Portugal, Gabriel de Espinosa, devenu pâtissier à Madrigal. Dans un couvent proche de cette localité vit D. Ana, fille illégitime de D. Juan de Austria, demi-frère de Felipe II et héros de Lépante. Un moine portugais, Frei Miguel dos Santos, confesseur de D. Ana, la persuade que le pâtissier est le roi disparu, D. Sebastão. Il l’engage à épouser Gabriel de Espinosa et à fomenter un soulèvement contre l’occupant, au Portugal. Les Espagnols arrêtent le trio. D. Ana est condamnée à quatre années de relégation, le moine et le pâtissier sont pendus en 1565. 4. Un Calabrais, Mario Tullio Catizone. On le trouve à Venise en 1568 où vit un groupe de patriotes portugais attachés à la cause de D. Antônio (1531-1595), prieur de Crato, bâtard de l’infant D. Luís et d’une cristã-nova. Il avait accompagné D. Sebastão à la bataille d’Alcácer-Quibir où il avait été blessé et fait prisonnier. Un Juif avait payé la rançon et, ainsi, D. Antônio avait-il pu revenir à Lisbonne et se présenter comme le prétendant au trône, une demande frustrée par l’invasion espagnole conduite par Felipe II. Mais qu’importe ! Il se fit sacrer roi par élection populaire, en 1580, à Santarém, et réunit une force afin de résister aux Espagnols qui l’écrasèrent dans une suite d’affrontements. En 1581, il embarqua clandestinement pour Calais et s’efforça d’obtenir de l’aide tant à Paris qu’à Londres, en vain et jusqu’à sa mort. Mais revenons-en à Mario Tullio Catizone. Après s’être fait passer pour D. Sebastão, le duc de Médicis finit par le faire arrêter pour le livrer aux Espagnols. Il est emprisonné à Samlúcar de Barrameda.

Au moment de la Restauração (1640), soit l’accession du pays à l’indépendance, D. Sebastão – O Encoberto – est identifié comme le Duque de Bragança, couronné sous le nom de D. João IV. Le Jésuite Antônio Vieira (1606-1697) élabore un sebastianismo politique, avec le Quinto Império au sommet de cette immense rêverie. A la mort de D. João IV, le messianisme du Jésuite se porte sur les successeurs de ce monarque, D. Afonso VI et D. Pedro II. On peut se demander si le sebastianismo, une croyance d’origine populaire, n’a pas été récupéré et structuré (en particulier par ce Jésuite), au moins en partie, à des fins politiques dans le but de faire participer le peuple et ainsi pleinement légitimer la Restauração, soit la désannexion du Portugal, et lui donner de l’élan. Antônio Vieira mériterait un article à part. Pour l’heure, retenons simplement que ce conseiller de D. João IV fut un défenseur des Indiens (au Brésil) et des cristãos-novos au point d’être suspecté d’hérésie par l’Inquisition. Cet homme d’action toujours entre Brésil et Portugal est l’auteur d’une œuvre imposante, puissamment personnelle et dynamique. Dans sa riche production, je me contenterai de citer « História do Futuro », le seul de ses écrits que j’ai lu et que je présenterai à l’occasion dans un article sur ce blog. Brièvement et afin de susciter la curiosité du lecteur : dans cet étrange écrit, l’auteur combine les « Trovas » de Gonçalo Anes Bandarra et des textes bibliques afin de prophétiser l’avènement du Quinto Império mondial avec à sa tête le Portugal (Reino Lusitano), les empires précédents étant : l’Empire perse, l’Empire assyrien, l’Empire grec et l’Empire romain.

L’histoire postérieure du sebastianismo est complexe et subtile, tant dans ses manifestations historiques que littéraires. Je la reporterai à grands traits étant donné que son étude pourrait constituer un épais volume.

Au XVIIIe siècle, les manifestations de sebastianismo ne sont pas vues d’un très bon œil. Le Marquês de Pombal, qui peut être considéré comme un despote éclairé (avec toute la charge positive que véhicule cette appellation), jugeait que le sebastianismo relevait de la superstition, qu’il était donc condamnable. Des exemplaires des « Trovas » furent même brûlés à Lisbonne, sur le Terreiro do Paço. Les invasions françaises réactiveront le mythe. On rapporte qu’en 1813 un individu se promena dans Lisbonne affirmant haut et fort qu’il était un envoyé de D. Sebastão.

Au début du XIXe siècle, José Agostinho de Macedo publie un opuscule contre le sebastianismo et les sebastianistas qu’il décrit comme de mauvais chrétiens, de mauvais sujets et de grands fous. Il faut lire « Os Sebastianistas, Reflexões críticas sobre este ridícula seita », publié à Lisbonne en 1810. Au cours du XIXe siècle, le sebastianismo se mit à glisser doucement du plan politique au plan littéraire, ce qui pourrait nous conduire jusqu’à Fernando Pessoa.

Il existe au Portugal de nombreux textes sarcastiques sur le sebastianismo. L’un d’eux m’a retenu : « Origens do sebastianismo – História e Perfiguração Dramática » d’Antonio De Sousa Silva Costa Lobo. Il s’articule en trois parties : « Sebastianismo : imagens e miragens » (une préface d’Eduardo Lourenço), « Explicação apologetica » et « Origens do sebastianismo ».

Le sebastianismo a été jugé durement par plus d’un Portugais, d’autant plus que ce mythe ne s’est pas contenté d’être un mythe populaire, auquel cas il n’y aurait rien à dire, mais qu’il a gagné les sphères intellectuelles et politiques qui à l’occasion l’ont détourné et réactivé à leur avantage.

Pour l’auteur en question, le sebastianismo est une folie qui s’est emparée d’un pays, de l’accession au trône de D. Sebastão à l’indépendance du Portugal. Il commence par brosser un portrait peu flatteur – mais réaliste – de ce roi, soit un jeune homme exalté et obsédé par la conquête du Maroc au point d’ignorer tous ses devoirs politiques et de mépriser tout ce qui ne nourrit pas son obsession d’une croisade en Afrique du Nord. Il ne recula devant rien pour financer son projet et laissa un pays exsangue. Cette expédition mal préparée et la bataille d’Alquácer-Quebir conduite en dépit du bon sens par le roi en personne décima par ailleurs la noblesse portugaise. Elle reste la plus humiliante défaite qu’ait connue le Portugal.

Olivier Ypsilantis

 

3 thoughts on “Le sebastianismo, un mythe portugais”

  1. Merci pour ce texte très complet sur ce mythe bien portugais. On pourrait ajouter le roman d’Eça de Queiroz, “A cidade e as serras”, qui parle aussi du sébastianisme.
    Des coquilles à signaler : Sebastião, et non “Sebastão”. Et héros, ‘s’ au singulier.

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