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En lisant « La trahison des clercs d’Israël » de Pierre Lurçat – 2/5

 

Deuxième partie : le faux messianisme de la paix : généalogie d’une idéologie

De Camp David à Oslo : comment le faux messianisme de la paix s’est imposé en Israël

L’idéologie pacifiste de Brith Chalom est difficilement explicable sans une approche sociologique de la société israélienne, surtout depuis la guerre du Kippour (1973) et la Première Guerre du Liban (1982).

L’émergence de Kadima (en 2005) est à mettre en relation directe avec celle de La Paix maintenant (fondé en 1978). « Le faux messianisme de la paix » est autant une idéologie politique qu’un phénomène sociologique, c’est pourquoi il ne se manifeste pas qu’à gauche.

Shimon Pérès, Yossi Beilin et quelques autres ont bien été les architectes des Accords d’Oslo (1993) ; mais la gestation de ces accords s’est faite dans la société israélienne et sur au moins deux décennies, de 1973 à 1993. Précisons que Yitzhak Rabin n’y adhérait pas aveuglément. Il faut lire et relire son dernier discours politique prononcé le 5 octobre 1995, à la Knesset.

 

yossi-beilinYossi Beilin (né en 1948)

 

Dans cet imbroglio, quelqu’un comprit mieux que personne que la meilleure façon de vaincre Israël « était de se servir de la paix comme d’un cheval de Troie » afin de diviser l’opinion israélienne et orienter les négociations. [A ce propos, je remercie l’auteur qui  me rafraîchit la mémoire. J’avais tendance à oublier qu’Anouar Al-Sadate avait été (et restait probablement) un admirateur d’Adolph Hitler]. Donc, Anouar Al-Sadate comprit qu’il fallait jouer en finesse, plus finement que Joachim von Ribbentrop avec la très subtile diplomatie britannique. En note, page 51-52 de la présente édition, le lecteur trouvera une lettre exaltée et élogieuse du futur Raïs au Führer, éditée dans le journal cairote El-Moussaouar du 18 septembre 1953.

Concernant l’évolution de la société israélienne, l’auteur nous invite à lire « Farewell to ‟Srulik” – Changing Values Among the Israeli Elite » du sociologue Oz Almog où est analysé le passage progressif d’une société idéaliste et collectiviste à une société matérialiste et individualiste, un changement qu’a fort bien saisi Anouar Al-Sadate qui est venu à Jérusalem non pour proposer une « paix des braves », selon l’image convenue, mais pour mieux pousser ses pions. Le dangereux précédent de la « paix contre les territoires » dont nous ne sommes toujours pas dépêtrés se mettait en place. Et l’auteur nous invite à nous méfier des faux messies [Les Juifs en ont été les victimes et ont appris à s’en méfier, avec notamment Sabbataï Tsevi], et Anouar Al-Sadate fut l’un d’eux. Le Messie n’est venu ni au kilomètre 101, ni à Oslo, ni à Camp David… Et il n’est pas venu à Jérusalem en 1977…

 

De La Paix maintenant à Kadima : la politique du ressentiment

Comment interpréter le succès de Kadima, fondé en 2005 par Ariel Sharon après que le Likoud a été désavoué pour le retrait israélien de la bande Gaza ? L’auteur propose l’explication suivante : « Interpréter le phénomène Kadima comme l’incarnation dans un parti politique de l’idéologie pacifiste, représentée par le mouvement La Paix maintenant, né au lendemain de la visite de Sadate à Jérusalem ». Mais, surtout, il faut remonter au lendemain de la guerre du Kippour afin de comprendre le phénomène Kadima et son lien avec ce mouvement pacifiste devenu La Paix maintenant. Une fois encore, c’est par la sociologie au moins autant que par la politique que l’auteur nous invite à les envisager.

Pierre Lurçat compare le programme de Kadima et celui de La Paix maintenant et il en déduit qu’ils sont presque identiques, se résumant au slogan « Deux États pour deux peuples », soit la création d’un État palestinien avec démantèlement des « colonies juives » de Cisjordanie ou, plus exactement, de Judée-Samarie. Concernant Jérusalem, n’oublions pas que son maire, Ehoud Olmert, n’était pas vraiment hostile au partage de la capitale. Il est vrai que contrairement à La Paix maintenant, Kadima était plus réticent sur « le droit au retour » mais, comme le fait remarquer l’auteur, comment s’y opposer une fois que les clés des postes-frontières seront remises aux Palestiniens ?

La victoire de Kadima (en 2005) tout comme le succès de La Paix maintenant ont été largement dus à l’utilisation de techniques venues du milieu de la publicité et du marketing. La victoire de Kadima est plus celle d’un « emballage » que d’un contenu. Et l’auteur nous invite à lire un document au titre éloquent : « La Paix maintenant : un projet de suicide national » (titre original : « Peace Now: Blueprint For National Suicide ») de Dan Nimrod qui y décrit les techniques de prise du pouvoir par « un petit groupe élitiste ». Il faut également lire les analyses du journaliste Amnon Lord sur ce petit groupe qui selon une technique rigoureuse (d’inspiration communiste) a su phagocyter et imposer progressivement ses vues au Parti travailliste. Moment-clé de la conquête (idéologique) du pouvoir par ce groupe pacifiste, la manifestation du 25 septembre 1982, organisée au lendemain de Sabra et Chatila afin de pousser à la démission le gouvernement de Menahem Begin. C’est au cours de cette manifestation que Shimon Pérès prononce un discours resté célèbre, Shimon Pérès qui allait tenir un rôle central dans les négociations préparatoires aux Accords d’Oslo. Derrière Shimon Pérès, l’ombre de La Paix maintenant. Il faut étudier le rôle tenu par Ron Pundak et Yaïr Hirshfeld dans la préparation des Accords d’Oslo.

La Paix maintenant est aussi née du ressentiment engendré par la défaite électorale du Parti travailliste (un parti au pouvoir depuis trente ans) aux élections de 1977. L’émergence de Kadima est aussi l’expression d’un ressentiment, en l’occurrence des élites laïques occidentales face à la montée des religieux, susceptibles de fixer les frontières d’Israël et de transformer l’État des Juifs en État juif.

Le « camp de la Paix » diabolise et appelle au mépris de tous ceux qui ne marchent pas avec eux. C’est ainsi que les Séfarades ont été accusés d’être des « fascistes », puis ce fut au tour des Juifs religieux et enfin des « colons ».

 

La gauche israélienne, entre démocratie et totalitarisme.

Israël en tant qu’État est confronté à un double conflit et depuis sa naissance : conflit extérieur (avec les voisins arabes) et conflit intérieur (entre les partisans d’un État juif et les partisans d’un « État de tous les citoyens »). A ce propos, nous évoquerons le juge Aharon Barak, ami intime du juge Richard Goldstone et l’un des opposants les plus virulents au caractère juif de l’État d’Israël.

Comment expliquer ce processus (destructeur) activé par des élites israéliennes depuis la fin des années 1980 ? Pour tenter de répondre à cette question, l’auteur s’appuie sur les travaux de Raya Epstein qui emprunte à Jacob Talmon le concept de « démocratie totalitaire », un concept qui fait remonter à la Révolution française l’origine du totalitarisme. [Je porte depuis longtemps cette idée en moi — une intuition — que j’ai exprimée à plusieurs reprises sur ce blog, notamment dans un article consacré à Guglielmo Ferrero, un penseur fondamental (et dérangeant) qui distingue deux Révolutions françaises  (voir « Les deux Révolutions françaises. 1789-1796 »). C’est donc avec un certain plaisir que j’ai retrouvé cette appréciation rapportée par Pierre Lurçat.]

Il faut lire l’intégralité de l’article de Raya Epstein, « PostZionism and Democracy » où l’auteur explique comment une gauche israélienne sur la défensive après la guerre des Six Jours « a renoncé au modèle de la démocratie libérale pour celui de la démocratie totalitaire », avec vérité unique (voir la Révolution française), soit une « antithèse totale du judaïsme religieux comme de l’identité juive non religieuse, de la démocratie libérale et du sionisme… » [Je passe sur la passionnante polémique relative à « La Loi du Roi » afin de ne pas surcharger cette présentation. « La Loi du Roi », un traité de droit juif de la guerre qui, mal interprété, a alimenté et alimente encore l’antijudaïsme, l’antisémitisme et l’antisionisme. Nous y viendrons.]

  

Quand la gauche israélienne et l’Europe réécrivent l’histoire du nationalisme arabo-palestinien.

La gauche israélienne a toujours cherché à minimiser (voire occulter) les origines du nationalisme palestinien et le rôle du Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini (1875-1974). Son rôle idéologique très actif dans la Shoah (voir notamment le témoignage de Dieter Wisliceny au procès de Nuremberg) est volontiers passé sous silence et on répète à l’envi que le Grand Mufti n’a été qu’un simple sympathisant du nazisme, en aucun cas un acteur clé de la Shoah. Les médias français préfèrent ne pas s’attarder sur son cas puisque c’est la France qui a permis l’évasion de l’individu, en 1945. Plus généralement, la France qui a diversement soutenu le mouvement national palestinien ne perd pas une occasion de dénoncer explicitement ou implicitement Israël à la première occasion, histoire de faire oublier son soutien à des criminels et des corrompus. Et la gauche israélienne qui est embourbée depuis le « processus de paix » et les Accords d’Oslo n’a pas eu le courage de faire son mea culpa et a préféré la fuite en avant, la posture morale à la vérité historique. [La gauche préfère généralement la reposante simplicité Bien/Mal, le petit monde binaire, à la complexité que suppose l’étude historique qui ne cesse de chambouler leur petit monde simple.] Benyamin Nétanyahou est vilipendé pour avoir rappelé certaines vérités historiques — certains faits —, par exemple que le nationalisme palestinien a partie liée avec le nazisme. [Concernant la gauche israélienne, certains de ses membres, pas assez nombreux il est vrai, ont su faire amende honorable, et je pense en particulier à Benny Morris, qui fut l’un des plus influents représentants des nouveaux historiens.]

 

les-accords-dosloUne image célèbre, une funeste mise en scène : les Accords d’Oslo, le 13 septembre 1993, à Washington, avec Yitzhak Rabin, Bill Clinton en amphitryon, et Yasser Arafat.

 

Troisième partie : littérature et politique : le mythe de l’écrivain israélien engagé

Meir Shalev contre le stéréotype de « l’écrivain engagé »

Meir Shalev déclare dans une interview que « la littérature n’a plus aujourd’hui d’influence sur la politique en Israël ». Il démolit le stéréotype de l’écrivain engagé, élaboré par les médias, et il affirme son amour pour la langue et la Bible hébraïques, cette dernière conçue comme fondement de sa culture et de sa langue. Selon Meir Shalev, la position des écrivains israéliens parmi les plus réputés en dehors d’Israël est comparable à celle des prophètes à l’égard du pouvoir politique : leur influence est très faible voire nulle ; leur force est ailleurs. Les écrivains engagés de gauche les plus célébrés par les médias étrangers n’intéressent plus personne en Israël, ce qui explique pourquoi ils répondent avec un tel empressement aux nombreuses sollicitations des médias étrangers.

 

Etgar Keret, un écrivain désengagé de la politique

Etgar Keret corrobore sur ce point l’analyse de Meir Shalev. Les grands thèmes (dont le conflit israélo-arabe) sont quasiment absents de son œuvre. Il critique avec une même détermination l’écrivain engagé. A cours d’une interview, il répond que « le métier d’écrivain n’est pas une profession codifiée comme celle de médecin ou de pompier ». Et il mène une attaque en règle contre Avraham B. Yehoshua auquel il reproche avant tout une certaine conception de la littérature et de l’identité israéliennes. En effet, le monde d’Etgar Keret est presque exclusivement centré sur son monde intérieur qui fait de lui le narrateur et le héros de ses livres. Le sociologue Oz Almog évoque une génération d’écrivains post-modernes (parmi lesquels Orly Castel-Bloom), tel avivienne et qui s’éloigne du consensus sioniste « avec un regard ennuyé et ironique ». Le succès d’Edgar Keret et d’Orly Castel-Bloom à l’étranger, et notamment en France, s’expliquerait-il par  leur « désengagement », leur repli sur leur monde intérieur, repli vis-à-vis du sionisme notamment, et leur éloignement à l’égard de la littérature de la « génération de l’État » ?

 

Zeruya Shalev et le territoire de l’âme humaine

La « génération de l’État » a confondu le rôle de l’écrivain et celui de l’homme politique, une confusion que rejettent Zeruya Shalev et d’autres écrivains de sa génération, avec refus de la rengaine sur le conflit israélo-arabe et la « question palestinienne ». Zeruya Shalev dans une interview : « Mon écriture se déploie dans un territoire qui est indépendant de la politique. Je ne veux pas prendre la posture du « prophète » qui prédit l’avenir. Le rôle de l’écrivain est de montrer la complexité et l’ambivalence de la réalité, surtout à l’égard de situations qui sont aussi floues que celles de la vie familiale. Lorsque je suis à l’étranger, je m’efforce de présenter une opinion patriotique mais non politique. Il est essentiel à mes yeux que les lecteurs étrangers comprennent notre vie quotidienne. Qu’ils réalisent la difficulté d’élever des enfants en Israël, et la peur du terrorisme. Ils doivent comprendre que nous aussi nous souffrons ! Mais Israël n’est pas seulement un pays victime des attentats terroristes. Il est aussi important de montrer un autre visage d’Israël : celui de gens qui, comme partout dans le monde, vivent, aiment, se marient et divorcent… En montrant cet aspect de notre existence quotidienne, cela permet peut-être de rapprocher les lecteurs à l’étranger, Israël devient pour eux un endroit moins étrange ». On est loin de la pente facile sur laquelle se laissent glisser les adeptes de La Paix maintenant, une pente que refuse aussi Aharon Appelfeld.

 

Le fil invisible entre Günter Grass et David Grossman

Un fil invisible va de Günter Grass, avec « Le Tambour », à David Grossman, avec « Le Livre de la grammaire intérieure ». Dans les deux cas, il est question d’un enfant qui refuse de grandir : Oskar refuse de grandir dans l’Allemagne nazie, Aaron dans l’Israël de la guerre des Six Jours. C’est l’enfant opposé aux adultes meurtriers, nazis dans un cas, israéliens dans l’autre cas…

Notons que Günter Grass a été unanimement condamné, ou presque, lorsqu’il a accusé Israël de « menacer la paix mondiale » et de vouloir « l’éradication du peuple iranien ». [Je me demande un peu tristement si Günter Grass n’a pas été réprimandé uniquement parce qu’il s’était engagé dans la Waffen SS, ainsi qu’il l’avait révélé. S’il n’avait pas fait une telle révélation, je suis convaincu qu’on aurait applaudi à ses propos]. Ceux-là mêmes qui ont dénoncé ces accusations de l’écrivain allemand ont applaudi à un article de David Grossman où Benyamin Netanyahou se voit accusé d’être un agent de l’apocalypse. On est en droit de penser que David Grossman aurait dû choisir de s’exprimer de préférence dans un média israélien, la question préoccupant plus, et légitimement, les Israéliens que les Français. Et Pierre Lurçat note : « En cela, sa posture (celle de David Grossman) est caractéristique de celle des clercs d’Israël qui prennent le monde à témoin pour critiquer leur gouvernement ».

Günter Grass comme David Grossman utilisent le procédé de l’inversion : c’est Israël et non plus le régime de Téhéran qui est accusé de préparer l’apocalypse. La gauche israélienne est friande de ce procédé : elle l’avait utilisé contre Menahem Begin, suite au bombardement d’Osirak en 1981. Il faudrait dresser un catalogue des accusations du « camp de la Paix » lancées par la gauche et l’extrême-gauche israéliennes contre les gouvernements de droite — contre Benyamin Netanyahou tout particulièrement —, accusés de ne pas faire assez de concessions et, en conséquence, d’être responsables des violences dans la région. Si la voix de David Grossman sur cette question ne compte presque pas en Israël, elle est très généreusement diffusée en Europe et aux États-Unis. [Un Juif qui dénonce Israël est toujours pain bénit pour les antisionistes]. David Grossman et autres dénonciateurs d’Israël sont dorlotés par l’Europe, récompensés par des prix prestigieux dotés de fortes sommes. Ce n’est pas seulement leur talent d’écrivains qui est récompensé… Et Pierre Lurçat pose la question : ces écrivains ne seraient-ils pas indirectement achetés par ces récompenses afin de poursuivre leurs dénonciations d’Israël qui plaisent tant aux Européens ?

 (à suivre)

Olivier Ypsilantis

1 thought on “En lisant « La trahison des clercs d’Israël » de Pierre Lurçat – 2/5”

  1. Entre religieux christianisés (tous les religieux juifs sont christianisés) et malades mentaux cultivant la haine de soit (haine de soit qu’a singé toute la sous élite européenne, la première ayant été les juifs),
    le simple juif comme moi a été pourchassé et éradiqué par certains de ses coreligionnaires en droite ligne du travail acharné de leurs homologues nazis.

    J’étais de la Jérusalem du nord, de Vilna où 90% de juifs tués ne peuvent plus dire qu’ils n’étaient ni juif allemands ni juifs tunes mais simplement juifs.

    Et c’était comme l’a écrit le docteur Dorjeski dans “la victoire du ghetto”,
    le proto Israël et j’ai été félicité par S Wiesenthal pour avoir popularisé l’histoire du mufti, sujet de son premier livre dès 1947. occulté par les nazis juifs.
    Ceux qui ont fit disparaitre les 120 de qi moyen ashkenaze , comme on veut disparaitre les 100 de moyenne de qi européen ( par rapport aux opprimé de 75 des africains ET moyen oriental).

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