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Un mot à propos de l’antisionisme

Une amie m’a envoyé le 1er septembre 2015 le courriel suivant : 

« J’aimerais avoir vos avis, à toi et ta femme, concernant un point délicat : comment vous débrouillez-vous avec votre sionisme face à vos amis, à commencer par les amis de longue date ? Il y a quelques mois, un ami juif nous avait invités pour le Seder. Au cours de la conversation, sa sœur nous dit : « Avec nos amis, le sujet Israël-Palestine est tabou car nous finirions sans amis » ! Réflexion lucide car je subissais et subis encore cette épreuve.

Le problème s’est posé pour moi d’une manière aiguë, en janvier 2015, suite à l’attentat contre Charlie Hebdo. Une amie m’écrivit (après avoir spécifié que l’antisémitisme était odieux et que les Juifs de France devaient rester) :  « Israël, pays nazi peuplé de Juifs se comportant comme des voyous ». Je lui ai répondu que si Israël était un pays nazi peuplé de voyous, alors j’étais fière d’être une nazie et une voyoute ; et je lui donnai quelques références historiques.

 

Dry BonesA l’attention de l’amie qui a écrit « Israël, pays nazi peuplé de Juifs se comportant comme des voyous »

 

Cette (ex- ?) amie sait que mon mari et moi-même sommes allés plusieurs fois en Israël et que j’aime ce pays. Nous n’avons jamais parlé des Palestiniens. Et lorsque j’évoquais nos voyages en Israël, elle m’écoutait sans poser la moindre question.

Aujourd’hui, je m’en veux. J’aimerais l’affronter directement et lui faire savoir que ce qu’elle a dit sur Israël a cassé notre amitié. Je n’ai que des bons souvenirs avec cette amie mais ses mots me sont insupportables : « Israël, pays nazi peuplé de Juifs se comportant comme des voyous ». Ils me blessent, me font souffrir. En fait, je ne désire plus la voir.

Autre incident. En juillet dernier, nous étions invités en Bretagne chez d’autres amis de longue date que nous n’avions pas vus depuis une dizaine d’années. Le problème israélo-palestinien n’avait jamais été abordé et il est arrivé d’un coup, au milieu du repas… : « Ces pauvres Palestiniens… Les Juifs ne sont pas chez eux… ». Mes questions les ont arrêtés : « Que savez-vous de ce pays nommé ‟Palestine” depuis… disons… depuis la naissance de Jésus ? Parlez moi de l’Empire ottoman et des pays du Moyen-Orient ! » Silence total. Méconnaissance totale. Je m’efforçai donc de répondre aux questions que je leur avais adressées. Après m’avoir poliment écoutée, notre amie finit par dire à son époux : « M. a raison ; nous ne connaissons rien à l’histoire de la région et nous ne pouvons donc en parler. » La fin du séjour s’est passée agréablement et ils ont évité toute allusion à ce problème.

Suite à ces incidents (et à d’autres du même genre), mon mari m’a mise en garde : « Je partage à 100% tes idées à ce sujet et tu le sais. Mais à ce rythme nous allons perdre nos amis les uns après les autres. » Depuis, je me sens coupable. Ai-je le droit de lui imposer cela ? Mais si nous nous taisons tous et faisons comme si, que nous soyons juifs ou non, je n’ose imaginer l’avenir de notre pays. Que faire ? Est-ce que je me reconnaîtrai dans la glace si je ne réagis pas ? Et si je réagis, contribuerai-je à faire baisser l’animosité contre Israël ? »

 

Ma réponse datée du 2 octobre 2015, par courriel : 

« Chère M., je t’écris d’une pastelaria de Lisboa, dans le Bairro Alto où j’ai pris mes quartiers. Tout est si calme ici, dans cette ville des confins de l’Europe qui regarde l’Atlantique !

Ne sois pas triste. Tu n’es pas seule. Tous ceux qui défendent Israël éprouvent ce que tu éprouves. Être marginalisé par le plus grand nombre est un plaisir ; la marque la plus affirmée du plus grand nombre est l’hostilité envers Israël, une hostilité soutenue et activée par diverses machines de propagande, étatiques pour la plupart. On sait que la France entretient vis-à-vis d’Israël une certaine hostilité (voir le Quai d’Orsay) qui tient à la politique arabe du pays. Le résultat : une hostilité presque générale envers Israël, hostilité qui n’est pas que musulmane et d’importation, mais aussi « bien de chez nous. »

Les amis que tu évoques dans ton courriel sont victimes de cette propagande ; ils sont la voix de la masse, la voix du plus grand nombre, une voix irréelle à bien y penser. On passe des images d’enfants supposément tués par des Israéliens, on remue (l’air de rien) le vieux mythe (chrétien) du meurtre (ou crime) rituel. Le monde musulman l’a récupéré, à commencer par les Palestiniens ; ils ont compris tout le profit qu’ils pouvaient en retirer, chez nous.

Il y a tout de même parmi les amis que tu évoques une femme qui reconnaît ne pas connaître. Quelqu’un qui confesse son ignorance est digne de respect. Il ouvre sa porte et invite au dialogue.

Il y a plusieurs manières d’affronter au cours d’un dîner celui qui attaque grossièrement Israël. Par le silence déjà, tout en fixant du regard celui (ou celle) qui se laisse aller de la sorte. Rien de mieux qu’un silence hostile d’où tout peut sortir ; il use les nerfs, crée une inquiétude sourde ; c’est le calme avant la tempête, une tempête qui peut venir ou ne pas venir. On peut aussi poser calmement des questions, toujours en fixant l’intéressé du regard. La réponse (si elle vient) doit immédiatement être suivie d’une autre question, comme un feu roulant calme et lent. Il y a d’autres techniques propres à déstabiliser l’intéressé.

Au fond, je plains l’antisémite, je le dis sans ironie. L’antisémitisme implique une terrible limitation. L’antisémite est un handicapé. Il a besoin d’aide et rien ne nous empêche de penser que par ses déclarations brutales il sollicite de l’aide. Mais nous, sionistes passionnés de culture et de spiritualité juives, n’avons pas nécessairement la force de nous occuper de ces handicapés. Ils sont si nombreux et nos forces ne sont pas infinies.

Tu écris en fin de lettre : « Est-ce que je me reconnaîtrai dans la glace si je ne réagis pas ? » Réagir ? Tu as des amis handicapés, il faut donc que tu les aides. Je suis certain qu’avec ton intelligence et ta gentillesse tu sauras faire en sorte qu’ils puissent petit à petit se passer de leurs fauteuils roulants ou de leurs béquilles et marcher d’un pas assuré. Car je le redis, l’antisémite est un handicapé. Je le plains.

Retour dans le passé. Dans le New York Times du 12 juin 1964, une fuite laisse entendre qu’un document secret affirme : « L’Église conformément à l’enseignement de l’apôtre Paul (Rom. 11, 25), attend avec une foi indestructible et un ardent désir l’accès de ce peuple (le peuple juif) à la plénitude du peuple de Dieu instaurée par le Christ ». Abraham Heschel est bouleversé et dans un article de presse dénonçant cet appel à la conversion des Juifs, il place un mot qui froisse des Chrétiens : « Comme je l’ai dit plusieurs fois aux personnalités importantes du Vatican, je suis prêt à aller à Auschwitz n’importe quand, si je suis placé devant l’alternative de la conversion ou de la mort ». Son ami Thomas Merton (1915-1968), moine trappiste, lui exprime sans tarder sa solidarité : « Mon ambition latente d’être un juif véritable sous ma peau de catholique sera sûrement réalisée si je continue à subir des expériences comme celle-ci, à recevoir des soufflets de la part de ces hommes aveugles et satisfaits dont je suis néanmoins un ‟collaborateur” ». Je me situe dans cette veine (et toi aussi) : toute attaque contre les Juifs me fait sentir (encore plus) juif ; et toute attaque contre Israël me fait sentir (encore plus) israélien. C’est ainsi. Il est certain que de telles inclinaisons ne favorisent guère la vie sociale. Mais qu’importe ! Il faut vivre avec ivresse ce relatif isolement. Et tu pourras dire à ton amie de longue date qui a osé dire : « Israël, pays nazi peuplé de Juifs se comportant comme des voyous », tu pourras lui dire : « Je préfère que ma langue se colle à mon palais plutôt que d’avoir à dire ce que tu viens de dire », une réflexion qui la plongera — qui sait ? — dans un abîme de réflexion… Il faut aider les handicapés… »

 

Olivier Ypsilantis 

 

1 thought on “Un mot à propos de l’antisionisme”

  1. Shalom Olivier,
    au retour — j’étais à la base d’Ourim, à 8 km à vol d’oiseau de Gaza — je lis ton article qui m’évoque un souvenir désagréable.
    Ayant gardé quelques amis d’une gauche plutôt extrême, je leur envoie un papier sur la charte de Munich censée fixer la déontologie des journalistes. J’y démontrais, s’il en était encore besoin, le parti pris de la presse hexagonale à l’encontre d’Israël , ses choix propagandistes de mots inadéquats, ses indignations sélectives, la répétition insane de mensonges avérés et de distorsions des faits où l’abject le dispute au grotesque.
    Quelques minutes plus tard, je reçois une volée de mails — indignés, comme il se doit — m’imputant une « radicalisation impensable » et des « idées nauséabondes ». Je n’eus pas droit aux « heures les plus sombres » mais c’était implicite.
    Auparavant, nous avions d’un commun accord pris soin d’éviter ce sujet de façon à ne pas entacher une ancienne amitié. En cette occurrence et contrairement à ton amie, je décidai alors de les rayer de mes listes.
    Une affection véritable se doit de respecter les choix essentiels pour chacun. Si ce n’est le cas, maintenir des liens sous le sceau d’un silence hypocrite me paraît incompatible avec une réelle amitié.

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