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En lisant « Pour une éthique iranienne » du général Bahram Aryana – 2/2

 

 Général Bahram Aryana

Le général Bahram Aryana (1906-1985)

 

Bref compte-rendu du préambule au livre du général Bahram Aryana, « Pour une éthique iranienne ». [J’ai choisi de placer entre crochets les remarques personnelles suscitées par cette lecture.]

Depuis les temps reculés, des forces étrangères se sont employées à détacher l’Iranien de son passé culturel en commençant par abâtardir sa langue. Et le général se fait fort de dénoncer l’invasion d’Alexandre, surnommé « le Maudit », puis celle des Arabes, de Gengis Khan et de Tamerlan. Il constate que les Grecs et les Égyptiens ont beaucoup donné à un moment de leur histoire avant de se taire. Le cas de l’Égypte, arabisée et islamisée, est particulièrement dramatique. A l’inverse, et toujours selon le général, l’Iran n’a cessé de produire l’illustres figures, héritières de l’Iran millénaire mais aussi de l’islam que l’Iran a absorbé (suite à l’invasion arabe) pour l’enrichir.

Le peuple iranien a été aliéné car il a rompu le lien qui l’unissait à sa mémoire. [Je rappelle que cet appel a été rédigé dans les convulsions de la Révolution islamique de 1979]. L’Iran a été un centre de production de valeurs philosophiques et religieuses qui ont fécondé le monde, des confins de l’Occident à l’Inde. Comment ignorer que « la culture iranienne a jeté les fondements de nombreux éléments de la civilisation mondiale » ? Parmi les réalisations de cette culture multi-millénaire, le système d’irrigation le plus élaboré du monde [et le bâd-gîr ou tour à vents, que le général ne mentionne pas. Ci-joint, un lien sur cette magnifique création iranienne :

http://www.teheran.ir/spip.php?article112#gsc.tab=0].

Ahura Mazda a donné la joie à l’homme. La tristesse est l’un des signes du Mal. Même à l’époque islamique, en Iran, cette joie transparaît avec notamment Omar Khayam et Hafez.

A Behistun, une inscription en trois langues (vieux-persan, élamite et akkadien, inscription déchiffrée par Henry Rawlinson) attribuée à Darius le Grand se termine par une prière adressée au Dieu unique : que l’immense empire soit préservé du mensonge, des ennemis et de la sécheresse. Fort d’une inscription vieille de deux mille cinq cents ans, et placée sur le canal creusé par Darius le Grand, canal qui deviendra le canal de Suez, le général nous invite à dire non pas « Golfe arabique » mais « Golfe persique » car : « Le jour où fut gravé sur la pierre le nom de Mer Persique, il n’était question ni d’Arabes ni d’Islam ! » [De fait, depuis des années, je reprends ceux qui disent « Golfe arabique » et les invite à dire « Golfe persique » ; de même, je reprends ceux qui disent « Territoires occupés » et même « Cisjordanie » et les invite à dire « Judée-Samarie »]. [Les Iraniens sont supérieurs aux Arabes en tout. Même l’islam dans ses formes les plus élaborées est le fait de l’Iran. Et pourquoi l’Iranien est-il supérieur à l’Arabe, me demandera-t-on ? Parce que ce dernier n’était qu’un gardien de chèvre avant l’islam tandis que l’Iranien était imbibé de mille doctrines et de la philosophie antique. C’est aussi pourquoi l’Iran a fécondé l’islam, cette religion de frustres, copie effroyablement pauvre et maladroite du judaïsme]. [Le général glorifie les techniques des ingénieurs de Xerxès, notamment des pontonniers chargés de faire traverser les Dardanelles à son armée afin de « donner une leçon aux Grecs ». Mais à ce que je sache, les Grecs étaient eux aussi extraordinairement avancés, et plus que les Perses, ces glorieux ennemis, ingénieurs grecs et architectes grecs, sans oublier ces chefs militaires grecs qui en quelques batailles décisives, navales et terrestres, écrasèrent les Perses bien plus nombreux avant de soumettre leur immense empire. Désolé général !]

Le général rappelle à raison les défaites romaines face à l’Iran. Il se lance dans des énumérations prestigieuses, de doctrines, de penseurs, de poètes, de savants, de mouvements patriotiques (1), etc. Il appelle l’Iranien d’aujourd’hui, cet homme aliéné, à s’immerger dans cet océan de culture. Il pose des rafales de questions, parmi lesquelles la suivante : « Que savent-ils (les Iraniens) de ces contrées lointaines où la culture iranienne a rayonné ? En d’autres termes, que savent-ils de l’Iran au-delà des frontières ? » Les étrangers se sont efforcés de couper les Iraniens de leurs origines, d’où l’inquiétude existentielle de ces derniers. Les pires d’entre eux ont été les Arabes qui se sont employés à faire entrer l’Iran dans le rang des pays dénués d’histoire afin de mieux le dominer. Le général déplore l’acculturation des Iraniens de l’exil, une élite d’un certain point de vue, volontiers issue des grandes universités occidentales, mais qui oublieuse de sa propre histoire ne pourra en écrire une autre.

Le livre du général s’articule en quatre parties, soit  : « Réflexion des Azadegan sur la construction de l’Iran », « L’Économie », « L’Art de gouverner » et « La Politique culturelle » ; il se termine sur un communiqué : « Appel à la Nation du 19 juin 1980 ». Je n’en ferai pas une recension et je vous invite à la lecture de ce livre de moins de cent pages écrit avec un bel enthousiasme et débordant d’amour pour un pays, l’Iran, l’Iran multi-millénaire. Je me contenterai de relever quelques remarques qui me séduisent particulièrement ; certaines font écho à des idées qui me visitent depuis des années, plus ou moins spontanément.

 

Première partie. Les Iraniens et leur gnose ont enrichi l’Europe médiévale bien plus que ne l’ont fait les Arabes. La gnose islamique de l’Iran est irriguée par des sources diverses dont le bouddhisme, le zoroastrisme, la philosophie pahlavi et khosronavi, les religions manichéenne et chrétienne, le mazdakisme, etc. Cyrus le Grand encouragea la philosophie d’Ahura Mazda. Dans l’Article deux de la Proclamation des Azadegan, il est écrit que la liberté de la femme est inscrite dans l’antique culture iranienne. Le matriarcat avait des antécédents à l’époque où les Aryens s’installèrent en Iran. Hélas, l’invasion de cultures primitives a fait de la femme une marchandise avec, notamment, le mariage temporaire qui n’est qu’une forme déguisée de prostitution. « Mais le pire, c’est le linceul noir, ce voile laid et humiliant, symbole des périodes obscures du nomadisme, qui nous fait paraître très primitifs et méprisables, notamment aux yeux des étrangers. Quant à la polygamie, il vaut mieux ne pas en parler. Voyez comme elle fait de la femme un être qu’on méprise, qu’on rabaisse et qu’on rend malheureux. »

Les Azadegan prônent la séparation du spirituel et du temporel, du religieux et du politique. Le général écrit : « La politique, avec ses multiples méandres, ses mensonges et ses ruses, n’est pas du ressort du prêtre. » Les Azadegan refusent toute religion officielle et, de ce fait, aucune religion ne peut être considérée comme minoritaire.

Les réflexions de Zoroastre sur la dynamique des contradictions de l’existence humaine précèdent de plusieurs millénaires celles de Hegel.

 

Deuxième partie. Notre culture ancestrale, zoroastrienne, blâme la pauvreté et loue la richesse ; elle s’élève contre ce hadith du Prophète qui loue la pauvreté. Le dénuement et l’indigence incitent aux idées laides et malignes. Il s’agit avant toute chose de concilier les ressources matérielles et les besoins de l’homme pour un socialisme libéral (non marxiste). Le socialisme a en Iran des précédents historiques ; voir le mouvement de Mazdak. « Quel dommage que ce grand idéal fût réduit au silence par Khosrow Anushirvan et que ce roi tyrannique qui élimina Mazdak et ses partisans en un jour fût appelé Anushirvan le Juste. Hélas, hélas, si le Shah avait assenti aux idées élevées de Mazdak, jamais l’Iran ne serait tombé aux mains des Arabes. » Parmi les différents modèles de socialisme, la social-démocratie qui est en accord avec l’idéal des Azadegan. Ci-joint, un lien intitulé « The Religion of Mazdak » :

http://www.cais-soas.com/CAIS/Religions/iranian/mazdak_religion.htm

 

Troisième partie. Les apogées de l’Iran, soit six fois en trois mille ans : les Achéménides, les Arsacides, les Sassanides, les Abbassides (empire fondé et gouverné par les Iraniens), les Seljoukides (dynastie fondée par les Turcs mais dont les gouvernants étaient iraniens), les Safavides.

Les Grecs, ennemis des Iraniens, ont reconnu leurs qualités humaines. Héraclite, Démocrite et Platon furent séduits par la doctrine zoroastrienne. Il faudrait célébrer Cyrus l’Achéménide qui sut faire preuve de bienveillance envers les vaincus et qui respecta leurs religions et leurs coutumes. Il faudrait célébrer Darius mais aussi le gouvernement des Arsacides et leur inclinaison vers le mithraïsme. Sous les Sassanides, une religion officielle fut instituée ainsi qu’une monarchie héréditaire qui remplaça la monarchie élective des Arsacides. Les quatre dynasties suivantes gouvernèrent selon des principes religieux et, de ce fait, elles connurent le destin tragique des Sassanides. Ce sont des preuves historiques qui montrent que religion et politique doivent être strictement indépendantes l’une de l’autre. Sous les Sassanides, les soulèvements de Mani, de Mazdak et des Chrétiens nestoriens contre l’arbitraire du clergé s’acheva par la tragique domination arabe. Toutes les dynasties qui suivirent celle des Arsacides s’effondrèrent aussi parce que le religieux s’était emmêlé avec le politique. Le général fait l’éloge des Parthes dont l’excellence tenait d’abord à ce que la nomination des hauts fonctionnaires se faisait non pas à partir de critères dynastiques (héréditaires) mais des qualités personnelles et des compétences. Le roi en personne détenait son pouvoir d’une assemblée d’élus qu’il consultait et écoutait.

 

Quatrième partie. Dans cette quatrième partie, un chapitre s’intitule « La simplification de l’écriture persane » et un autre « Le début de notre histoire ». Le général (voir sa biographie) est un ardent défenseur du persan. Il vante la richesse de son alphabet, un patrimoine qu’il décrit de la page 80 à 82 de l’édition en question. Il reconnaît toutefois que cette richesse (cette complexité) est un obstacle au progrès de la science dans le pays ; et il se propose d’exposer ses imperfections (au nombre de vingt-cinq) dans un ouvrage à venir. Dans « Le début de notre histoire », le général insiste une fois encore sur l’ancienneté de la culture iranienne que certains esprits malveillants veulent faire commencer à l’Hégire (622). Et avant les Achéménides, il y eut les Mèdes. Il convient par ailleurs d’étudier les dynasties encore plus anciennes, comme celles des Pishdadian et des Kayanian :

http://heritageinstitute.com/zoroastrianism/legendary/index.htm

Ci-joint, une notice biographique mise en ligne par Iran Chamber Society sur cette personnalité iranienne, le général Bahram Aryana :

http://www.iranchamber.com/personalities/bariana/bahram_ariana.php

Et ci-joint le lien le plus riche (en français tout au moins) sur le fondateur de l’Ordre des Azadegan :

http://www.aryana2500.fr

 

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(1) Parmi ces mouvements, la shu’ubiyyeh, un mouvement nationaliste issu de races asservies par les Arabes et cherchant à se libérer de leur joug ou, tout au moins, à marquer une différence entre arabisation et islamisation. Chez les Iraniens, ce mouvement prit divers aspects : dynastiques, politiques, religieux, culturels. Citons également les Mo’tazélites, défenseurs d’un courant créé dans la première moitié du VIIIe siècle, par le Persan Wasil Ibn ‘Ata, et dont les principaux représentants sont chiites et défendent le principe du libre arbitre. Citons également les Qarmates, mouvement qui conteste la domination des Arabes au Xe siècle. Et n’oublions pas les Ismaéliens et la société des « Frères au cœur pur » dont le livre majeur s’inspire largement de la science pythagoricienne des nombres [où je pourrais en revenir à Simone Weil]. Les Ismaéliens apparus à la fin du XIe siècle furent atrocement persécutés et durent prendre les armes pour combattre le fanatisme. « Ainsi ont-ils rejoint ce courant historique de la lutte que les Persans intellectuellement indépendants ne cessèrent de livrer contre le caractère dogmatique des idéaux politiques et religieux de l’Islam. »

 Olivier Ypsilantis

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