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En lisant « Pour une éthique iranienne » du général Bahram Aryana – 1/2

 

Baram Aryana avec des officiers israélienLe général Bahram Aryana (1906-1985), deuxième à partir de la gauche, et le général Hassan Toufanian avec des officiers israéliens au quartier général de l’IDF, en 1975.

 

J’ai devant moi « Pour une éthique iranienne », un livre-manifeste. En quatrième de couverture, on peut lire : « Pour une éthique iranienne est la première formulation idéologique en termes clairs du nationalisme iranien. » Ces pages ont été traduites, présentées, annotées par Yseult Aude Henry (1), éditées chez Conti-Fayolle (1, Quai de Conti – 75006 Paris). Dans sa préface, rédigée à Paris en septembre 1981, Yseult Aude Henry évoque dans un style à la fois contenu et ardent la personnalité du général Bahram Aryana.

Afin de lutter contre le régime théocratique instauré par l’Ayatollah Khomeyni, le général Bahram Aryana fonde à Paris l’Organisation des Hommes Libres, le 11 février 1980, et publie le manifeste « Pour une éthique iranienne ». Il y expose ses idées maîtresses avec la volonté déclarée de structurer et de propager une idéologie nationaliste mais aussi de concevoir un cadre constitutionnel faisant appel à l’histoire du pays et capable de garantir la liberté individuelle.

Lorsque je me suis mis à étudier l’idéologie du général Bahram Aryana, j’ai compris que nous avions des intuitions communes — les siennes étant bien sûr plus étayées que les miennes. J’ai volontiers exprimé ces intuitions dans un certain nombre d’articles et d’interventions diverses. En étudiant la vie et la pensée de cet homme, je me suis senti moins seul. On étudie, on ne cesse d’étudier, et d’un coup, un homme se découvre et on éprouve à son égard une sorte de gratitude, de reconnaissance : un phénomène assez rare pour mériter d’être noté.

Mon intuition me souffle (à moi le sioniste irréductible, l’amoureux d’Israël) que l’entente durable viendra du côté de l’Iran, au-delà de ce régime qui passera mais du peuple qui restera ; et j’espère ne pas faire preuve de naïveté. Il existe certes un très grand danger (je me répète) : que les Iraniens instrumentalisent les Arabes, un danger d’autant plus grand que l’Iranien est mentalement infiniment plus doué que l’Arabe. Je ne crains pas d’assener de telles généralités et les assume avec une férocité joyeuse.

Avant de présenter brièvement la vie et la pensée du général Bahram Aryana, je me permets de faire part d’une brève analyse qui prend appui sur l’histoire de l’Iran. Ce n’est pas la haine d’Israël qui anime l’Iran mais le désir de rompre un sentiment d’encerclement qui ne procède en rien d’une paranoïa nationale. Il suffit par exemple d’étudier l’histoire de ce pays au cours de la Deuxième Guerre mondiale, avec pression russe au nord et pression anglaise au sud, puis la vie politique de Mohammad Mossadegh, grand Iranien et homme d’honneur, pour commencer à entrevoir le bien-fondé de ce sentiment, son assise historique et géopolitique. L’Iran vit dans un perpétuel sentiment d’encerclement, imposé tant par les Arabes que par les Occidentaux. Je fais ce rêve pas si fou que l’Iran et Israël (cerné par la haine arabe) pourront mutuellement s’extraire de ce sentiment et entreprendre une coopération féconde dans tous les domaines, coopération qui aura pour effet, entre autres effets, de marginaliser l’ensemble du monde arabe.

Mais j’en reviens au général Bahram Aryana, ancien chef d’état-major des forces armées iraniennes, avec quelques faits marquants de sa carrière :

Le général séjourne en France à deux reprises. Une première fois à Paris pour parfaire sa formation à l’École Supérieure de guerre (en 1951-1952) tout en poursuivant des études de droit dans la capitale française où il obtient son doctorat en 1955 avec une thèse intitulée « Napoléon et l’Orient ». Une deuxième fois à l’occasion d’une mission diplomatique.

En 1942, l’occupation de son pays par les Alliés et l’exil de Reza Shah blessent le jeune officier qu’il est. Il organise la résistance contre les Anglais dans les montagnes du Sud du pays. Il est arrêté et emprisonné jusqu’à la fin de la guerre.

Au cours de l’automne 1964, alors que l’Iran est menacé d’éclatement par une guérilla active dans les provinces du Sud, guérilla soutenue par l’étranger, le général est désigné par Mohammad Reza Shah pour y mettre fin. Après plusieurs mois d’opérations, il pacifie les tribus rebelles en les isolant les unes des autres.

Ce succès lui vaut d’être promu chef d’état-major des forces armées en 1967. C’est au cours de cette période qu’il rédige un traité d’art militaire, « La guerre en territoire iranien », traité qui fait de lui le premier théoricien de la guerre iranien.

En 1969, lors du conflit frontalier entre l’Irak et l’Iran, le général présente sa démission afin de créer les conditions objectives d’un règlement du contentieux par le shah et par les voies diplomatiques à une époque où l’Iran subit encore l’influence anglaise.

Placé dans un relatif retrait, le général devient l’inspirateur d’un petit cercle universitaire, « Les Quatre Compagnons », des intellectuels qui font des disciples. C’est ainsi qu’en 1975 naît le Mouvement national des Azadegan d’Iran (Azadegan, pluriel de Azadeh, le preux chevalier), un mouvement désireux de contrer l’emprise grandissante des marxistes et des islamistes en s’opposant à la politique du shah qui favorise le cléricalisme dans le but d’affaiblir le communisme.

Suite à la proclamation, en février 1979, de la République islamique d’Iran, le général reprend la lutte contre les forces cléricales à l’origine de l’insurrection de 1964 dans les provinces du Sud de l’Iran, insurrection soutenue par l’Ayatollah Khomeyni qui élabore en 1969 un modèle de conquête du pouvoir s’inspirant point par point du modèle de « Gouvernement islamique » élaboré dans les années 1930, en Égypte, par les Frères musulmans. L’avatar iranien des Frères musulmans est né au cours des années 1930-1940 d’une organisation qui porte le nom suivant : « Les Sacrifiés de l’Islam » (voir Leonard Binder : « The Ideological Revolution in the Middle East », Ed. Krieger, Huntington, New York, 1979, pp. 40-48).

L’arrivée sur la scène politique de l’Ayatollah Khomeyni incite le général à écrire une histoire politique et culturelle qui stigmatise le fanatisme en se référant à des courants de pensée humanistes dont se sont inspirés des mouvements politiques nationalistes. Il consigne ses réflexions dans un manifeste intitulé « La doctrine des preux chevaliers », présenté sous le titre « Pour une éthique iranienne ». En février 1980, il fonde l’Organisation des Preux Chevaliers d’Iran, établissant son cadre structurel (idéologique, politique et militaire) et vivifiant le mouvement fondé en 1975. Le 19 juin 1980, il lance un appel solennel au pays et rallie de nombreux opposants à la République islamique d’Iran, tant militaires que civils, avant de devenir Commandant en chef des Forces armées de libération de l’Iran. Le 21 juillet 1980, il dirige l’ « Opération Tabarzin » qui montre que l’union des factions patriotiques s’est faite autour de lui. Ci-joint, un curieux document ina.fr qui, je l’espère, incitera le lecteur à quelques recherches :

http://www.ina.fr/video/CAB8101460001

Et un article du New York Times du 22 août 1981 intitulé : « Iran Exiles plan new military acts » :

http://www.nytimes.com/1981/08/22/world/iran-exiles-plan-new-military-acts.html

Face à la théocratie communiste, le général Bahram Aryana propose un modèle de liberté où l’Iranien est invité à se pencher sur ses origines et, ainsi, à redevenir le créateur de son avenir et de celui de sa patrie. C’est pourquoi il élabore une idéologie nationaliste formellement exposée et dotée d’un cadre institutionnel riche en références historiques.

Le général Bahram Aryana est l’auteur d’un certains nombre d’écrits. Outre sa thèse de doctorat (« Napoléon et l’Orient » soutenue en 1955, à Paris), ses œuvres traitent essentiellement de l’art militaire et de la civilisation persane. L’un des titres se rattachant à cette dernière catégorie est éloquent : « La destruction de l’histoire et de la culture iraniennes par les étrangers ».

Le préambule à ce manifeste invite l’Iranien à se revivifier au contact de son antique culture, à retrouver la mémoire — les valeurs — des Azadegan, des hommes libres, des chevaliers dont l’arme essentielle était la force morale.

 

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(1) Yseult Aude Henry est l’auteur de « Pensées politiques de Ayatollah Khomeyni. Présentation thématique au travers de ses écrits et discours depuis 1941 ». Par une sélection de textes de l’Ayatollah Khomeyni sur les rapports entre Islam et politique, Yseult Aude Henry rend compte de la pensée moniste de ce dernier.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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