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Un climat délétère – 2/2

 

« Il ne faut pas confondre antisionisme et antisémitisme, soit, je vous l’accorde ! Mais permettez-moi de vous dire que ces deux choses ne sont pas séparées par une cloison résolument étanche mais par une simple membrane par ailleurs poreuse. »

Olivier Ypsilantis

 

Pierre-André TaguieffPierre-André Taguieff (né en 1946)

 

Le terreau de l’antisionisme et de l’antisémitisme est donc riche en apports divers. Une bonne partie des élites françaises (mais il me faudrait mettre élites entre guillemets), « converties au pro-palestinisme dont l’envers est la diabolisation d’Israël » (dixit Pierre-André Taguieff) sont restées relativement indifférentes à la tuerie du 9 janvier 2015, porte de Vincennes, une tuerie qui visait exclusivement les Juifs. Tout le monde était Je suis Charlie. Pour ma part, face à ce relatif silence, face à cette « honteuse complaisance de certains secteurs de la population » (dixit Pierre-André Taguieff), je me suis gardé d’afficher et de brailler ce slogan. Je suis juif m’allait mieux. Ainsi que le signale Pierre-André Taguieff, on trouve de bon ton lorsqu’on dénonce l’antisémitisme de dénoncer dans la foulée le racisme — mot par ailleurs fourre-tout et stupidement générique qui laisse entendre entre autres choses que les Juifs constituent une race. Et puis, comble du conformisme fier de lui-même, on dénonce dans la foulée l’islamophobie, on sonne le tocsin en dénonçant un accroissement global du racisme, de la xénophobie, de l’antisémitisme, de l’islamophobie et j’en passe. A ce que je sache, aucun Musulman n’a encore été assassiné en France parce que musulman. Il est vrai que nos élites ont quelque raison d’être inquiètes : à force de refuser de nommer, la guerre civile est un scénario qui sans être inéluctable doit être sérieusement envisagé.

Pierre-André Taguieff : « La symétrie entre islamophobie et judéophobie relève de l’escroquerie intellectuelle et morale. »  Exact ! La grande manifestation parisienne du 11 janvier 2015 fut une manifestation fourre-tout. On manifesta d’abord contre l’attaque visant Charlie Hebdo. Pensez donc, qu’un hebdomadaire de gauche soit attaqué de la sorte par les chouchous de la gauche ! Des millions de Français virent leurs repères sauvagement brouillés. L’attention médiatique se concentra donc presqu’exclusivement sur cet attentat avec cette manifestation d’une ampleur jamais vue depuis la Libération a-t-on répété à l’envi. La mobilisation pour les victimes juives de l’Hyper Casher fut quant à elle confidentielle et à dominante juive. C’est triste, infiniment triste, mais ce n’est en rien étonnant avec ce dénigrement systématique d’Israël dans les médias nationaux (pensons notamment à l’AFP) et dans les officines de la République, comme le Quai d’Orsay.

Bien des braves gens effrayés par la frénétique complexité du monde veulent lui trouver une explication, autrement dit le simplifier et radicalement. Le « Juif » a beaucoup trop servi à « expliquer » le monde (voir les « Protocoles des Sages de Sion ») ; alors, pourquoi ne pas remplacer « le Juif » par « Israël » ? Ils sont aujourd’hui assez nombreux (euphémisme) à penser (sans oser nécessairement le dire) que si Israël disparaissait de la carte, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, que les Arabo-musulmans de France et de Navarre se calmeraient et deviendraient nos potes. Israël, le fauteur de troubles ! Haro sur Israël ! Oubliée la paix avec l’Égypte (signée en 1979), avec rétrocession intégrale du Sinaï ; oublié le plan de partage de la Palestine (1947), accepté par David Ben Gourion ; oubliées les propositions présentées par Ehud Barak à Yasser Arafat (Camp David, juillet 2000). La liste des concessions israéliennes est longue ; mais elles ne peuvent en aucun cas intéresser ceux qui envisagent le sionisme comme une entreprise de conquête mondiale — ils sont très nombreux, et pas seulement en terre d’islam.

Pour l’heure, je ne vais pas m’attarder sur les racines de l’antisionisme de droite et de gauche. Un mot, simplement. L’antisionisme recrute dans des catégories socio-culturelles aussi diverses que variées. Rappelons que les communistes et les gauchistes qui se sont affrontés sur maintes questions ont élaboré une même hostilité au sionisme. Curieux, tout de même. La cause palestinienne reste le fétiche des badernes grisonnantes bourgeoisement engagées dans diverses luttes à caractère « humanitaire » voire « révolutionnaire ». Le seul nom « Israël » leur donne de l’urticaire et, à l’occasion, des coliques néphrétiques. Dénoncer le sionisme est devenu une marque de respectabilité qui assure le maximum de confort moral. L’antisionisme est un sofa où se prélasser, où se vautrer. Il est par ailleurs instructif de noter que les contempteurs du sionisme ne se donnent jamais la peine d’étudier le sionisme (un sujet d’une richesse et d’une densité particulières), ne serait-ce que pour fortifier leurs attaques. Aussi se contentent-ils de mots d’ordre et d’idées convenues. Il est vrai que le conformisme antisioniste est si massif qu’il faut avoir du punch pour l’affronter.

En Europe, détester les Juifs fait généralement sale — mais pour combien de temps ? La détestation d’Israël quant à elle fait l’unanimité. C’est une marque de respectabilité, de bas en haut et de haut en bas de l’échelle sociale, chez les «de-souche » et chez les CPF (« chance-pour-la-France »), plus extravertis. Cette détestation n’est pas nécessairement violente ; elle sait être silencieuse, comme je l’ai montré dans la première partie de cet article. Car, je le redis, s’il y a en France une hargne arabo-musulmane très particulière, il y a aussi une hostilité discrète, tranquille et de bon ton, fort répandue dans des couches de la population nullement arabes, nullement musulmanes.

Pierre-André Taguieff : « Marceline Loridan-Ivens, écrivain et scénariste, ancienne déportée à Auschwitz-Birkenau, interviewée sur France Inter le 27 janvier 2015, a justement posé cette question rhétorique : ‟Vous croyez que les Français seraient descendus dans la rue si on n’avait tué que des Juifs il y a quinze jours ?” » Et l’auteur poursuit : « Après la tuerie de l’école juive de Toulouse du 19 mars 2012, les Français ne sont en effet nullement descendus en masse dans la rue. Les millions de « Républicains » qu’on a vu défiler en France le 11 janvier 2015 n’ont pas cru bon de protester en mars 2012 contre le meurtre de trois enfants juifs, tués à bout portant par le jihadiste Merah. »  A méditer.

 
 
Marceline Loridan-Ivens

Marceline Loridan-Ivens (née en 1928)

 

Je me répète, mais qui sont-ils ceux qui mettent leur nez dans les affaires d’Israël sans jamais s’être donné la peine de connaître ce pays et son histoire ? Ils vont du sous-entendu à l’agressivité ouverte. Diffamations, analogies abusives, refus de la nuance, l’exception érigée en règle, les procédés rhétoriques des contempteurs d’Israël ne manquent pas. Procès expéditif (l’accusé n’a pas même droit à la parole) et verdict inexorable.

Étrange tout de même : les contempteurs d’Israël et du sionisme ne se préoccupent que de leur confort et de leur pouvoir d’achat, de leur diététique et de l’analyse de leurs selles (prévention du cancer du colon oblige), et pourtant… Des mots les sortent à coup sûr de leur douce torpeur ; parmi eux : « Israël », « sionisme », « Gaza » et j’en passe.

Israël est entré dans l’Histoire et, de ce fait, il n’a pas les mains immaculées ; il serait stupide et contreproductif de ne pas l’admettre. Il ne sert à rien de placer Israël dans une sphère idéale, détachée du monde et flottant dans l’éther. Mais sous prétexte qu’Israël n’a pas les mains immaculées, faut-il pour autant vouloir les lui couper ? Plus j’étudie l’histoire de ce jeune pays et plus je l’aime, avec ses qualités et ses défauts, plus les dénonciations des antisionistes me semblent minables et destinées à cacher quelque chose de plus profond…

Le succès mondial de l’Affaire Al-Durah a plusieurs explications. L’une d’elles est souvent tue car elle remue un vieux fond particulièrement puant. Avant même de savoir si l’enquête était fiable, on s’est immensément ému. Pourquoi ? Parce que cette dénonciation allait dans le sens des dénonciations séculaires de crimes rituels, dénonciations concoctées dans le monde médiéval chrétien et qui lanceront des métastases loin dans l’espace et dans le temps.

Ainsi que je l’ai signalé, les antisionistes ne se préoccupent que de « morale » étant entendu qu’ils sont en possession de la Vérité et de la Justice. Ils n’ont que faire de l’Histoire et de ses complexités. Savent-ils par exemple que depuis 1967, le Sinaï, le sud-Liban et la bande de Gaza ont été évacués, avec ou sans accord, respectivement en 1982, 2000 et 2005 ? Mais ils s’en foutent. Israël existe et ils éructent.

 

Olivier Ypsilantis     

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