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Jacob Kaplan – 5/6

 

Alors que nous étions réunis en foule (lors d’une cérémonie à la mémoire des déportés, à Drancy, en 1947), nous associant aux prières faites par les rabbins et les officiants, on entendit des cris véhéments de protestation et d’indignation. Un missionnaire, protestant je crois, s’était mis à distribuer à ces pères, à ces mères, à ces enfants pleurant leurs morts, des brochures les incitant à renier la foi de leurs disparus et à devenir chrétiens. (Jacob Kaplan dans un entretien avec Pierre Pierrard)

 

L'affaire FinalyGermain Latour est avocat. Son étude sur l’affaire Finaly a été publiée aux Éditions Fayard en 2006.

 

Dans l’après-guerre, des théologiens prennent le titre de ‟nouveaux théologiens” (catholiques) et développent une interprétation tout simplement effroyable qui revient à acquitter les criminels de toute responsabilité (à en faire de simples pions de la Providence) et à donner une justification théologique aux souffrances du peuple juif. 1946, Daniel-Rops publie ‟Jésus et son temps” (un livre qui connaît un succès de vente inégalé) dans lequel il se montre d’une rare violence envers les Pharisiens. Par ailleurs, il présente Ponce Pilate comme un joujou entre les mains du Sanhédrin. Jules Isaac qui est alors occupé à la rédaction de ‟Jésus et Israël” est terrifié par les propos de Daniel-Rops à qui il écrit ; il ne recevra jamais de réponse. Jacob Kaplan ne prend pas part à ce débat. Trente ans plus tard, il expliquera que ces théories donnaient une signification théologique chrétienne à la Shoah. Le monde protestant n’est pas épargné par ce type de justification ; voir à ce sujet l’article de Jean Bosc, ‟Le Mystère d’Israël” dans l’hebdomadaire Réforme. Jacob Kaplan réagit à cette interprétation scélérate. Il se bat également contre les tentatives prosélytes. Dans un sermon, il déclare : ‟Encore si Israël était un peuple de religion inférieure (…) j’aurais compris le zèle de ces convertisseurs. Mais qu’ont-ils donc à nous offrir de grand, de beau, de noble que nous n’ayons déjà, bien plus, qui n’ait été pris de notre religion (…) ?”. Le problème des conversions au christianisme constitue l’une des principales préoccupations des dirigeants de la communauté juive de l’après-guerre. Jacob Kaplan tente d’endiguer la désertion massive des Juifs vers le christianisme. Des convertis vont être instrumentalisés par les prosélytes, tel le grand rabbin Israël Zolli. Ci-joint, un lien de Noémie Grynberg intitulé ‟Le rabbin qui croyait au Christ” :

http://www.noemiegrynberg.com/pages/articles-les-mieux-notes/le-rabbin-qui-croyait-au-christ.html

Parmi les prises de position à ce sujet, l’impossibilité d’appartenir à la fois au judaïsme et à une autre religion notamment chrétienne ; voir le cas du futur cardinal Lustiger. Dans une allocution de 1955, Jacob Kaplan tente de raisonner ceux qui pensent se mettre à l’abri en apostasiant. Par ailleurs, il apporte son soutien à l’historien Jules Isaac qui mène un combat pour une réforme de l’enseignement du catéchisme — l’enseignement du mépris. Il rédige un mémoire en dix-huit points intitulé ‟L’antisémitisme chrétien et les moyens de le combattre par le redressement de l’enseignement chrétien”. L’action de Jacob Kaplan va conduire aux ‟Dix points de Seelisberg” (du nom de cette ville de Suisse où se tient la réunion du 30 juillet 1947). Ci-joint, ces dix points présentés par Akadem :

http://www.akadem.org/medias/documents/Seelisberg-Doc2.pdf

Ces dix points (dont le maître-d’œuvre est Jules Isaac) vont être à l’origine d’un profond changement dans l’attitude de l’Église vis-à-vis de la Synagogue et du peule juif. Ils préparent Vatican II. Par ailleurs, la conférence de Seelisberg va être à l’origine de l’Amitié judéo-chrétienne, en France. Elle va également soulever la responsabilité de l’enseignement chrétien dans la Shoah.

Juillet 1948, une deuxième conférence inter-confessionnelle a lieu à Fribourg ; elle invite à réfléchir à l’application des dix points de Seelisberg. Entre ces deux conférences, l’État d’Israël a été créé. Les participants chrétiens à ces conférences publient leur soutien moral au nouvel État. Survient l’affaire Finaly dans laquelle Jacob Kaplan va tenir un rôle de première importance. Cette affaire va permettre au grand rabbin de s’imposer comme le leader spirituel de la communauté juive de France. Ci-joint, un lien de Catherine Poujol intitulé ‟Le grand rabbin Jacob Kaplan et l’affaire Finaly : guide, porte-parole et négociateur de la communauté juive” :

http://www.cairn.info/revue-archives-juives-2004-2-page-32.htm

L’intervention de Jacob Kaplan va éviter une fracture qui sait irréparable entre Juifs et Chrétiens. Un combat judiciaire privé va être porté sur la place publique, notamment suite à la publication d’un article de Wladimir Rabi intitulé ‟L’affaire Finaly met en jeu l’honneur de l’Église”. A cette publication s’ajoute la plaidoirie de Maître Maurice Garçon, l’un des plus prestigieux avocats d’alors, une plaidoirie en faveur de la famille Finaly, contre le jugement de Mlle Brun, une plaidoirie qui va bouleverser les juges et l’opinion publique. Jacob Kaplan suit l’affaire attentivement et depuis le début. Il a très vite le sentiment que l’Église catholique consent plus ou moins implicitement au rapt des entants Finaly et que l’ordre de Notre-Dame-de-Sion a en tête de les convertir. Comme l’affaire Dreyfus, l’affaire Finaly divise la France en deux camps.

La rencontre entre le père Chaillet et Jacob Kaplan va faire avancer l’affaire, une affaire qui traîne et qui joue avec les nerfs de beaucoup. Jacob Kapaln déclare devant les fidèles : ‟Nous ne laisserons pas l’affaire Finaly se transformer en affaire Mortara”. De fait, la non résolution de cette affaire laisse planer un danger, elle crée un précédent : qu’un nourrisson juif confié à une nurse chrétienne soit baptisé et que l’Église invoque ses droits pour opérer un rapt religieux.

L’affaire traîne. La communauté juive est nerveuse, et à raison. Certains de ses membres en viennent à accuser Jacob Kaplan d’avoir traité avec l’Église et se s’être fait rouler dans la farine lors de l’accord passé en février 1953 avec le père Chaillet. Jacob Kaplan publie au nom du rabbinat français un communiqué sans appel contre les responsables de l’Église catholique française. Parallèlement, il fait savoir que sa colère épargne des individus tels que le père Chaillet, le cardinal Gerlier et Germaine Ribière. Ci-joint des liens sur ces trois personnalités :

Le père Pierre Chaillet :

http://www.fondationresistance.org/pages/rech_doc/pierre-chaillet_portrait8.htm

Le cardinal Pierre-Marie Gerlier :

http://www.ajpn.org/juste-Pierre-Marie-Gerlier-1246.html

Germaine Ribière :

http://www.yadvashem-france.org/les-justes-parmi-les-nations/les-justes-de-france/dossier-367/

Selon Jacob Kaplan, l’une des clés de cette affaire tient au fait que l’Église a dévié de sa doctrine traditionnelle selon laquelle un enfant juif baptisé dans le christianisme, même sans l’accord de ses parents, ne peut être rendu à sa famille naturelle. Au sein de la communauté juive, nombreux sont ceux qui reprochent à Jacob Kaplan d’avoir négocié avec le représentant des ravisseurs — l’Église. C’est notamment le cas de Moïse Keller qui, comme Maître Maurice Garçon, juge que l’on ne doit la restitution des enfants qu’à la décision de justice du 23 juin 1953. Jacob Kaplan quant à lui ne croit pas à l’efficacité du pouvoir judiciaire français ; aussi adopte-t-il une attitude pragmatique permettant aux catholiques de revenir sur leur erreur sans avoir à se désavouer publiquement. Que vaudrait une victoire judiciaire sans le retour des deux enfants retenus en Espagne, supposément jusqu’à leur majorité ? Quoi qu’il en soit, la restitution des enfants Finaly baptisés par l’Église marque une rupture avec l’affaire Mortara et constitue une première dans l’histoire des rapports entre les Juifs et l’Église. Après avoir tergiversé, l’Amitié judéo-chrétienne publie une déclaration sans équivoque qui dénonce des baptêmes immoraux, rétablissant ainsi des relations détériorées entre Juifs et Chrétiens de France.

L’heureux dénouement de l’affaire Finaly ne met pas fin aux critiques dénonçant la stratégie adoptée par le rabbinat, plus particulièrement par Jacob Kaplan. Mais celui-ci refuse de se laisser aller à la vengeance judiciaire car, au-delà de l’affaire Finaly, il a en tête de renforcer le judaïsme de France.

Avec l’affaire Finaly, l’antisémitisme peut volontiers se cacher derrière l’antisionisme — voir les attaques à l’encontre du ‟sioniste (Moïse) Keller”. Certains en viennent à accuser les Juifs d’être responsables de l’antisémitisme par leur engagement contre l’Église. Des catholiques se déclarent même victimes d’un racisme juif. Cette affaire permet de suivre le lien plus ou moins subtil de l’antijudaïsme, à l’antisémitisme, à l’antisionisme enfin.

Le dialogue inter-religieux n’est pas interrompu pour autant. Jules Isaac en est l’un des principaux initiateurs. Après une rencontre décevante avec Pie XII, en octobre 1949, Jules Isaac s’entretient en juin 1960 avec son successeur, Jean XXIII, ce qui prépare un processus d’ouverture qui se poursuivra tout au long des travaux du concile Vatican II, d’octobre 1962 à octobre 1965. A noter, la reculade de la troisième à la deuxième session car la dénonciation fondamentale par l’Église de l’accusation de déicide est supprimée. A noter également la mauvaise volonté des patriarches orientaux tout au long de ce processus. Jacob Kaplan reconnaît la valeur de Vatican II tout en regrettant que le texte original ait été modifié dans Nostra Aetate. Il juge qu’il faudra encore beaucoup de temps pour que les consciences et les cœurs des Chrétiens se transforment.

 

Guerre des Six JoursGuerre des Six Jours (5-10 juin 1967). Des soldats israéliens devant Jérusalem.

 

Olivier Ypsilantis

(à suivre) 

 

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