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Voyage en Iran, avril 2014 – 10/11

 

25 avril. Départ d’Ispahan. En route vers Natanz. Paysages désertiques. Une fois encore, j’observe les travaux de l’érosion. Le soleil est encore bas et les ombres sont longues. Des strates, la mémoire tectonique. Des ombres sont coupantes, d’autres sont émoussées. De la broussaille gris-vert et des lointains poudrés d’une limaille de même tonalité. Un caravansérail du XVIIIe siècle, ses moignons en pisé. L’entrée reste imposante, avec son bel arc iranien intact. Une fois encore, chaque arbre semble être un miracle — et j’en vois, là-bas, quelques arbres bien verts, pins et platanes. Les marques de l’homme sont rares, hormis la route que l’autocar emprunte et parfois des lignes électriques. Des hauteurs enneigées. Une muraille de strates érodées. Natanz, trois kilomètres. Des arbres !

Arrêt au mausolée de Shaykh ‘Abd al-Samad, un soufi de l’ordre Suharwardi. Ce qui attire d’emblée l’attention du visiteur est sa pointe octogonale recouverte d’une riche faïence. C’est l’une des premières architectures décorées de zellige. Frises de calligraphie en relief, du cursif et du coufique. La plupart des éléments décoratifs de cet ensemble édifié de 1299 à 1312 ont été démontés par les Anglais et sont aujourd’hui au Victoria and Albert Museum. Magnifique minaret entièrement recouvert d’émail. Devant cette construction, un groupe de platanes colossaux forment un cercle. Ils se ramifient dès leur base. Leurs feuilles sont plus fines et plus découpées que celles de nos platanes. A l’intérieur de ce cercle, la fraîcheur est divine.

 

Shaykh 'Abd al-Samad Mosque, Natanz, IranLe mausolée de Shaykh ‘Abd al-Samad, à Natanz, détail.

 

Sur la route. Une quarantaine de kilomètres dans une région montagneuse. Reduce speed. Frein moteur. L’écrasante et exaltante amplitude asiatique. Et toujours de la neige dans les hauteurs. Kâshân 65 km. A quelques kilomètres de Natranz. Des installations militaires avec nombreux canons antiaériens. Des soldats mains dans les poches sous des filets de camouflage qui servent surtout à leur donner un peu d’ombre. Un village fortifié (en pisé) à l’abandon. L’autocar s’engage dans une vallée désertique où survivent quelques tamaris couverts d’une vaporeuse floraison rose-mauve (un miracle dans ce désert) qui font venir des souvenirs atlantiques d’étés à l’île d’Yeu. Quelques kilomètres plus loin, ce sont des platanes et des peupliers au feuillage d’un vert soutenu. D’autres souvenirs viennent, des marches au sud de Teruel le long du Túria où s’épanouissaient des peupleraies et du maïs dans un désert d’un rouge ardent.

Halte à Abyaneh, un village presqu’à l’abandon. L’air frais des hauteurs. Les habitants sont âgés. Les femmes portent un foulard généralement très coloré et à motifs qui leur tombe sur les épaules ou plus bas encore. Certaines vendent de fines tranches de pâte translucides comme de l’albâtre (de la prune, me semble-t-il). Tout en marchant, je pense une fois encore à Albarracín, ce village ocre d’Espagne (province de Teruel), l’un des plus beaux villages du pays. Mon œil va d’un élément d’architecture à un autre, il détaille des matériaux : un balcon fait de troncs et de branches à peine dégrossis, des brins de paille qui luisent dans le pisé. Trois forteresses sont implantées autour du village ; la population s’y réfugiait en cas de danger. D’un toit, je contemple l’immensité iranienne. Quelques peupliers au loin, en contrebas. Une fois encore, les montagnes sont comme poudrées de vert. Des strates ocre rouge comme les façades de ce village. Une forteresse en pisé à l’abandon est constituée d’un vaste quadrilatère pourvu d’une tour cylindrique à chacun de ses angles. Dans les ruelles en terre battue, l’érosion a découvert de la pierraille grise. Le bois ne manque pas ici, contrairement à tant d’autres régions d’Iran. Il fait partie intégrante de la construction qu’il soutient et rythme. Les femmes d’Abyaneh n’aiment pas être photographiées, ce qui est inhabituel en Iran. Les hommes portent des pantalons particulièrement amples mais différents du pantalon kurde qui tend à se resserrer dans le bas. D’une petite mosquée en restauration du XIe siècle sort un souffle de fraîcheur. Dans une cour, une odeur de bois lavé. Un homme passe le jet d’eau et la brosse autour d’une pergola de fortune à laquelle s’agrippent deux pieds de vigne jusqu’à une hauteur d’environ six mètres. Le tourisme est pour l’heure essentiellement iranien, ce qui ne le rend pas navrant comme le tourisme international où tout le monde pousse tout le monde. Beaucoup de jeunes venus de Téhéran et d’Ispahan. Une fois encore, je prends note de la beauté des Iraniennes.

Ci-joint, deux vidéos présentent ce village ancien entre tous dont la couleur ocre est due à la forte présence d’oxyde ferreux :

https://www.youtube.com/watch?v=S936VAuh8zM

https://www.youtube.com/watch?v=S936VAuh8zM

 

OLYMPUS DIGITAL CAMERAAbyaneh, région de Natanz, une villageoise

 

Déjeuné d’une viande grillée accommodée aux herbes fraîches et au jus de grenade et d’un fromage blanc aire-doux et onctueux. Devant moi, des hauteurs poudrées de vert antique et striées d’ocre rouge que crèvent des roches grises. On ne peut qu’être amoureux de ce pays.

Vers Kâshân. Mon guide : ‟Pour un Iranien rien n’est meilleur qu’une source et qu’un arbre”. Il faut avoir visité ce pays pour saisir toute la densité de cette remarque. Ici, on se surprend à remercier Dieu pour la source et pour l’arbre. Arrêt dans un cimetière en bord de route, face à un paysage immense. Devant ces tombes si simples (quelques pierres plates fichées dans le sol gris), je pense à ces petits cimetières chiliens de la Cordillère des Andes — un même dénuement dans la mort. Sur chaque tombe est gravé de diverses manières le symbole du cyprès, un symbole partout présent en Iran — le cyprès, symbole de l’éternité et du Paradis ; et ce symbole qui figure sur les tombes des chiites était déjà vénéré par les Zoroastriens. A ce propos, il y me faudrait étudier les spécificités de l’islam chiite iranien et son substrat en partie zoroastrien. Ci-joint, un lien de La Revue de Téhéran  (N° 34 sept. 2008) intitulé ‟La symbolique des arbres chez les Iraniens” :

http://www.teheran.ir/spip.php?article788

Ci-joint, un article extrait de Revue de l’histoire des religions, intitulé ‟Sanctuaires et sainteté chez les zoroastriens d’Iran” :

http://rhr.revues.org/5371

Sitôt qu’il y a un peu d’herbe verte et quelques arbres, il n’est pas rare de voir des familles manger, boire, deviser autour d’une pièce d’étoffe tendue sur le sol où sont disposées nourriture et boisson.

L’autocar passe devant Natranz : réseaux de barbelés, miradors particulièrement imposants et pièces d’artillerie antiaérienne un peu partout. J’y pense, au cours de ce voyage, pas un Iranien n’a évoqué la possibilité d’une guerre avec Israël ou les États-Unis et ses alliés. Étrange. Par ailleurs, je n’ai vu que très peu de soldats et je trouve un climat de relative insouciance. Autour des pièces d’artillerie, des bergers et leurs troupeaux. Au bord de la route, une eau claire coule dans un petit canal. Nous passons devant ce site hautement protégé et dont le nom suffit à susciter une grande inquiétude en Israël, en Europe et aux États-Unis. Et on laisse des touristes prendre des photographies et des vidéos ! Étrange pays ! Je me souviens qu’en URSS dans les années 1970 puis en Roumanie dans les années 1980, je me suis fait supprimer des pellicules pour avoir photographié des passants parmi lesquels des soldats. On m’a fait comprendre sans ménagement que de telles photographies pouvaient porter préjudice à la sécurité du pays…

Kâshân, visite de la Abâssi House, XVIIIe siècle. Sa superficie est de 5 500 m2. Cette énorme surface s’explique par le fait que cette demeure (comme d’autres demeures dans ce genre) abritaient des familles au sens clanique du mot, soit dans ce cas une quinzaine d’adultes diversement apparentés, leurs enfants et la domesticité. Par ailleurs, il s’agissait d’un lieu de vie privée mais aussi professionnel. Au centre, le bureau du maître des lieux, un riche commerçant. Particulièrement remarquables sont les délicats ajourés en plâtre sertis de verres de couleurs, des couleurs très denses. Un labyrinthe de fraîcheur, une sobriété générale, une antique élégance. Dans la cour, inscrit dans le stuc, le plus iranien des symboles : le cyprès.

Kâshân, visite de la Tabatabai House. La marque qadjâr avec profusion de stucs délicats et une marqueterie de miroirs. Le faste décoratif de cette vaste demeure obéit à de stricts principes fonctionnalistes ainsi qu’à des règles d’économie de matériau et d’énergie — n’oublions pas que nous sommes dans une oasis. L’aile nord était occupée pendant les mois d’été et l’aile sud pendant les mois d’hiver où les températures nocturnes ne dépassent guère 0° C. Un sous-sol (qui à certains endroits s’enfonce à plus de dix mètres) a été conçu pour les jours les plus chauds de l’année ; il reprend le plan du rez-de-chaussée. Au centre de la cour, un bassin rectangulaire de belles dimensions et assez profond.

Il y a dans la ville de Kâshân plus de tours de vent que de minarets. Étudier la typologie de ces tours. Kâshân fut l’une des oasis les plus prospères d’Iran. Kâshân fut réputé dès l’époque des Seldjoukides pour ses céramiques et faïences. Jusqu’au XVIIIe  siècle, cette ville resta un centre important de tissage. Sous les Safavides, elle bénéficia du patronage de Shâh Abbâs Ier (1587-1629) qui exprima sa volonté d’y être enterré. Les vastes demeures de marchands (dont les deux ci-dessus) constituent l’essentiel de son patrimoine.

Un excellent lien à caractère synthétique intitulé ‟Les spécificités du chiisme iranien” :

http://www.liranpourlesnuls.net/2010/02/08/les-specificites-du-chiisme-iranien/

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

 

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