Skip to content

Quelques notes estivales – 3

 

“Ja se sap : les coses d’aquesta vida pugen i baixen. Ja ho formulà Montaigne : La vie est ondoyante”, écrit Josep Pla. 

 

A la Fundació Josep Pla, Carrer Nou, 49-51, à Palafrugell. C’est ma troisième visite à la maison où est né le 8 mars 1897 Josep Pla, un lecteur passionné. Dès l’école primaire, il se met à dévorer les livres. Outre ses qualités d’observateur, il a une mémoire hors du commun : la qualité de l’observation suscite la qualité de la mémoire. Celui qui écoute retiendra mieux que celui qui entend. Sur les panneaux explicatifs, je retrouve ce bonheur de comprendre sans peine une langue que je n’ai jamais étudiée, un bonheur que j’ai éprouvé il y a peu en lisant des poèmes en galicien de Rosalia de Castro.

 

Josep PlaJosep Pla (1897-1981)

 

1925, année de publication de son premier livre important, ‟Coses Vistes”. Josep Pla multiplie les voyages et les articles dans la presse, catalane essentiellement. Au cours de la Guerre Civile, Francesc Cambó (dont il écrira une biographie politique) lui commande ‟Historia de la Segunda República Espanola”. J’ai cette somme sous les yeux, soit quatre volumes publiés par Editorial Destino, les deux premiers en 1940, les deux autres en 1941. Josep Pla ne cesse de voyager pendant presque vingt ans, notamment en tant que correspondant de presse. Ses premiers livres sont avant tout des chroniques de voyages. Il ne cesse d’observer, de lire, d’écouter et de discuter. Notons qu’au cours de la Guerre Civile, il doit fuir la Catalogne républicaine (en septembre 1936) car il est menacé de mort en tant que collaborateur de la Lliga. Il se réfugie à Marseille où il vit avec Adi Enberg, une norvégienne née à Barcelone qui travaille pour les services d’information et de propagande franquiste à l’étranger. En janvier 1939, il rentre à Barcelone avec les troupes franquistes. Dans les années 1940, il vit en Catalogne, le long de la Costa Brava surtout. Il parcourt les villages, parle avec les pêcheurs, les paysans, les artisans. Il publie des guides volumineux sur la région, dont ‟Costa Brava”. Dans les années 1950, il voyage beaucoup, notamment en Israël (en 1957). L’année suivante est publié ‟Israel en los presentes días”. J’ai sous les yeux l’édition de Editorial Sudamericana, 1958. Il ne voyage plus en tant que correspondant ; il travaille à des livres et non plus à des articles. Par ailleurs, il met à profit la longueur de ses déplacements (il voyage volontiers à bord de pétroliers ou de cargos) pour écrire et réécrire des livres. En 1956, Editorial Selecta entreprend l’édition des ‟Obres Completes”, en vingt-neuf volumes. Ce grand voyageur et ce prestigieux journaliste ne cesse d’œuvrer pour sa patrie, la Catalogne ; en effet, il pressent que le tourisme et la spéculation immobilière vont faire disparaître une certaine Catalogne. Le projet avec Editorial Selecta échoue. Josep Pla signe un contrat d’exclusivité avec Edicions Destino de Josep Vergés qui, en 1966, mettent en chantier la publication de l’‟Obra Completa” avec ‟El quadern gris”. A sa mort, en 1981, Edicions Destino ont publié trente-huit volumes, d’autres suivront.

Une salle de la Fundació est exclusivement consacrée à ‟El quadern gris”. J’en consulte le très beau facsimilé publié aux Edicions Destino : ‟El primer quadern gris. Dietaris 1918-1919”. Parmi les traductions françaises, citons ‟Le cahier gris”, publié chez NRF Gallimard, traduit du catalan par Serge Mestre. Josep Pla a toujours présenté ‟El quadern gris” comme s’il avait acquis sa forme définitive dès le début, en 1918-1919. Ce n’est qu’en 1997, à l’occasion du centenaire de sa naissance, que la première version en est présentée au public qui peut alors la comparer avec l’édition de 1966, la première. Le manuscrit original est un journal, sans titre, rédigé dans un cahier à couverture grise, d’où le titre. Josep Pla n’a cessé de retravailler la première version de cet écrit, et jusque dans les années 1960. Il a réécrit des paragraphes, il a supprimé et ajouté des passages, par exemple en insérant des articles qu’il avait publiés dans la presse. Bref, il n’a cessé de rapetasser cet écrit de jeunesse dont il a éliminé des passages qui ne correspondaient pas à l’image qu’il avait alors de lui-même — ou à l’image qu’il voulait qu’on ait de lui-même. Au début des années 1960, il travaillait encore à ce livre, notamment en insérant des passages extraits de livres déjà publiés.

 

Israel, 1957 par Josep Pla

 

25 juillet. L’appartement dans les pins. La lune rouge. Le graphisme des pins, ce graphisme que n’auront cessé d’interroger la peinture chinoise et l’estampe japonaise. Les murs blancs de la chambre sur lesquels j’aimerais relever des inscriptions ou tout au moins un signe. Mais rien, rien qu’une légère trace de sang, probablement un moustique écrasé. Le thé le matin et le muscat le soir, sur la terrasse.

Hier, Barcelone vue d’en haut. Les souvenirs ont afflué avec la Estación de Francia, la statue de Cristobal Colón et la ligne de verdure de Las Ramblas. L’hélicoptère en suspend devant l’abbaye de Montserrat nichée dans une masse rocheuse aux strates fortement usées (comme des canines limées) et d’un rouge délavé. De l’habitacle de l’hélicoptère, je détaille la géographie tant physique qu’humaine, les travaux de la nature et ceux de l’homme. Mon œil s’éprend des dessins de l’érosion et de la courbe d’une rocade.

En première page des journaux, une catastrophe ferroviaire majeure : un train modèle Alvia en provenance de Madrid et à destination de El Ferrol a déraillé dans une courbe, à environ trois kilomètres de la gare de Santiago de Compostela, probablement pour excès de vitesse. J’étais alors chez Patricia A., dans sa belle maison de Begur, contemplant de sa terrasse des fragments de Méditerranée derrière les pins, et savourant un muscat ambré dans un verre de fraîcheur. C’est à ce moment précis que quatre-vingts personnes étaient tuées. A table, Patricia m’a parlé avec tendresse de Georges Bensoussan et de sa femme qui furent ses invités, il y a peu. Elle m’a interrogé sur le projet israélien puis a magnifiquement évoqué Primo Levi qu’elle lit dans le texte, et Piccolo (Jean Samuel) qu’elle a rencontré plusieurs fois.

26 juilllet. En feuilletant la presse :

– On vient de découvrir à Atapuerca le plus ancien outil en Europe à ce jour. Il s’agit d’un silex d’environ trois centimètres, élaboré il y a 1 400 000 ans. Cette découverte et quelques autres tendent à prouver que la présence humaine a été permanente dans le sud de l’Europe depuis au moins 1 500 000 ans.

– Une nouvelle découverte d’importance pour la mémoire espagnole. Il y a quelques mois, lors d’une vente aux enchères sur Internet, des clichés de la Guerre Civile d’Espagne ont été achetés par Comisión de la Dignidad, une association qui s’est engagée pour le retour en Catalogne de los papeles de Salamanca. Les auteurs de ces photographies n’ont été identifiés qu’après coup. Mille trois cent quatre-vingts négatifs étaient rangés dans trois boîtes : dans deux boîtes métalliques, environ six cents négatifs de Barcelona entre 1931 et 1935 ; dans la boîte en bois, environ huit cents négatifs de la Guerre Civile d’Espagne, le front d’Aragon plus précisément. Les photographies de Barcelona ont été prises par Bartomeu Boix, tailleur de profession et photographe amateur. Celles de la Guerre Civile d’Espagne par son fils Francesc Boix. Une photographie de Robert Capa, prise en mars 1939, montre des réfugiés espagnols en transit entre Argelès et Le Barcarès. On y aperçoit Francesc Boix, une valise à la main qui contenait peut-être ces négatifs récemment retrouvés. Après restauration, ils seront cédés par Comisión de la Dignidad à l’Archivo Nacional de Cataluña. Rappelons que Francesc Boix s’est fait connaître par ses photographies du camp de Mauthausen dont certaines seront utilisées au procès de Nuremberg.

– Une photographie de Chema Madoz (Madrid, 1958). J’aime ses images poétiques et cérébrales, ses concepts élaborés avec le sourire.

 

Chema MadozUn exemple de l’esprit de Chema Madoz. Le concept poétique…

 

– Un article intitulé ‟Perdón a la sombra de las bombas”. Un discret acte de mémoire s’est tenu le 24 juillet dernier, à Barcelona, entre Rosina Costa, fille du pilote de bombardier, le lieutenant Luigi Costa, et Alfons Cànovas, fils d’une des victimes du bombardement du 19 janvier 1938 de l’Aviazione Legionaria auquel participait le père de Rosina Costa. Alfos Cànovas qui a quatre-vingt quinze ans s’est battu sur le front d’Aragon, au cours de la Guerre Civile de 1936-1939. Luigi Costa (1917-2010) aurait quatre-vingt treize ans. Elle lui a demandé pardon ; ils se sont embrassés et ont longuement discuté.

– En double page, de ‟El Mundo” du jour, un article sur les photographies prises par le jeune Manel Gausa (né à Vic, en 1933) dans le quartier aujourd’hui disparu de Somorrostro, un quartier gitan de la banlieue de Barcelona dont est originaire la danseuse Carmen Amaya (voir le film de Francisco Rovira Beleta, ‟Los Tarentos”, 1962). Ces photographies prises un matin de novembre 1958 viennent d’être publiées par Editorial Líniazero sous le titre ‟Somorrostro – Crónica visual de un barrio olvidado”.  Ce quartier situé au bout de la plage de Barceloneta, derrière les usines du Poblenou, consistait en une simple rue en terre battue construite avec des matériaux de fortune. Il fut détruit en 1966, à l’occasion d’une visite officielle de Franco. Manel Gausa et connu pour avoir photographié des célébrités du théâtre comme Raquel Meller, Adolfo Marsillach, Paco Martínez Soria, Enric Borràs et… Carmen Amaya. Cette série d’images constitue un précieux témoignage sur un monde disparu. Ci-joint, un article (en espagnol) de ‟La Vanguardia” rend compte de la parution du recueil de ces photographies, quarante-trois au total :

http://www.lavanguardia.com/local/barcelona/20130715/54377808964/barracas-somorrostro-manel-gausa.html

27 juillet. Llafranc, tôt le matin. Le graphisme des pins, autant d’idéogrammes. Sur la terrasse encore fraîche, je songe aux peintres chinois, à ces images surprises dans des livres et des revues d’art lorsque j’étais enfant, à ces espaces dans lesquels je me suis installé pour ne plus les quitter ; car, après tout, ce sont toujours vers eux que je reviens lorsque le monde me fatigue. Dans les espaces de la peinture chinoise, je suis chez moi, avec ce silence et ce vide ou ce presque rien : un pin ou un bouquet de bambou et quelques rochers. Je n’aurai cessé de penser à ces maîtres devant les pins-idéogrammes des calas de la Costa Brava.

Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*