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Le carnet vert – Israël, août 2013 – 2/5

9 août. Tel Aviv. Lever à 5h30 avec la lumière du jour, comme j’en ai pris sans peine l’habitude, ici. Le petit-jour rose pâle puis roux. Dans le dortoir du Beit Oded, huit lits. Je suis seul avec un ronfleur qui s’est progressivement calmé.

Sur le marché. Les parfums et les couleurs. L’interpénétration des sens : les parfums des couleurs, les couleurs des parfums… Les étalages de fruits séchés et d’épices sont les plus beaux avec leurs tonalités de fresques antiques. Et les pains d’Israël ! Marche le long du front de mer. Charles Clore Park. Jaffa, les bâtiments de l’administration ottomane, certains restaurés, d’autres en cours de restauration, dans un semi-abandon ou à l’abandon. Un souffle venu de la mer me transporte en Bretagne mais des vociférations psalmodiées par un minaret me soustraient à cette rêverie. Le Bauhaus Center Tel Aviv (99, Dizengoff st.). Les quelque quatre mille constructions années 1930-1940 classées au World Cultural Heritage par l’UNESCO en 2003. Au Rubin Museum (14, Bialik st.) installé dans la maison où vécut l’artiste, Reuven Rubin, de 1946 à sa mort, en 1974. Au troisième niveau, son atelier. C’est une œuvre inégale, un peu de bric et de broc mais néanmoins sympathique, qui offre un précieux témoignage sur la vie juive en Palestine où cet artiste d’origine roumaine est revenu en 1923, après avoir étudié à Paris. Son visage extraordinairement étroit et allongé.

 

Reuven RubinReuven Rubin (1893-1974), un autoportrait de 1914.

 

Au cours d’une promenade Internet, j’ai relevé les liens suivants intitulés ‟L’incorporation des Arabes chrétiens dans l’armée israélienne” et ‟Israël – Tsahal et les minorités” :

http://www.jforum.fr/forum/israel/article/l-incorporation-des-arabes

http://www.israel-infos.net/article.php?id=6806

Au Beit Oded, un Américain, la trentaine. Issu d’une famille évangélique, il a entamé il y a quelques années un processus de conversion au judaïsme. Il m’évoque les tensions que cette conversion suscite encore dans sa famille. Un autre Américain, la soixantaine, un chrétien, est marié à une Japonaise beaucoup plus jeune et désireuse de se convertir au judaïsme.

10 août. Marche dans Jaffa et Tel Aviv. Conversation avec un franco-israélien sur le manque de courage de la classe politique française, son clientélisme qui est à présent le seul carburant de son action, sa désespérante médiocrité, sa démagogie qui prépare les pires catastrophes sociales.

A l’angle de Rehov Ben-Yehuda et de Rehov Yosef Trumpeldor, un grand souffle d’air frais sèche ma sueur. Tout en marchant dans ce qui fut The White City, je détaille les façades afin d’en déduire les volumes intérieurs et d’étudier aussi précisément que possible l’application des principes du Bauhaus. Dans les années 1930-1940, Tel Aviv s’est construite selon le projet d’une ville idéale mais sans la froideur que cette désignation laisse supposer. Tel Aviv, ce sont d’abord ses arbres le long des rues, avenues et boulevards. Je m’efforce de surprendre les souffles venus du large ; aussi vais-je d’un axe parallèle à un axe perpendiculaires au rivage, et inversement. Jour de Shabbat. Très peu de circulation, ce qui permet de déambuler plus librement et d’écouter le chant des oiseaux. Sur les trottoirs, je remarque une fois encore la présence de grandes cages grillagées utilisées pour le recyclage des bouteilles en plastique. Je pense alors à une œuvre conceptuelle du Nouveau Réalisme : les accumulations d’Arman. Les très belles jambes d’une cycliste, longues, fines, nerveuses.

 

original_Bauhaus design-Tel Aviv-Alex JilitskyTel Aviv. Une construction style Bauhaus ou International Style.  

 

Retour au café, à l’angle de Meir Dizengoff st. et David Ben Gurion blvd. où j’avais commencé la rédaction d’articles consacrés à Jabotinsky alors que le vent soufflait en rafales et que l’averse tombait, très oblique.

11 août. Départ de Tel Aviv. C’était la fin du ramadan, hier. Les mahométans ont laissé quantité de détritus dans le beau Charles Clore Park, sur le front de mer. On se demande s’ils l’ont fait par simple négligence ou à dessein : n’auraient-ils pas plaisir à salir ce pays qui a pour nom Israël, le seul pays du Proche-Orient où pourtant les Arabes vivent aujourd’hui en paix. Il faut oser le dire quitte à provoquer les ricanements et les haussements d’épaules de ceux — très nombreux — pour lesquels Israël a été, est et sera toujours coupable de tout.

Vers le camp de Mishmar HaNeguev, au nord-ouest de Beer Sheva. Le Central Bus Station de Tel Aviv, un authentique labyrinthe. On peine à passer d’un niveau à un autre. Partout des étalages de pains et de pâtisseries. Israël, un concentré du monde.

Arrivée au camp de Mishmar HaNeguev, plus avenant que celui de Tze’elim. Des soldats nous remercient de venir les aider. Je découvre un carré de pelouse devant le bâtiment où nous serons logés. A droite, une petite synagogue ; à gauche, une place d’appel (lever des couleurs à 8h30) et le réfectoire spacieux, avec air conditionné. La nourriture est peu variée mais excellente, avec ces légumes frais et ces fromages blancs onctueux. Healthy food.

L’après-midi, travail de manutention et de rangement. Durant la pause, je poursuis la lecture de ‟The Flight of Ikaros”, à l’ombre d’un acacias, sur le carré de pelouse ; je suis transporté à Athènes, au Pirée et dans le golfe Saronique. Le soir, bonheur d’une douche après la chaleur, la sueur, la poussière.

12 août. Rangement dans des entrepôts. Nettoyage et vérification de paquetages avec trousses de premiers soins, gilets pare-balles, casques et leurs filets de camouflage. Le sous-officier qui nous dirige est un séfarade, bourru et autoritaire mais qui, après chaque tâche accomplie, nous remercie chaleureusement par le geste et la parole ; il n’est pas rare qu’il nous prépare du café et nous offre des gâteaux et même des glaces.

Conversation avec M. J’apprends à apprécier toujours plus ce pirate des Caraïbes. Je ne m’étais pas trompé : cet homme à beaucoup à dire. Il possède une très vaste culture et ses jugements riches en paradoxes désignent de profondes perspectives. C’est une véritable encyclopédie de l’histoire militaire et de l’armement ; son père était officier supérieur dans l’Armée rouge.

Office dans la synagogue du camp. Une fois encore, j’éprouve cette souffrance très particulière d’être confronté à une langue que je ne comprends pas et dont je peine à déchiffrer les caractères. Mais les balancements de l’officiant et de l’assistance me soulagent momentanément.

 

DCIM100MEDIALe carré de gazon de la base de Mishmar HaNeguev. Au fond, le réfectoire ; à gauche, dans le renfoncement où a été peint un drapeau israélien, la place d’appel où nous saluons le drapeau à 8h30.

 

13 août. Lever 6h. Petit-déjeuner avec toujours ces excellents fromages blancs. De 7h à 8h30, en compagnie de Kevin Andrews. Je lis : ‟The past was more exciting than untrodden continents or unexplored heavens or the inconceivable future because these, by definition, have not yet touched our lives; it is easy to mistake the threshold we’re already standing on for a shadow ahead still only looming”, une belle réflexion qui me reconduit au concept de substrat qui m’est si cher.

Rangement et emballage dans un entrepôt. Le sous-officier distribue les ordres avec force gestes. Bourru et autoritaire, attentif et généreux. Gravement blessé par des éclats d’obus dans le dos, au cours de l’opération ‟Paix en Galilée” (juin 1982), il ne peut porter des poids qui excèdent quatre kilogrammes.

Le soir, discussion à propos du judaïsme. J’écoute puis deviens loquace : le judaïsme est bien une centrale nucléaire avec des réactions en chaîne génératrices d’une énergie en constante expansion. En comparaison, l’islam est un parent pauvre et qui le sait, d’où son agressivité.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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