Skip to content

L’anarcho-capitalisme – 2/2

‟All of the services commonly thought to require the State — from the coining of money to police protection to the development of law in defense of the rights of person and property — can be and have been supplied far more efficiently and certainly more morally by private persons. The State is in no sense required by the nature of man; quite the contrary”, écrit Murray N. Rothbard

L'anarcho-capitalismeHow do anarcho-capitalists compare with other anarquists ? Ci-joint, un lien d’une extraordinaire richesse qui ouvrira bien des perspectives aux curieux : http://www.ozarkia.net/bill/anarchism/faq.html

 

Bref aperçu des idées philosophiques de l’anarcho-capitalisme

La philosophe et romancière Ayn Rand (née Alissa Zinovievna Rosenbaum) n’est pas une anarcho-capitaliste stricto sensu ; il n’empêche qu’elle a exercé une influence marquée sur les théoriciens de ce mouvement. Pour Ayn Rand (1905-1982), la réalité est objective et chacun détermine ce qui est bon pour lui. L’individu se dirige vers les valeurs et les choix susceptibles de contribuer à son vrai bonheur. Rationaliste et athée, Ayn Rand juge que la nature de l’homme lui impose un code d’éthique rationnel qui ne peut que se fonder sur le fait naturel et, par conséquent, sur la valeur morale de l’égoïsme. Il en découle que l’altruisme n’est que de l’égoïsme bien compris, etc. L’homme, cet être rationnel, a le droit en tant que tel de ‟poser toute action requise par la nature d’un être rationnel pour le maintien, la poursuite, l’épanouissement et la jouissance de sa propre vie.” Les droits de l’homme se résument dans le droit pour un individu de faire usage de sa raison (à l’exclusion de toute coercition) pour mener sa propre vie. Raison et liberté vont main dans la main. Le droit naturel fonde tous les autres droits, à commencer par le droit de propriété sans lequel aucun droit n’a de sens.

En lien, la première interview d’Ayn Rand, en 1959. Elle y expose ses idées (durée environ 27 mn) :

http://www.youtube.com/watch?v=7ukJiBZ8_4k&list=PLE3F4C98C0DFE5A75

La pensée de John Locke irrigue la philosophie de l’anarcho-capitalisme. Deux de ses théoriciens majeurs, Robert Nozick et Murray N. Rothbard, se réclament de la théorie de la propriété exposée dans ‟Two Treatises of Civil Government” (1689). Pour John Locke, la propriété privée fait figure de nécessité naturelle, un droit qui procède de la propriété privée de la personne par elle-même. ‟Yet everyman has a Property in his own Person.” Propriété dans sa propre personne et dans tout ce que l’homme annexe par son travail. John Locke pose toutefois deux conditions à cette appropriation : la fameuse condition dénommée proviso lockéenne (‟At least where there is enough, and as good left in common for others”) et la condition de non-gaspillage. Cet état de propriété originel définit l’état de nature où les hommes vivent ensemble conformément à la raison, sans faire appel à une autorité supérieure pour arbitrer leurs différends. Précisons que l’état de nature lockéen diffère de la violence originelle telle que la définit Thomas Hobbes. Selon John Locke, la loi de la nature (ou droit naturel) à laquelle les hommes sont soumis est un don de Dieu et s’impose à la raison. Cette loi naturelle établit l’égalité naturelle des hommes entre eux.

Il est vrai que si l’état de nature ne suppose pas nécessairement l’état de guerre, John Locke reconnaît que ses inconvénients poussent les hommes à édifier une société civile — ou société politique — pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs biens — en un mot, de leurs propriétés. Entrer en société, c’est accepter de se soumettre à un juge. Mais attention, le contrat social tel que le dessine John Locke ne s’étend qu’à ceux qui le concluent entre eux, unanimement, tandis que les autres sont libres de rester dans l’état de nature. Les anarcho-capitalistes vont faire leur cette proposition et en tirer toutes les conséquences.

Dans ‟Anarchy, State and Utopia», Robert Nozick reprend la doctrine de John Locke relative aux droits individuels absolus et les déborde. Il apporte sa pierre à la philosophie politique qui définit les droits individuels et forme un sous-ensemble de l’éthique ; cette dernière comprend l’ensemble des règles qui doivent gouverner les relations inter-individuelles. Les anarcho-capitalistes se posent donc en défenseurs des droits des individus. Ces droits procédant de l’individualité de l’existence humaine ‟reflètent le fait de nos existences séparées”, ce qui est autrement plus pertinent que cette mystique du ‟plus grand bien social”. Seul l’individu peut donner un sens à sa vie. Au-delà de l’expérience, il y a ‟cette fugace et difficile notion qu’est le sens de la vie”. Enfin, et c’est important, les droits ne sont pas une rente, un canapé sur lequel s’affaler, ils véhiculent des contraintes à respecter dans nos rapports avec les autres. Je ne suis pas un simple outil, l’autre non plus. ‟Les contraintes imposées à l’action reflètent le principe kantien sous-jacent selon lequel les individus sont des fins et non pas seulement des moyens.” Les droits (individuels) sont des contraintes strictes qui s’appliquent à tout individu. Ces contraintes interdisent la violence, l’agression, la coercition physique et la menace d’en faire usage. Toutefois, ces comportements sont les seuls à être interdits afin de pouvoir définir des droits égaux et non contradictoires pour tous les individus. L’idée de justice (respect des droits individuels) conduit sans tarder à une théorie de la justice des possessions (entitlement theory of justice). Le droit général ne peut s’imposer à des droits particuliers. La charité forcée est sans valeur en tant que telle. ‟Les droits sociaux ne sont pas de vrais droits, ils en sont même l’antithèse puisqu’ils exigent l’imposition d’obligations positives qui constituent un viol des droits individuels. L’impôt s’assimile à des travaux forcés. S’il est moralement louable d’aider autrui, cela ne saurait être juridiquement obligatoire et imposé par la force. La justice sociale au sens de redistribution se situe aux antipodes de la véritable justice”, écrit Pierre Lemieux.

Les individus héritent d’actifs naturels dont ils sont les propriétaires absolus. Les différences d’un héritage à un autre sont moralement défendables et vouloir les égaliser revient à violer la propriété privée de la personne. La démocratie n’est qu’une forme de l’esclavage. L’individu est esclave de la majorité. Le citoyen est esclave de la collectivité — de l’État (voir les fables de Robert Nozick). L’État démocratique souverain nie à l’individu le droit de sécession, le droit de demeurer sur sa propriété et de vivre en marge des décisions prises par l’État.

 

Robert Nozick-youngRobert Nozick (1938-2002)

 

Murray N. Rothbard est le plus radical des anarcho-capitalistes. Mots-clés de la conception rothbardienne de la nature humaine : conservation, rationalité, propriété. L’homme est rationnel, il met en œuvre sa raison pour assurer sa conservation. De plus, il n’y a de raison qu’individuelle. Par les choix qu’elle lui impose, l’individu s’appartient. Ainsi que le signale Pierre Lemieux, ‟l’originalité de Murray N. Rothbard sera de mettre au point une théorie éthique systématique à l’appui d’un anarcho-capitalisme pur et dur.”

L’homme est donc guidé par une loi naturelle qui, accessible à la raison, l’incite à la poursuite de ses propres intérêts, au contrôle rationnel sur lui-même, à l’efficacité de la société et à la division du travail. L’homme cherche à préserver sa vie (morale naturelle) et ne peut donc s’autoriser le meurtre et le vol (éthique naturelle). Murray N. Rothbard distingue la morale (domaine général) du droit (domaine particulier) qui protège l’individu contre la violence d’autrui et définit des règles de légitime défense.

Murray N. Rothbard envisage l’homme comme un être rationnel et sociable qui pour parfaire l’épanouissement de sa nature rationnelle cherche à s’épargner les violences dont l’autre le menace. Les droits sont égaux en vertu de la règle d’universalité de la morale naturelle. Ces considérations générales ne suffisent pas pour autant à préciser la nature des droits individuels. Pour ce faire, Murray N. Rothbard va recourir à la théorie lockéenne du droit de propriété, soit : de la propriété privée de la personne par elle-même découlent les autres droits de propriété. De la règle d’acquisition originelle (voir Robinson Crusoe) à la légitimité des transferts par le don ou l’échange libres. On a compris que pour Murray N. Rothbard, l’état de nature est lockéen et non hobbien. Tous les droits individuels procèdent des droits de propriété. Ainsi, la liberté d’expression ne prend de sens qu’en fonction des droits de propriété existants. Par exemple, je n’ai pas à brailler mes opinions dans le salon du voisin si celui-ci ne m’y a pas invité. J’ai le droit de circuler librement mais pas celui de piqueniquer dans le jardin de l’autre s’il ne m’y a pas invité. La philosophie politique de l’anarcho-capitalisme peut être qualifiée de ‟propriétariste”.

Pour Murray N. Rothbard, le plus grand nombre n’a aucune valeur morale car, contrairement à ce que prétendent les utilitaristes (dont l’un des slogans est ‟le plus grand bien pour le plus grand nombre”), les principes moraux ne sont pas subjectifs. Pour la doctrine rothbardienne, l’éthique est objective, le droit naturel constitue le socle objectif (et obligatoire) des comportements subjectifs des individus. Dans la vision anarcho-capitaliste, les crimes et les châtiments n’impliquent que l’agresseur et l’agressé. Dans un système de justice privé, le conflit se règlera entre eux, loin de la lourdeur du système judiciaire étatique. Le droit naturel définit donc des droits individuels égaux pour tous et pareillement inviolables. Le droit naturel n’impose qu’une obligation négative, celle de ne pas interférer d’une manière coercitive avec la liberté dont jouissent pareillement les autres. Il n’y a pas d’obligation légale d’assistance à autrui. La morale et le droit sont deux domaines distincts. La morale relève surtout de la loi naturelle, de la préservation de la vie, le droit repose plutôt sur la propriété privée de la personne.

Pour Murray N. Rothbard, l’État est immoral voire criminel. L’impôt est du vol pur et simple : de l’illégalité de forcer un individu à faire des gestes en faveur d’un autre procède l’illégitimité de toute redistribution étatique. Outre cette activité criminelle, l’État en exerce une autre : en réclamant la souveraineté sur un territoire, l’État nie le droit des habitants de faire ce que bon leur semble de leurs propriétés légitimement acquises. Le seul souverain est l’individu pacifique. L’État viole les droits des individus, en conséquence, il doit être aboli.

J’ai une tendresse particulière pour Lysander Spooner (1808-1887), un homme au tempérament puissant, moins intellectuel que Murray N. Rothbard ou Richard Nozick. Lysander Spooner est un anarcho-capitaliste du meilleur cru qui a porté à son zénith cette idée que l’État est une ‟vaste organisation criminelle.” Pour Lysander Spooner, la justice s’identifie à une loi naturelle qui doit gouverner toute action humaine à l’encontre de tout décret arbitraire. Car un principe qui n’est pas naturel n’en est pas un. S’il existe un principe de justice, il est nécessairement naturel (comme la loi de gravité pour ne citer qu’elle), un principe de justice — principe naturel — qui soit objet de science (accessible à la raison), à connaître et appliquer donc. La justice (ou loi naturelle) implique des droits naturels, dont la propriété. La science de la justice est la science de tous les droits. Et les hommes savent naturellement qu’ils ne peuvent vivre en société sans respecter leurs droits mutuels. Ce sont les obligations légales. Par ailleurs, il y a les obligations morales dont chaque homme est exclusivement juge ; par exemple, aider les pauvres. Remarque de Pierre Lemieux : ‟Le droit découle de la morale, mais il n’en constitue qu’un sous-ensemble ; la morale déborde le droit. Tout ce qui est moralement justifié n’est pas obligatoire en droit ; seul le respect de la personne et de la propriété est légalement obligatoire.”

Lysander Spooner poursuit son raisonnement. Si la justice naturelle n’existe pas, alors aucun acte ne peut être qualifié d’injuste ou de malhonnête, en l’occurrence par l’État. Si la justice naturelle existe, la législation étatique qui s’y substitue ‟est simplement et toujours une intrusion, une absurdité, une usurpation et un crime.” Sa conception de l’État relève de la théorie de l’État de classe. La machine étatique — l’appareil d’État — cherche avant tout à se protéger, à se fortifier. C’est l’instrument de domination des forts sur les faibles. L’État est une association de voleurs. Lysander Spooner écrit : ‟Toutes ces lois (édictées par l’État) n’imposent pas plus d’obligations que n’en créent les ententes que les brigands, les bandits et les pirates jugent utile de conclure entre eux.” Les élections au suffrage universel ne sont que jeu de dupes et poudre aux yeux : ‟Un homme n’en est pas moins un esclave parce qu’on lui permet de choisir un nouveau maître une fois tous les tant d’années.”

J’aime décidément Lysander Spooner. Je vais me baigner dans les cascades d’eau pure qu’il désigne, loin de cette fange dans laquelle marinent les adeptes du socialisme et autres religions esclavagistes. L’un de ses compatriotes me désigne ces cascades, Henry D. Thoreau dont le livre ‟Walden ; or, Life in the Woods” (soit le compte-rendu sous une forme romancée d’un long séjour dans une cabane prêtée par son ami Ralph W. Emerson) reste inscrit dans ma mémoire en lettres de feu. Ces grands Américains me rafraîchissent et m’enivrent comme m’enivre l’air du large. Avec eux, je me sens comme le héros du célèbre récit de l’Américain Richard Bach, Jonathan Livingston le goéland.

Dans sa conclusion à ‟L’anarcho-capitalisme” (Presses universitaires de France, collection ‟Que sais-je ?”), Pierre Lemieux écrit : ‟L’anarcho-capitalisme affirme que l’anarchie qui a partie liée avec le capitalisme est possible et désirable. C’est un courant de pensée riche qui fait appel à des théories politiques et économiques parmi les plus avancées de notre temps. Réhabilitant à la fois la valeur du capitalisme et la faisabilité de l’anarchie, l’anarcho-capitalisme rénove le vieux rêve libertaire et l’idéal libéral.” Certes, ainsi que le précise Pierre Lemieux, cette doctrine reste inachevée et souffre d’incohérences liées au foisonnement des théories de ses différentes écoles. Il n’en reste pas moins que cette doctrine est hautement séduisante et qu’elle ‟impose une remise en question des idées collectivistes, étatistes et égalitaristes qui ont tant marqué le XXe siècle.” Elle invite en quelque sorte à changer l’eau du bain où macèrent des masses toujours augmentées. L’anarcho-capitalisme circonscrit les grandeurs et les misères de l’anarchisme et du libéralisme, ses parents ; par ailleurs, ‟il fournit un modèle et une Utopie libérale. Il apporte une contribution heuristique majeure à l’économie, à l’éthique, au droit et à la politique.” Entre Lysander Spooner et le Minimal State de Robert Nozick, mon cœur balance…

 ■

Ci-joint, une suite de questions où nous retrouvons la réflexion de Frédéric Bastiat que j’ai placée en exergue :

http://www.youtube.com/watch?v=MxYQb-WmB3g&feature=fvst

Ci-joint, un lien intitulé “Robert Nozick: Against Distributive Justice”. Je signale que de nombreux textes de ce penseur majeur de l’anarcho-capitaliste ainsi que de nombreuses études ayant trait à son œuvre sont consultables en ligne :

http://www.csudh.edu/dearhabermas/nozick01bk.html

Ci-joint, l’intégralité des écrits de Lysander Spooner, en cinq volumes, à télécharger en PDF et mis en ligne par ‟The Online Library of Liberty” :

http://oll.libertyfund.org/?option=com_staticxt&staticfile=show.php?title=2293

 

Olivier Ypsilantis 

 

2 thoughts on “L’anarcho-capitalisme – 2/2”

  1. Je tenterai de laisser un message sur tes deux derniers articles, passionnants. Pas facile dans la mesure où je suis d’accord avec tout ce que tu y écris. Concernant les « libertarians » et les « anarcho-capitalists », je ne vais pas me lancer dans un exposé (trop long). Simplement, comme base de départ, on peut poser que l’ « anarcho-capitalism » est une branche (a « subculture » dira-t-on) du « libertarianism ». Tu trouveras en ligne un certain nombre de liens (les meilleurs sont en anglais) qui analysent leurs rapports : (similitudes / différences). Encore merci pour tes articles si énergétiques.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*