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Je me souviens d’eux, les défunts – 1/2

 

Nous portons en nous le souvenir de défunts dont le nombre augmente à mesure que nous avançons en âge. Beaucoup sont venus à nous par le livre, le cinéma, la photographie, la musique ; en un mot, par leur œuvre. Les noms s’accumulent dans notre mémoire, plus ou moins précis, des noms prestigieux ou modestes. Il y a quelques jours, tout en marchant, je me suis mis à penser à une suite de ‟Je me souviens” qui rassemblerait une partie des défunts qui ont laissé une marque dans ma mémoire, une marque plus ou moins profonde, mais une marque. Cette suite pourrait être quotidiennement augmentée…

 

Mes parents en 1963

Mes parents, à l’Alpe d’Huez, hiver 1963. Ils ont la trentaine et la pomme entre eux n’est pas une pomme de discorde.  

 

Je me souviens de Charles Haas, je m’en souviens par une photographie de Paul Nadar et parce qu’il est le modèle principal de Charles Swann, selon l’aveu de Marcel Proust.

Je me souviens de Paul-Louis Landsberg, mort au camp d’Oranienburg. Je me souviens de ‟Réflexions sur l’engagement personnel”, un texte que lui inspira la Guerre Civile d’Espagne, un texte qui me semble toujours plus actuel.

Je me souviens d’Élise Weyer, l’épouse d’Émile Hoskier, brûlée vive avec sa fille Marie, dans l’incendie du Bazar de la Charité, en 1897.

Je me souviens de Jean-Marc Reiser. J’ai lu et relu tous ses albums dont j’admire encore l’anarchisme aigu et débridé.

Je me souviens de Bernard Rapp dont j’aimais la discrétion et l’élégance britannique.  

Je me souviens de Magda Goebbels. Je me souviens que c’est l’affaire Arlozoroff qui m’a conduit à m’intéresser à cette femme.

Je me souviens de Marcel Dassault. Je me souviens que le jour de ses obsèques, aux Invalides, une formation de ses derniers-nés — des Mirage 2000 — survola son cercueil à basse altitude :

http://www.dailymotion.com/video/xgrpyg_l-epopee-dassault-2006_news#.UXPwo2jvOaM

Je me souviens de Hans Hartung, de mon plaisir à détailler ses compostions gestuelles dans les livres d’art de ma mère, lorsque j’étais enfant.

Je me souviens du général Manuel Gutiérrez Mellado. Je revois sa frêle silhouette indignée, le 23 février 1981, à Las Cortes.

Je me souviens de Joe Brainard.

Je me souviens de François Jacob, prix Nobel de médecine 1965, décédé en avril 2013. Je me souviens d’avoir entendu son nom pour la première fois auprès d’anciens de la 2e D.B. qui évoquaient des souvenirs au cours d’un repas.

Je me souviens que Marie Bonaparte, arrière-petite-nièce de l’Empereur, fit appel à la chirurgie pour tenter de mettre fin à sa frigidité et prouver je ne sais quoi.

Je me souviens que Isodora Duncan mourut étranglée par sa trop longue écharpe, rouge me semble-t-il, qui se prit dans une roue de son cabriolet.

Je me souviens de Vladka Meed.

 

Maurice, mon grand-père paternel

Königstein im Taurus (Hesse), Grand Hôtel Königsteiner Hof, juillet 1919. Un groupe d’officiers français. Mon grand-père paternel se tient debout, le plus à gauche. Au mur, dans le cadre ovale, on devine une reproduction de ‟La cruche cassée” de Jean-Baptiste Greuze.

 

Je me souviens que Simone Weil fit volontairement l’expérience du monde ouvrier en 1934-1935, qu’elle travailla dans divers établissements pour finir comme fraiseuse aux usines Renault. Je me souviens que c’est à partir de cette expérience et de son ‟Journal d’usine” qu’elle écrivit ‟La condition ouvrière”.

Je me souviens que Darry Cowl s’appelait André Darricau (décédé en 2006). Georges Perec s’en souvient aussi dans ‟Je me souviens”. Je me souviens du célèbre duo des bègues, avec Jean Levebvre (décédé en 2004) :

http://www.ina.fr/video/I04300142

A ce propos, je me souviens que Jean Levebvre est intimement lié à mes premiers souvenirs parisiens. Ma grand-mère m’emmenait volontiers au cinéma et avec elle, j’ai vu ‟Le gendarme de Saint-Tropez” où Jean Levebvre tient le rôle du gendarme Lucien Fougasse.

Je me souviens de Lady Godiva et de ‟Peeping Tom”, une expression passée dans la langue courante.

Je me souviens qu’enfant, j’avais découvert dans un grenier une petite biographie illustrée consacrée à Hélène Boucher qui m’apprit que dans les années 1930, cette femme avait voulu tenter un raid du Bourget jusqu’en Indochine et qu’elle était tout de même parvenue quelque part du côté de Bagdad.

A ce propos, je me souviens que Georges Perec se souvient de Jacqueline Auriol, la femme “la plus vite du monde”.

Je me souviens que Georges Bataille s’intéressa à Erzsébet Báthory.

Je me souviens de Charlotte Corday, l’admirable meurtrière. Je me souviens de Fanny Kaplan qui malheureusement ne put que blesser celui qu’elle s’était promis de tuer.

Je me souviens d’Emmanuel Berl. Peu d’écrivains m’ont donné un tel sentiment de proximité. Je ne sais à quoi l’attribuer.

Je me souviens de Jean Bazaine. Je le revois à Saint-Guénolé. Il portait une casquette et une vareuse de marin breton. Nous avons devisé tout en marchant le long de la baie d’Audierne, sous une fine pluie d’été.

Je me souviens de Catherine Mansfield, de l’ambiance de ses nouvelles, ambiance aussi enveloppante que celle d’un roman de Marcel Proust ou d’une nouvelle d’Anton Tchekhov. Je me souviens de son visage délicat et de sa coiffure années 1920, style Louise Brooks.

 

Grand-père maternel

Mon grand-père maternel, en 1920. Il a vingt ans. 

 

Je me souviens que la mort de mon grand-père maternel fut mon tout premier contact avec la mort. J’avais onze ans. On chuchotait, on sanglotait et on sortait des mouchoirs à tous les étages. Une grand-tante se lamentait : ‟Qu’allons-nous devenir sans lui ?” Mes parents avaient décidé de ne pas laisser rentrer leurs enfants dans la chambre où reposait le défunt. Je fus tenté de pousser la porte pour voir la mort. Je me souviens que le soir même, je rentrai en voiture, à Paris, seul avec mon père. A Fontainebleau, alors siège de l’état-major des forces alliées en Centre-Europe de l’OTAN, je me souviens d’avoir aperçu par les vitres de la voiture des soldats américains qui chargeaient des tables et des chaises à bord d’un GMC. Nous étions en 1967 et le général de Gaulle avait décidé de congédier ses alliés, ce qui irritait mon père qui jugeait ‟le Grand Charles” décidément bien ingrat. Je n’ai que quelques souvenirs de cet ancêtre, né en 1900. Il était exceptionnellement grand pour un homme de sa génération, plus de 1 m 90, une taille qui lui avait valu d’être dispensé de service militaire. Impressionné par sa taille, je l’étais aussi par son front, très vaste. Je me souviens qu’il ne parlait guère mais qu’il ne perdait jamais une occasion de lâcher un bon mot et que cette manie lui causa des inimitiés.

Je me souviens de Félix Leclerc, d’une visite sur sa tombe, dans un petit cimetière de l’île d’Orléans, entre les bras du Saint-Laurent. Je me souviens de chaussures de sport usagées déposées autour et sur sa sépulture, des clins d’œil à l’auteur de ‟Moi, mes souliers”.

Je me souviens de la silhouette de plus en plus frêle du général Alain de Boissieu. Je me souviens du cercle des Anciens de la 2e D.B. qui autour de lui s’éclaircissait d’année en année.

Je me souviens d’Élizabeth de Wittelsbach, je m’en souviens par Romy Schneider dans ‟Ludwig ou le Crépuscule des dieux” de Luchino Visconti.

Je me souviens que Georges Perec était un gros fumeur et qu’il tenait sa cigarette d’une manière plutôt inhabituelle, entre le majeur et l’annulaire. Je me souviens qu’il avait une toute petite cicatrice au-dessus de la lèvre supérieure ; d’où son allusion au Condottiere d’Antonello da Messina. Ci-joint, un lien Akadem sur ce tableau qui tient une étrange place dans l’œuvre de cet écrivain :

http://www.akadem.org/medias/documents/5-Condottiere.pdf

Je me souviens de Käthe Kollwitz, de ses si vigoureux dessins, sculptures et gravures. Avec elle, le mot socialiste n’était pas galvaudé.

Je me souviens d’Indîrâ Ghandi et de Margaret Thatcher, de Catherine II de Russie et de Golda Meir, de ces femmes d’État qui surent marquer favorablement l’histoire du monde.

Je me souviens de mon cousin Loïck Fougeron, décédé le 13 février 2012, grand navigateur, alter ego de Bernard Moitessier. Je me souviens de soirées passées à lire ses livres de souvenirs, ‟Si près du cap Horn” et ‟Rayon vert au cap Horn”. Je me revois dans son bureau que montre la vidéo suivante :

http://www.youtube.com/watch?v=7DWB5-McgNU

Je me souviens que ce magnifique marin m’avait fait part de son vœux : que ses cendres soient dispersées au large de l’île de Groix. Je me souviens que c’est lui qui m’avait fait remarquer, au téléphone, que l’anagramme de mon prénom, OLIVIER, est… VOILIER !

Je me souviens du capitaine de Guitaut de la 13e Demi-Brigade de la Légion Étrangère, tué en mai 1940 à Narvik.

Je me souviens que, de son vrai nom, Emil Nolde s’appelait Emil Hansen et que son pseudonyme n’était autre que le nom de son village natal, dans le Schleswig-Holstein.

Je me souviens de Romy Schneider. Je me souviens que je ne l’ai jamais trouvée aussi belle que dans ‟Le Train”, dans le rôle d’Anna Küpfer. Lorsque j’appris sa mort, je ne savais pas que je l’aimais tant…

 

Romy Schneider dans Le Train

Romy Schneider (1938-1982) dans ‟Le Train” (1973) de Pierre Granier-Deferre, inspiré du roman de Georges Simenon. Elle a trente-cinq ans. Ci-joint, deux extraits du film : 

http://www.youtube.com/watch?v=BaD2_SxJxDQ

http://www.dailymotion.com/video/x4jk6v_le-train-6-6_shortfilms#.UY5Jx2jvOaM

 Olivier Ypsilantis 

2 thoughts on “Je me souviens d’eux, les défunts – 1/2”

  1. La photo de votre grand-père en uniforme militaire me fait penser à tous les miens emportés dans les tourments du 20 ème siècle. Avez-vous lu “l’Europe, une passion génocidaire” de Georges Bensoussan? A bientôt sur le net!

  2. Oui, je l’ai lu. Et son énorme étude, «Juifs en pays arabes – Le grand déracinement 1850-1975» m’attend. Je l’ai abondamment feuilleté mais j’aimerais en faire une lecture systématique. Avez-vous lu «Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire» ? Ce livre extraordinairement riche contient nombre de propositions originales. Par exemple, sur les rapports entre les tueries de la Première Guerre et celles de la Deuxième Guerre, la Shoah en particulier.

    Le grand-père en question, lui, a survécu à la guerre. Il s’est retrouvé en uniforme une dizaine d’années, entre vingt ans et trente ans. Deux années de service militaire, suivies de cinq années de guerre, notamment à Salonique et dans les Balkans, puis de deux années d’occupation dans la Sarre.

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