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Moïse Mendelssohn – 3/3

 

L’action politique

Moïse Mendelssohn n’a cessé d’interroger les rapports entre l’État et l’individu tout en rendant compte de la particularité du judaïsme. Dans un premier temps, il utilisa les Lumières afin d’intercéder en faveur des Juifs auprès de l’État ; puis il défendit l’égalité juridique dans l’optique du droit naturel, s’adonnant toujours plus à son rôle d’intercesseur auprès de ses coreligionnaires. Il reconnaissait la nécessité d’une coopération avec le pouvoir temporel sans jamais cesser d’affirmer qu’elle restait soumise à la volonté divine. Sa croyance absolue en la loi juive ne l’empêchait pas de juger qu’elle manquait de pertinence en politique pour cause de dispersion. Ainsi renonçait-il implicitement à envisager une direction politique juive.

 

Moïse Mendelssohn s’est efforcé de démontrer la convergence de la philosophie wolffienne et du judaïsme. Ce faisant, il suivait un programme de rénovation du judaïsme en affirmant la valeur de l’antique pratique juive : tradition de la philosophie et de l’exégèse mais aussi pratique rituelle — voir ses courriers au sujet de l’inhumation.

 

D’intercesseur (voir notamment l’affaire relative à la communauté juive de Dresde, en 1777), Moïse Mendelssohn se fit émancipateur en mettant en avant dans ses plaidoiries le principe des Lumières. Il posa ainsi les bases d’une complète révision de la situation juridique des Juifs. Entre 1774 et 1775, et à la requête du gouvernement prussien, il rédigea un traité sur les lois juives au sujet de la propriété. Il lui fournit aussi des informations sur les lois juives relatives aux testaments, contrats de mariage et héritages. En effet, le gouvernement prussien cherchait à étendre le pouvoir de ses tribunaux tandis que le rabbin de Berlin et les dirigeants de la communauté juive espéraient conserver leur rôle consultatif. Moïse Mendelssohn défendit donc la loi juive, distincte, immuable et contraignante, tout en acceptant le fait accompli — les restrictions déjà apportées à la compétence des tribunaux juifs —, car il savait que la bureaucratie prussienne ne ferait pas marche arrière.

 

L’intercession de Dresde et son livre les «Lois rituelles des Juifs» montrent que sa pensée politique s’intéresse toujours plus à la question des droits et non à celle de l’État, un intérêt qu’explique le fait que le Juif exclu du régime politique souffre d’une «oppression civique» qui perturbe sa réflexion politique. L’affaire de Dresde, en 1777, place donc le plaidoyer pour les droits des Juifs au centre de sa réflexion.

 

Un appel des Juifs d’Alsace (1779-1780) le conduit à participer à un mémorandum avec un certain Christian Wilhelm Dohm, journaliste politique et fonctionnaire prussien qui, à la demande de Moïse Mendelssohn, rédige un traité d’admission des Juifs à la citoyenneté, traité qui se fixe pour objectif de maintenir l’équilibre prôné par les Lumières entre l’État et les droits individuels, l’État se portant garant de ces droits. Après avoir accordé les droits aux Juifs, l’État se devait de superviser «l’amélioration civique» destinée à les rendre «moralement et politiquement meilleurs». Moïse Mendelssohn entre dans le débat en publiant une traduction allemande de «La défense des Juifs» de Menasseh Ben Israël (voir lien ci-après), un écrit par lequel ce dernier avait obtenu de Cromwell le droit pour les Juifs de revenir en Angleterre. Moïse Mendelssohn rédige une préface qu’il conçoit comme un appendice au livre de Christian Wilhelm Dohm. En soutenant son action, Moïse Mendelssohn exprime son désaccord sur la question des rapports entre la liberté civique et l’autonomie religieuse et sur le bannissement procédant de l’excommunication. Sa prise de position sur cette question procède de sa défense de la réconciliation foi/raison et du rôle éducateur de la religion. Cette préface à Menasseh Ben Israël va inciter un certain August Cranz (voir lien ci-après) à réitérer le défi lancé par Johann Caspar Lavater.

 

Un lien PDF Akadem concernant une figure majeure du judaïsme à Amsterdam, Menasseh Ben Israel :

http://www.akadem.org/photos/contextuels/2712_bio_Menasseben_Israel_Doc3.pdf

 

Un lien très dense où il notamment question d’August Cranz (1737-1801) :

http://labyrinthe.revues.org/index2873.html

 

Moïse Mendelssohn 3:3

L’opuscule de Christian Wilhelm Dohm : «Sur l’amélioration civique des Juifs». A cette traduction littérale, on préfère le titre suivant : «De la réforme politique des Juifs».

 

Considérant que Moïse Mendelssohn avait remis en question les prérogatives du «système ecclésiastique» du judaïsme, qui pour August Cranz était tout ce qui séparait le judaïsme du christianisme, celui-ci demanda à Moïse Mendelssohn ce qu’il pouvait bien rester de sa foi juive. Ce défi lancé par un écrivain mineur est à l’origine du livre le plus élaboré de Moïse Mendelssohn sur les droits et la nature du judaïsme, «Jérusalem, ou sur le pouvoir religieux et le judaïsme». A l’origine, ce livre se voulait simple réponse au pamphlet d’August Cranz ; mais peu à peu, Moïse Mendelssohn se mit à élaborer une théorie générale des rapports entre l’Église et l’État, théorie qui prenait appui sur la notion wolffienne de bienfaisance : le perfectionnement individuel ne pouvait se faire dans la solitude mais par la sociabilité. Moïse Mendelssohn, penseur optimiste, considérait le besoin de bienfaisance comme inné. Il jugeait par ailleurs que les relations entre individus relevaient de l’État (du politique) et les relations de l’homme à Dieu de l’Église (du religieux). La religion qui possédait la faculté de transformer les idées abstraites en éléments vitaux tendus vers l’action devait montrer à l’individu combien il avait plus à perdre qu’à gagner lorsqu’il se retranchait de la société. Où l’on retrouve cette volonté de réconcilier la foi et la raison.

 

L’État conserve son autorité dans la mesure où l’individu renonce à l’état de nature et accepte le contrat social ; mais il ne peut en aucun cas empiéter sur sa liberté de conscience. La séparation de l’Église et de l’État est supposée établir non seulement la liberté de conscience individuelle mais aussi la tolérance des religions entre elles. Ainsi le croyant peut-il faire preuve de tolérance sans avoir à relativiser sa propre foi. Tout en allant dans le sens du wolffisme théologique, Moïse Mendelssohn dénie à l’Église et à la Synagogue tout droit de coercition. Il répond à August Cranz qu’il a renoncé à défendre l’excommunication non pour répudier le judaïsme mais pour défendre la liberté de conscience. (On se souvient que pour August Cranz, le ‟système ecclésiastique” du judaïsme et ses pouvoirs punitifs étaient tout ce qui le séparait du christianisme). Son argumentation sur les rapports entre l’Église et l’État est par ailleurs censée favoriser les conditions politiques capables de conduire à l’émancipation.

 

Dans la deuxième partie de «Jérusalem, ou sur le pouvoir religieux et le judaïsme» sont exposés deux arguments majeurs. Moïse Mendelssohn y affirme que le judaïsme est l’unique religion de la connaissance pratique car il est «législation divine» et non «religion révélée». La spécificité du judaïsme tient aux actes qu’il prescrit, aux commandements que renferme le Pentateuque, et il se fonde sur une typologie des vérités, soit «éternelles» soit «historiques». Le Pentateuque et ses commandements constituent une passerelle entre ces deux types de vérités.

 

La transmission orale rend immédiate la compréhension de la Bible. La foi de Moïse Mendelssohn en ce mode de transmission repose sur sa conviction que chaque type de vérité possède son propre mode de transmission. Comme Juda Halévi, Moïse Mendelssohn considère que la Révélation au Sinaï est un fait historique — une vérité historique — et qu’elle est le témoignage d’une nation toute entière. Maïmonide quant à lui jugeait que seul Moïse avait directement fait l’expérience de la Révélation car lui seul était préparé.

 

Chaque vérité exigeait donc une forme de transmission adéquate : l’utilisation de l’écriture pour les vérités éternelles (qui exigeaient la nature elle-même pour être transmises) avait encouragé l’idolâtrie — précisément ce contre quoi s’élevait le judaïsme. Par le truchement de la tradition orale, le judaïsme avait établi une unité de vie et de doctrine en unifiant l’action et la pensée. Moïse Mendelssohn jugeait avec satisfaction que le judaïsme ne contenait pas de dogmes au sens pur et dur mais des vérités qui ne s’exprimaient pas en formules figées. Le judaïsme comme religion incomparable du savoir pratique véhiculé par une tradition orale.

 

L’égalité des droits pour les Juifs et leur intégration à la société ne devaient en aucun cas supposer l’abandon de l’observance religieuse. Moïse Mendelssohn postule une base universelle de la croyance (à laquelle s’ajoutent les vérités spécifiques de la Révélation d’une religion positive) sous la forme d’une religion naturelle, et en cela il est un penseur des Lumières. Pourtant, dans son interrogation sur les rapports entre l’universel et le particulier, il n’évacue pas la loi rituelle. Il réaffirme l’élection d’Israël et son rôle de guide pour l’humanité. La relation intime entre croyance et pratique rituelle a protégé et véhiculé les vérités éternelles et révélées. La réponse de Moïse Mendelssohn à Daniel Ernst Moerschel et August Cranz est donc sans équivoque. Le judaïsme est une «législation divine» établie par la vérité historique du Sinaï et soutenue par la tradition orale. Religion d’un savoir pratique, il protège contre l’idolâtrie et contre la violation de la liberté de conscience ; il prescrit des actions plutôt que des convictions ; il est parfaitement compatible avec un État fondé sur la séparation de l’Église et de l’État, le seul État qui puisse accorder aux Juifs l’’égalité des droits.

 

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