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Réponses à « Mirage » et « Allegra »


Réponse à « Mirage »

Ci-joint, le lien qui a suscité cette réponse. Il est signé “Mirage” et s’intitule “La Rachel de Simone, les Rachel ignorées par Simone” :

http://lavissauveacondition.blog.lemonde.fr/2012/08/29/la-rachel-de-simone-les-rachel-ignorees-par-simone/

 

“Mirage” a fait cette intervention à laquelle je vais répondre : “Je me suis déjà, non pas opposé, mais trouvé un peu en porte-à-faux avec vous tous qui condamnez Céline pour incitation au meurtre, et vous avez bien raison. La lecture de ses pamphlets et de ses délires devrait en effet être épargnée aux lecteurs dont les meilleurs trouvent là une langue française prostituée à la haine et au pathologique, ce que ni elle ni eux ne méritent, et où les plus faibles ou les plus bas recueillent la nourriture animale dont ils se pourlèchent les babines. Cependant, il y a le “Voyage au bout de la nuit”. Et je ne suis pas sûr du tout qu’un tel chef-d’œuvre EN SOI mérite d’être confondu avec qui l’a écrit. Il me semble que les œuvres dignes d’appartenir au patrimoine des hommes échappent à l’identité de leur auteur. Libre à certains de vouloir à tout prix recracher chaque page de Céline parce que ce dernier était une ordure. Mais ils s’amputent ainsi, et risquent de priver autrui, d’une émotion de haut vol (…). Je crois que l’homme reste dans la pire crapule, malgré tout. Et que ce sont les hommes toujours qui écrasent la crapule de leur mépris dans l’oubli transcendant de sa petite paternité anecdotique pour se concentrer sur ce que son passage sur terre a offert, malgré lui, presque sans lui, à ceux qui font la part du diable…”

Je ne vais pas m’ériger en petit juge de Céline. On a en tellement dit sur le bonhomme, entre l’éloge et la damnation. Je me garde de me joindre aux uns ou aux autres, par honnêteté tout simplement ; et elle n’est pas si facile à s’exercer dans le tohu-bohu médiatique qui pilonne toutes les positions comme le ferait une préparation d’artillerie.

Louis-Ferdinand CélineLouis-Ferdinand Céline (1894-1961)

 

J’ai commencé à lire Céline très jeune, sans rien savoir de sa vie ou presque, hormis quelques anecdotes et quelques photographies qui montraient un bonhomme presque aussi négligé que Paul Léautaud, avec un sourire dans le genre je-me-fous-de-tout. Je préfère donc rapporter mon jugement, modestement, à mon expérience, limitée mais mienne, sans jamais me laisser intimider par le feu roulant de la critique, dans un sens comme dans l’autre.

“Casse-pipe” suivi du “Carnet du cuirassier Destouches” est le premier livre de Céline que j’ai lu. Je me suis régalé et j’ai ri à plusieurs reprises. A ce propos, avez-vous remarqué que si l’on rit volontiers au cinéma, on rit beaucoup moins en lisant ? Ma seconde lecture à été “Entretiens avec le Professeur Y”. J’ai été emporté par le bonhomme. Ma troisième lecture a été précisément le livre évoqué par “Mirage”, “Voyage au bout de la nuit”, son premier roman, un roman inspiré par son expérience de la Grande Guerre. Une fois encore, le bonhomme m’a emporté. Je ne puis renier le plaisir que j’ai eu à le lire, ce serait de la couardise, ce serait céder aux pouvoirs des médias.

Il est néanmoins certain que ce plaisir de lecteur s’est vu graduellement teinté d’amertume, de scepticisme et de tristesse à la lecture d’autres écrits de Céline. Je ne puis pour autant tout renier. C’est pourquoi le courrier de “Mirage” m’a réconforté. Il y a quelque temps, j’ai relu des poèmes d’Émile Nelligan le Québécquois, des poèmes qui m’avaient frappé par leur beauté. En les relisant, l’un d’eux m’a sauté à la gorge, “Les Déicides” qui ressasse le thème du Juif déicide avec un pathos à vous faire grincer des dents. C’est ainsi, nous les enfants de l’après Auschwitz, il nous faut faire avec tout un fourbi, faire preuve d’une patience de géologue, d’archéologue et le médecin légiste. Je ne suis pas ici pour faire la chasse aux antisémites, pour verbaliser le poète et l’intellectuel. Il se trouve que l’antisémitisme me pose un questionnement que j’ose qualifier d’infini. J’ai fait usage du mot “antisémite” mais Émile Nelligan n’était-il pas plus simplement anti-judaïque ? L’épouvante de la Shoah projette son ombre non seulement en amont mais loin en aval.

Ces remarques me conduisent à Pierre Drieu la Rochelle, plus particulièrement à “Gilles” qui me fit voir la société française des années 1970 et du début des années 1980 (mes années de jeunesse) avec son regard années 1930. Son influence sur mon regard fut durable, pourquoi le nier ? Après la publication de “Journal 1939-1945” en 1992, j’ai pu prendre note de ce qu’il avait écrit sur les Juifs.

Émile Nelligan (1879-1941) a publié l’essentiel de son œuvre dans les toutes dernières années du XIXe siècle. Il resta interné pendant plus de quarante ans, sans parvenir à poursuivre sa poésie. L’Art était alors considéré comme un absolu. Il n’en sera pas de même pour les générations suivantes, pour nous. L’Art a perdu en autorité, pour diverses raisons mais d’abord pour cause de Shoah et autres génocides.

Ainsi que le fait remarquer Bernard Noël, ce que l’Art a perdu en autorité, il doit le récupérer en responsabilité. Suite aux génocides du XXe siècle, le mal paraît aujourd’hui infini. A présent que la mort des dieux a ramené le pouvoir sur la terre, et le mal avec, il ne reste peut-être que l’art, “non pas l’art en soi, mais l’effort qu’il exige et la compréhension qu’il suscite. Ce temps a besoin d’artistes qui fassent pour la vie ce qu’ils faisaient autrefois pour l’Art.”

Au tout début des années 1980, Bernard Noël a publié un petit livre intitulé “Arno Breker et l’art officiel”, fruit d’une rencontre avec celui qui fut le sculpteur officiel du IIIe Reich. Bernard Noël pose la question de l’engagement et de la culpabilité (ou non-culpabilité) de l’artiste. Arno Breker plaide non-coupable : “Je suis un criminel, dit-on, parce que j’ai travaillé pour les nazis. En réalité, je n’ai rien à voir avec la politique. Je suis un artiste et, à cause de mon talent, j’ai reçu de grandes commandes. Un point, c’est tout.” L’homme s’efforce d’être sincère et son talent de sculpteur n’est pas des moindres. Bernard Noël poursuit : “En quoi la sincérité est-elle un critère quand on veut quitter le plan maudit des événements pour celui, soit-disant immuable, de l’art ? L’art n’a besoin que d’être crédible, c’est son unique sincérité ; quant à l’homme, il ne lui suffit pas d’être sincère pour être crédible. La précarité du présent nous contraint à une certaine brutalité : devant un camp d’extermination, nul n’a plus le droit de dire : Je ne savais pas, car cette excuse n’appelle qu’une seule réplique : C’est de votre faute, si vous ne saviez pas. Vous n’avez pas voulu savoir.” La précarité du présent… “Je ne savais pas” frappé de plein fouet par “Vous n’avez pas voulu savoir.”

 

Arnaud BrekerArno Breker travaillant au buste d’Albert Speer

 

Bernard Noël et Arno Breker marchent côte-à-côte. Ils devisent. Arno Breker vient de fêter ses quatre-vingts ans (nous sommes en 1980). Bernard Noël a lu les souvenirs du sculpteur, “Paris, Hitler et moi”, publiés aux Presses de la Cité. Il conclut que l’unique lien d’Arno Breker avec le régime nazi fut le goût qu’avait Hitler pour sa sculpture. Et Bernard Noël note, comme en passant, qu’Arno Breker ne semble pas se rendre comte “de la reversibilité qui fait que, si le régime servit sa sculpture, c’est que sa sculpture servait le régime.” Arno Breker se fait son propre avocat et énumère les gens qu’il a aidés et sauvés, parmi lesquels Dina Vierny. Bernard Noël poursuit : “La seule faille de ce raisonnement est qu’il suppose un absolu, qui est l’Art…” A quoi bon s’encombrer alors de “détails” ? Y-a-t-il un absolu qui ait pour nom ART ? L’Art est-il pur, autrement dit, n’a-t-il d’autres sens que lui-même ? Est-il libre de toute référence ? Autrement dit, l’art ne serait-il pas toujours accepté (et d’abord par les pouvoirs) en fonction de ses références ?

Il ne s’agit pas de remettre en question le talent d’Arno Breker qui est imposant. Il est vrai cependant que son œuvre est “exemplairement adaptée à remplir un rôle officiel sous n’importe quel régime décidé à imposer une représentation exclusive.” L’art d’Arno Breker n’inquiète pas, il séduit, il correspond à l’image que la majorité des gens se fait de la sculpture. L’art officiel ne doit pas inquiéter ; autrement dit, il doit séduire et en aucun cas faire réfléchir. C’est pourquoi Arno Breker a si bien réussi sous le IIIe Reich. C’est aussi pourquoi Staline (par l’entremise de Molotov) le pressa de travailler pour lui.

Réponse à « Allegra »

Ci-joint, le lien qui a suscité ma réponse. Il est signé “Allegra” et s’intitule “Quand Soral rivalise d’humour avec Dieudonné. Ou Tarik Ramadan taupe de l’impérialisme sioniste” :

http://lavissauve3.blogs.nouvelobs.com/

 

Il est des femmes et des hommes qui nous font voyager. On les en remercie. Citons un peu au hasard : Armand Abécassis ou Shmuel Trigano, Arnaldo Momigliano ou Alessandro Guetta, Mireille Hadas-Lebel ou Hans Jonas, Edmond Jabès ou Emmanuel Levinas, pour ne citer qu’eux. En une telle compagnie, on embarque pour des voyages au long-cours, en quadriréacteur ou en bathyscaphe. D’autres, moins doués et pourvus d’un ego qu’ils tirent péniblement (dans le genre bateliers de la Volga tels que les a peints Ilya Repine), ne peuvent nous offrir de tels voyages. Faut-il leur en vouloir ? Parmi ces bateliers, Alain Soral, “penseur” poussif.

Alain Soral a un sens aigu de la provocation. En lisant l’article que lui consacre “Allegra”, on pourrait se dire qu’il invite ceux qui l’écoutent à poursuivre sur la lancée qu’il impulse, afin qu’ils arrivent l’air de rien à la conclusion qu’il est lui aussi, Alain Soral, un agent du sionisme… Sa prestation serait alors une sorte de performance (happening) destinée à provoquer dans le meilleur des cas un léger vertige. Mais ne chercherais-je pas à me consoler à bon compte ?

Peut-être nous faudrait-il voir Alain Soral comme le comte Alexandre du Cayla vit Nilus. Cette rencontre est évoquée par Norman Cohn dans “Warrant for Genocide”, publié en français sous le titre édulcoré de “Histoire d’un mythe. La “conspiration” juive et les protocoles des sages de Sion”. Norman Cohn juge que le récit du comte Alexandre du Cayla reste la meilleure source à ce sujet et il cite longuement le rapport de ce dernier au chapitre IV, “La police secrète et les occultistes”. Alain Soral, c’est un peu Nilus :

http://www.phdn.org/antisem/protocoles/duchayla.html

 

Le passage concernant le triangle m’a beaucoup amusé, si je puis dire : “Ensuite, il (Nilus) passa aux “pièces à conviction”. Il ouvrit son coffret. Dans un désordre indescriptible s’y trouvaient des faux-cols, des caoutchoucs, des ustensiles de ménage, des insignes de diverses écoles techniques, même le chiffre de l’Impératrice Alexandra Féodorovna et la croix de la Légion d’honneur. Sur tous ces objets son hallucination lui montrait le “sceau de l’Antéchrist”, sous l’aspect d’un triangle ou de deux triangles croisés. Sans parler des caoutchoucs de la fabrique de Riga “Treougolnik” (Triangle), la combinaison des deux initiales russes stylisées de l’Impératrice régnante, ainsi que la croix à cinq branches de la Légion d’honneur, se reflétaient dans son imagination enflammée comme deux triangles croisés — le signe de l’Antéchrist et le sceau des sages de Sion. Il était suffisant qu’un objet portât une marque de fabrique évoquant même peu distinctement les contours d’un triangle pour qu’il entrât dans son musée.”

 

Sergeï NilusNilus (1862-1929)

 

Il existe un autre témoignage sur Nilus, celui de la comtesse Kachkina, qui permet de pénétrer dans l’univers des “Protocoles des sages de Sion” avec miasmes de superstition et de charlatanerie. Ce témoignage figure également dans le chapitre IV du livre de Norman Cohn. Mais si le comte du Cayla et la comtesse Kachkina ont observé l’intéressé avec scepticisme voire condescendance, il n’en sera pas de même avec le prince Jevakhov, auteur d’une biographie de Nilus publiée en 1936. Le prince, admirateur de Nilus, avait la conviction que les “Protocoles des sages de Sion” étaient l’œuvre d’un Juif écrivant sous la dictée du Diable “qui lui révélait les méthodes à suivre pour détruire les États chrétiens et les secrets de la domination mondiale.” Afin d’écourter cette réponse à Allegra, je ne vous évoquerai pas une certaine lettre écrite par un fils de Nilus (consultable dans le fonds Freyenwald de la Wiener Library), une lettre écrite de Pologne à Alfred Rosenberg, en mars 1940.

Rien n’a vraiment changé. La démagogie est partout. “Le Juif” sert et servira à “expliquer” la complexité du monde. La théorie de la conspiration s’est enkystée dans bien des têtes. C’est ainsi. Et jusqu’à ce jour, aucune prophylaxie n’a pu l’éradiquer. Faut-il se résigner ? Sûrement pas !

2 thoughts on “Réponses à « Mirage » et « Allegra »”

  1. Il est toujours intéressant de vous lire car vous éclairez les point d’ombre en faisant douter de la lumière.
    Ceci dit, pour ma part, je n’ai aucun complexe à rejeter Céline. Une oeuvre n’est pas plus sacrée qu’un concept religieux et j’estime que l’art doit être un équilibre entre l’éthique et l’esthétique.
    J’ai lu Drieu Larochelle, jadis, ainsi que Brasillach, en toute connaissance de leur passé. Ils ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable, bien que le cavalier fut charmant.
    Brasillach souhaitait qu’on se débarrassât des Juifs en bloc, y compris les “petits”, Drieu écrivait dans son journal : “Ils sont incorrigibles, indécrottables, pourris jusqu’à la moelle. Pas l’ombre de virilité dans ces esprits. Et la victoire amènera le triomphe définitif de la pourriture.”
    Il y a tant de beaux écrivains, de magnifique artistes dans le monde, pourquoi s’acharner à défendre l’un de ceux-là ? Il y a, dans cette obstination, un caractère endémique.

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