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Un mot à propos de l’Iran

 

L’Iran est aujourd’hui le pays de tous les dangers, le pays qui inquiète le plus Israël. La question iranienne angoisse Israël ; elle m’angoisse aussi. Nous sommes entrés dans l’aire de tous les dangers, une aire où l’emploi des armes nucléaires tactiques voire stratégiques n’est plus impensable. Dans cette panoplie de mort, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins occupent la première place.

 

Néanmoins, cette angoisse sur le court terme pourrait assez aisément être convertie en espoir sur le moyen-long terme. J’ai passé l’âge de la provocation, je ne cherche ni à me consoler à bon compte ni à plaire mais simplement à traduire aussi précisément que possible ce qui me préoccupe.

 

Golshifteh Farahani (née en 1983, à Téhéran)

 

J’affirme tout de go que l’Iranien est supérieur à l’Arabe. On va s’émouvoir, on va alerter, on va me traiter de suppôt de Joseph Arthur de Gobineau, l’auteur de ‟Essai sur l’inégalité des races humaines”, écrit fondateur du mythe aryen et l’un des livres de chevet du nazisme. Mais ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse chez Gobineau. Cet écrit n’est pas le meilleur (euphémisme) de sa production, avec ce mélange de ‟vérités” scientifiques et de préjugés populaires, mais c’est malheureusement le plus connu. Combien je préfère le Gobineau de ‟Trois ans en Asie”, sous titré ‟Voyage en Perse, 1855-1858”. En lien, un riche compte-rendu publié dans ‟La Revue de Téhéran” (mensuel culturel iranien en langue française), n° 46, septembre 2009 :

http://www.teheran.ir/spip.php?article1039
 

J’ai cité Gobineau, je vais à coup sûr être traité de nazillon par l’aréopage du on-est-tous-frères. Qu’importe ! L’Iranien est supérieur à l’Arabe, je le redis haut et fort, parce qu’il s’appuie, qu’il en ait conscience ou non, sur un puissant substrat, parce que son passé pré-islamique est d’une vertigineuse richesse. Contrairement à une amie dont le jugement m’est précieux, je persiste à croire que l’islam n’a pas eu définitivement raison de cette richesse qui peut resurgir comme les sources vauclusiennes.

 

Mais il y a plus. L’intelligence et la finesse de l’Iran se manifestent dans cette immense partie diplomatique en cours, une partie d’échecs qui engage les principales puissances mondiales. L’Iranien peut être envisagé comme l’ennemi intelligent et l’Arabe, avec lequel nous copinons toujours plus, comme l’ami bête. Or, tout prouve qu’avec l’ennemi intelligent on peut ménager de profondes perspectives qui conduisent à la coopération voire à l’amitié ; tandis qu’avec l’ami bête, on termine à coup sûr embourbé dans un cul-de-sac.

 

Malgré l’instauration du régime islamiste en avril 1979 et la longue guerre Irak-Iran (septembre 1980 – juillet 1987, une guerre initiée par l’Irak, ne l’oublions pas) qui permit au régime de se renforcer, je persiste à croire que l’Iran tient en réserve de vastes énergies capables de faire pivoter les perspectives. L’opposition iranienne est plus riche, plus fine, plus complexe que l’opposition arabe, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Souvenez-vous de toutes les forces en présence entre la chute du shah et la venue au pouvoir de l’ayatollah Khomeini.

 

Il existe une philosophie iranienne, il n’existe pas de philosophie arabe. L’Iran a été un centre millénaire de production d’idées, de concepts, de théories, ce qui n’a jamais été le cas du monde arabe, bien plus frustre, hormis dans un recoin de l’immense aire arabo-musulmane, un coin d’Europe qui échappa pour un temps au contrôle de l’Afrique et de l’Asie arabo-musulmane, l’Andalousie.

 

L’inquiétude israélienne est une inquiétude existentielle ; elle n’est en aucun cas feinte pour les besoins d’une politique particulière. Israël est un pays aux antennes particulièrement fines. Je suis avec inquiétude l’évolution de la situation en Iran ainsi que nos manœuvres diplomatiques avec le monde arabo-musulman, des manœuvres essentiellement faites de servilité. Les Juifs de la diaspora ont beaucoup à perdre avec de telles manœuvres, beaucoup. Je prends note de leur nervosité et de leur découragement. Les Alterjuifs (1) sont en grande partie responsables (comme le souligne Shmuel Trigano) de ce terrible affaiblissement qui annonce le crépuscule de la vie juive en Europe. Ceci n’aurait jamais été possible si les pacifistes juifs n’avaient pas ouvert un débat au cœur même de l’Occident, un débat qui aurait dû s’en tenir à la société israélienne. En outre, ces pacifistes ont voué à la diabolisation d’autres Juifs qui avaient l’outrecuidance de ne pas soutenir leurs analyses défaillantes (2).

 

Nos arrangements avec les Arabes, les Saoudiens en particulier, me répugnent. On s’acoquine avec de vulgaires nouveaux-riches — gardiens de surcroît d’une religion à l’usage du troupeau — pour cause de danger iranien, un danger que je ne nie en rien. Mais comment en finir avec ce régime sans s’aliéner le peuple iranien ? Je n’ai pas de réponse à cette question, je ne fais que formuler une inquiétude, fort de ce postulat : l’Iranien est supérieur à l’Arabe et c’est avec ce premier qu’il nous faut envisager le futur. Je suis certain que les Israéliens savent qu’au-delà cette zone de terrible danger, c’est avec l’Iran qu’une collaboration doit être envisagée. Il n’y a rien à attendre des sociétés arabes, rien que des comportements routiniers pétris de ressentiment, un ressentiment complaisamment relayé, chez nous, par un antisémitisme dont on peine à se décrotter. Les sociétés arabes cachent leur absence dans tous les domaines de l’excellence sous le tissu de l’antisionisme et de l’antisémitisme.

 

Il me semble que l’antisémitisme-antisionisme du régime iranien est plus une manœuvre politique que l’expression d’un sentiment profond, contrairement à l’antisémitisme-antisionisme des pays arabes qui constitue leur aliment de base. Si Israël frappe le premier, je ne lui en ferai pas le reproche ; je me dirai qu’il a agi pour sa survie, ce qui n’empêchera pas une certaine tristesse : dans cette partie, les Arabes seront une fois encore gagnants sur les Iraniens qui leur sont supérieurs en tout.

 

La soumission de la Perse par les Bédouins peut être envisagée rétrospectivement comme l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire. Les Bédouins se sont glissés entre deux colosses qui s’affrontaient dans une lutte titanesque, la Perse sassanide (224-651) et l’Empire byzantin ; et ils remportèrent la mise sans trop d’efforts. Je ne me lamente pas, j’exprime un regret, en passant.

 

____________________

(1) En lien, les articles en PDF publiés dans le n° 4 (février 2007) de la revue ‟Controverses”. On y évoque les Alterjuifs, les ‟Juifs non juifs”, les Juifs contre Israël, la gauche israélienne, etc., un passionnant dossier :

http://www.controverses.fr/Sommaires/sommaire4.htm

(2) En lien, l’article complet publié dans ‟Actualité juive” (n° 1234, 6 décembre 2012) :

http://www.desinfos.com/spip.php?page=ispip-article&id_article=34004

 

 

7 thoughts on “Un mot à propos de l’Iran”

  1. Boker Tov,
    Connaissez-vous l’Histoire de l’empire perse, de Cyrus a Alexandre, de Pierre Briant? Mille pages d’érudition qui se lisent comme un roman policier.
    A bientôt,

    1. Hanna, j’y ai picoré des informations mais je ne l’ai pas lu d’une manière approfondie.Vous me donnez l’envie de m’y mettre plus sérieusement. Dans votre dernier article (je vous répondrai) vous évoquez la révolte des Maccabées. Avez-vous lu “Ioudaïsmos – Hellènismos” d’Edouard Will et Claude Orrieux, sous-titré “Essai sur le judaïsme judéen à l’époque hellénistique” ? Il est publié aux Presses Universitaires de Nancy. C’est un livre d’une belle densité.

  2. Merci pour cette brillante démonstration, Olivier ! Je subodorais ce que vous alliez dire lorsque vous m’avez déclaré ailleurs ne pas pouvoir me répondre à cause de cette censure primitive. Et ce n’est pas la première fois que j’entends parler de la supériorité du Perse sur l’Arabe. Culturellement ! Comme j’ai souvent entendu dire aussi que la culture chinoise, bien plus ancienne que la nôtre, nous est supérieure. Je parle de la culture ancestrale, pas du maoïsme de supermarché.
    Peu importe ce que penseront les formatés de notre temps, je lis dans ce texte un grand espoir, à la mesure du grand danger qu’est l’Iran.
    Le racisme est une notion utilisée abusivement dans le cas des cultures. Il me semble légitime de préférer, par exemple, la société des femmes émancipées à celle des femmes voilées. De préférer la culture occidentale à la culture orientale ou “ethnique”, puisque la mode est à l’inverse et que cela ne gêne personne dans ce sens.
    J’ai regardé le cinéma iranien, “Hors jeu” de Jafar Panahi ou “Persépolis” de Marjane Satrapi et j’y trouvé une grande correspondance avec notre tournure d’esprit, c’était très différent des à priori qu’on trimballe sur l’Iran. Figurez-vous que “Hors jeu” m’a beaucoup fait penser à mon ressenti de la Tchécoslovaquie sous le parti communiste…et au printemps de Prague, seul printemps digne de ce nom. Quand le mur est tombé, tout a changé.
    L’inconscience des intellectuels de gauche est inouïe, ils ont pourtant eu l’expérience des deux blocs Est-Ouest, mais ils souffrent d’amnésie. Et Israël est leur alibi…
    Vous êtes un érudit.
    Merci pour cet exposé.
    Cordialement.

  3. Désolée de devoir mettre à nouveau une sourdine à ton enthousiasme sur les Perses.

    Les dernières statistiques sont effroyables. Tes strates mon ami, mon frère, sont de plus en plus loin sous les décombres de l’Iran.

    Plus de la moitié de l’Iran actuel est composée de Kurdes, arabes divers.

    Ce qui fait croire (à juste raison) que la surenchère anti-israélienne des actuels barbus iraniens au pouvoir se place D’ABORD, au niveau du chiisme en danger dans le pays qui est censé le représenter par excellence.

    Tu me répondras que l’Irak est un foyer bien vivace du chiisme mais…les sunnites ne lâchent pas l’affaire et tous les jours les attentats le prouvent.

    La pérénité du chiisme et pas seulement l’Iran passe par la case “destruction d’Israel”. C’est quasiment une question de survie pour eux.

    Tu comprends maintenant pourquoi même si le monde se ligue contre les ayatollahs, que leur propre peuple crève sous l’embargo, ils s’en foutent. Nihilistes et condamnés à mener une guerre totale contre les juifs pour gagner la seule guerre qui leur importe : celle contre les “frères sunnites”.

    Ces cons n’ont pas bougé d’un iota et qu’ils soient de l’un ou l’autre bord, nous assistons depuis maintenant près de 14 siècles à une interminable guerre des Palais, initiée à Bagdad.
    Petit à petit les arabes et Kurdes ont refait le coup de l’invasion lente mais sûre et ont changé la donne en Iran. Comme chez nous…

  4. Témoignage courageux. Je pensais depuis longtemps que si un jour un peuple rejetait l’islam, cela viendrait des Perses.

    Mais les arguments de Nina me contredisent malheureusement.

    Une question : Ce témoignage date de quand ?

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