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Une histoire du Coran peu orthodoxe 1/2


A la mémoire d’Ahmad Ghabel, né en 1957, décédé le 22 octobre 2012 d’une tumeur cérébrale. Disciple de l’ayatollah Hossein-Ali Montazeri, il fut l’une des grandes figures de l’opposition iranienne.  
 
 

Des microfilms de manuscrits du Coran réalisés par des savants allemands dans l’Entre-deux-guerres ont été retrouvés il y a peu, en Allemagne. Mais reprenons l’affaire depuis le début. Le 24 avril 1944, Munich subit un nième bombardement allié ; cette fois, il touche un collège de Jésuites du XVIe siècle qui abrite l’Académie des sciences de Bavière. Anton Spitaler (1910-2003), le responsable des collections, annonce que ces microfilms (dont aucune copie n’a été faite) ont été détruits. Personne ne peut se douter qu’il a caché les documents les plus fiables sur l’élaboration du Coran.

 

La « Bayerische Akademie der Wissenschaften », après le bombardement de la RAF, dans la nuit du 24 au 25 avril 1944.

 

Pour l’immense majorité des Musulmans, le Coran n’a pas d’histoire. Mahomet s’est contenté de retranscrire sans en changer un iota la parole de Dieu transmise par l’archange Gabriel, parole dictée en arabe, bien évidemment… Certains pensent même que le Coran a été directement écrit par Dieu et en arabe, bien sûr… Dans bien des  têtes, oser inscrire le Coran dans les aléas de l’histoire humaine est condamnable. C’est un ‟crime” probablement aussi grave que l’apostasie. On sait pourtant que le Coran (tout comme la Bible des Juifs et des Chrétiens) est le produit d’ajouts et de retraits, avec réarrangements successifs ; bref, les livres saints sont le produit d’un immense ‟bricolage”. Les Juifs et les Chrétiens l’admettent, les Musulmans le refusent (1).

 

Les récits de Mahomet auraient été compilés une vingtaine d’années après sa mort, sous le troisième calife, Othmân Ibn Affân, une compilation accompagnée de destructions systématiques dans une masse de fragments rédigés sur des supports divers. Pour les fondamentalistes, le Coran est un bloc pur et immuable dans sa pureté. Toute exégèse à son sujet est donc sans valeur, surtout si elle est menée pas un non-Musulman. Dans ce cas, elle sera même regardée comme un blasphème et on sait de quelle manière le blasphème est puni en terre d’islam.

 

L’histoire du Coran, à savoir la recherche scientifique sur cet écrit, n’a commencé qu’au milieu du XIXe siècle, sous l’impulsion d’universitaires allemands. Parmi les savants engagés dans cette recherche, Theodor Nöldeke (1836-1930), auteur d’un essai qui reste une référence, ‟Geschichte des Qurâns”. Cette étude très austère (il ne s’agit en rien d’un pamphlet) a été publiée en 2005, à Beyrouth, et aussitôt bannie par une fatwa du ‟Dar Al-Ifta”, une haute autorité sunnite.

 

Si l’archéologie biblique (juive et chrétienne) a grandement aidé l’approche scientifique de la Bible, il n’en fut pas de même avec le Coran : l’Arabie saoudite, cœur de l’islam, ne voit toujours pas d’un bon œil des recherches qui n’ont pour elle aucun sens et qui, de plus, saliraient la terre sacrée de l’islam si elles étaient menées par des non-Musulmans. Les recherches sur l’histoire du Coran vont donc essentiellement (pour ne pas dire exclusivement) se faire à partir du texte lui-même en prenant appui sur la linguistique et la sémantique.

 

Un disciple de Theodor Nöldeke, Gotthelf Bergsträsser (1886-1933) va se distinguer dans cette recherche. Cet universitaire est l’auteur d’une œuvre considérable mais en grande partie inachevée ; féru d’alpinisme, il s’est tué dans un accident de montagne. On a laissé entendre que cet antinazi radical qui aida des universitaires juifs dérangeait certains… Gotthelf Bergsträsser fut un grand voyageur. Il réalisa avec son Leica l’essentiel des microfilms cachés par Anton Spitaler. Son ‟Einführung in die Semitischen Sprachen” (‟Introduction aux langues sémitiques”) reste un ouvrage de référence.

 

Korankodex auf Pergament in Hijazi Schriftstil, ca. 700 n. Chr. (Text: Sure 7, Verse 139–146). Bibliothèque Nationale Paris, ms. ar. 328a Quelle: Gotthelf-Bergsträßer-Archiv (Bayerische Akademie der Wissenschaften)

 

Otto Pretzl (1893-1941) va poursuivre les recherches commencées par Gotthelf Bergsträsser, augmentant au cours de ses voyages le stock de microfilms. Il meurt dans un accident d’avion et c’est  Anton Spitaler qui récupère l’ensemble des microfilms.

 

Après la guerre, Anton Spitaler conteste les travaux de Günter Lüling et obtient son exclusion de l’université. Günter Lüling perçoit une influence chrétienne dans le Coran, ce qui semble en déranger plus d’un… Un autre chercheur, Christoph Luxenberg (un pseudonyme utilisé par crainte des représailles), avance que de nombreux passages du Coran n’ont pas été écrits en arabe mais en syro-araméen. Voir ‟Die syro-aramäische Lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache” (‟Lecture syro-araméenne du Coran. Une contribution pour décoder la langue du Coran”). Je reviendrai sur ces deux chercheurs dans l’article suivant.

 

Pourquoi Anton Spitaler a-t-il menti en affirmant que ce fonds de microfilms uniques avait été détruit ? La question reste à ce jour sans réponse (2). Fort heureusement, dans les années 1990, Angelika Neuwirth (3) sut gagner la confiance d’Anton Spitaler et récupéra le fonds.

 

___________

(1) On peut lire dans ‟Dictionnaire des religions” de Mircea Eliade et Ion P. Couliano : ‟L’authenticité des écrits du Nouveau Testament fait l’objet d’un débat qui se poursuit depuis cinq cents ans. Les lettres de Paul, dans la mesure où elles sont authentiques, représentent la couche la plus ancienne du canon (ca. 50-60). Au contraire, plusieurs parmi les autres épîtres canoniques n’ont été composées que pendant la première moitié du IIe siècle, alors que leurs prétendus auteurs n’étaient plus vivants. Les Évangiles, quant à eux, sont un produit tardif, fondé sur plusieurs traditions. Les trois premiers (Matthieu, Marc, Luc) sont appelés synoptiques à cause des ressemblances qui existent entre eux et qui font qu’on peut les mettre en parallèle sur trois colonnes. L’Évangile selon Marc, rédigé vers 70, est le plus ancien. Les deux autres (vers 80) suivent Marc et une seconde source appelée Q. Écrit peu avant 100, l’Évangile dit de Jean est plus ésotérique et incorpore des éléments platoniciens très marqués, surtout dans l’assimilation du Christ au Logos de Dieu, qui est le plan divin de l’architecture du monde. D’autre part, l’Évangile de Jean contient une opinion fort négative vis-à-vis du monde social (appelé « ce monde »), dominé par le diable qui apparaît comme adversaire plutôt que comme serviteur de Dieu. Ces conceptions ont été trop souvent comparées au gnosticisme et à la littérature essénienne de Qumran, ce qui prouve seulement que certains écrits du Nouveau Testament sont assez vagues pour tolérer les théories les plus diverses. Il est vrai que les esséniens en tout cas, et peut-être déjà les gnostiques, appartenaient au climat intellectuel du temps.” Je pourrais continuer ainsi sur des pages et des pages afin de montrer combien la ‟Bible chrétienne” (une appellation que je préfère décidément à celle de ‟Nouveau Testament”) est le produit d’un complexe assemblage effectué sur plusieurs décennies. Et je ne parlerai pas de l’orthodoxie chrétienne, résultat d’un processus qui a duré trois cent cinquante ans, ‟un système à multiples sous-ensembles interdépendants, dont le fonctionnement provient soit d’un mécanisme interne de dissociation des deux grands courants à l’intérieur de la théologie chrétienne (le courant juif et le courant platonisant), soit de l’interaction entre un sous-système central et des sous-systèmes qui gravitent autour du christianisme (ses « hérésies »), sans être à proprement parler chrétiens” pour reprendre les mots de Mircea Eliade.

(2) La question reste-t-elle à ce jour sans réponse ? Mais tout d’abord, comment expliquer la hargne d’Anton Spitaler envers Günter Lüling, lorsque ce dernier se mit à soutenir certaines théories hétérodoxes sur les origines du Coran, dans sa thèse de doctorat notamment où il rendait compte d’influences chrétiennes au cœur même du Coran. Günter Lüling fut expulsé de l’université à la suite d’une cabale conduite par un menteur qui cachait des documents de toute première importance. Günter Lüling ne réintégra l’université qu’après un long procès qui l’épuisa. Ce dernier n’hésita pas à déclarer que presque tous les orientalistes allemands avaient été plus ou moins liés aux nazis qui suivaient d’un mauvais œil des recherches qui ne manqueraient pas d’irriter les Musulmans, contrariant ainsi leur alliance avec des dirigeants islamistes avec lesquels ils partageaient une même haine des Juifs, des dirigeants qui par ailleurs pourraient leur fournir un précieux appui contre les Britanniques au Moyen-Orient. Et j’invite ceux qui lisent l’anglais à une lecture attentive de l’article de Jeffrey Goldberg, publié dans ‟The New York Times” du 6 janvier 2008, sous le titre ‟Seeds of Hate” :  http://www.nytimes.com/2008/01/06/books/review/Goldberg-t.html?_r=0

Jeffrey Goldberg cite le livre de Matthias Küntzel, traduit en français sous le titre ‟Djihad et la haine des Juifs”, un livre préfacé par Pierre-André Taguieff qui s’appuie sur une rigoureuse documentation. En un mot, l’idéologie nazie a produit un grand nombre de métastases dans le corps de l’islam. Personne n’ignore que deux dirigeants musulmans, pour ne citer qu’eux, ont eu un rôle essentiel dans la propagation de cette pathologie au sein des masses musulmanes : Mohammed Amin al-Husseini, Mufti de Jérusalem, et Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, en 1928.

Une autre somme de documents pourrait permettre d’inscrire le Coran dans l’Histoire : la découverte au cours de travaux de restauration dans la Grande Mosquée Sana’a, en 1972 au Yémen, de manuscrits du Coran considérés par certains spécialistes comme les plus anciens connus à ce jour. Certains de ces manuscrits dateraient du VIIIe siècle. Affaire à suivre.

Un mot encore à propos d’Anton Spitaler. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il servit en France puis en Belgique comme interprète avant d’être rattaché, toujours comme interprète, au Deutsche-Arabische Bataillon Nr 845, envoyé en Grèce en novembre 1943, pour lutter contre les partisans de l’ELAS, puis en Yougoslavie en octobre 1944.

(3) Angelika Neuwirth participe à un vaste projet lancé en 2007 par la Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften (un projet qui devrait se prolonger jusqu’en 2025) pour l’édition d’un Corpus coranicum ainsi qu’elle l’explique dans l’interview mise en lien, ‟The Koran – A Book in Many Languages” :  http://en.qantara.de/wcsite.php?wc_c=7883

(à suivre)

 

3 thoughts on “Une histoire du Coran peu orthodoxe 1/2”

  1. Bonjour à tous,

    J’ai une question qui reste sans réponse… Depuis quand et pourquoi nous avons été persécutés tout au long de l’histoire …?

    D’avance merci,

    Luc de La Belle Israël.

    1. Luc,

      Cette question est complexe et je ne peux pas y répondre pour l’instant, techniquement parlant, mais je ne manquerai pas de vous donner une réponse dès que possible.

      Cordialement.

      Olivier

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