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Orde Charles Wingate et T. E. Lawrence les sionistes

 

Les lignes qui suivent sont largement inspirées d’un article d’Aaron Eitan Meyer intitulé : “The Zionism of Orde Wingate. A Complex Origin.” Il ne s’agit pas de retracer dans le présent article l’engagement sioniste de ce militaire écossais mais de s’interroger sur les raisons de cet engagement. Ze’ev Schiff écrit dans “A History of Israel’s Army” que Orde Charles Wingate fut “the single most important influence on the military thinking of the Haganah.”

 

Orde Charles Wingate (1903-1944)

 

Orde Charles Wingate reçut une solide éducation religieuse — ses parents étaient membres du Plymouth Brethren, d’inspiration puritaine. Les Juifs du yichouv seront étonnés par l’ampleur et la précision de ses connaissances au sujet Israël, ses connaissances géographiques notamment.

 

Son premier poste, le Soudan. Il apprend l’arabe avant de s’y rendre ; et c’est son excellente connaissance de cette langue qui décidera de son second poste : la Palestine alors sous mandat britannique.

 

De retour du Soudan, en Angleterre, et avant son envoi en Palestine, il épouse Lorna Paterson qui deviendra aussi passionnément sioniste que son mari. Lorna Paterson continuera à militer pour la cause sioniste après la mort de ce dernier, notamment en persuadant Ben Dunkelmann, un Juif canadien, de s’engager pour la défense d’Israël, en 1948.

 

Orde Charles Wingate débarque à Haifa fin 1936, en tant que Intelligence Officer. Jusqu’alors, il n’a eu que très peu de contact avec les Juifs et il n’éprouve aucun intérêt envers le sionisme. Pourquoi est-il donc devenu sioniste au point d’étonner jusqu’aux cadres du yichouv ? Contrairement à ce que l’on prétend volontiers, ses lectures de la Bible ne suffisent pas à expliquer son sionisme. Dans “The Making of Israel’s Army”, Yigal Allon présente Orde Charles Wingate comme un “extraordinary Zionist ardour inspired by the Bible”. Je pourrais multiplier les appréciations qui vont dans ce sens. Elles ne sont pas fausses, elles sont insuffisantes.

 

Dans “Wingate in Peace and War”, Derek Tulloch propose une perspective plus ample. Il écrit : “One side effect of Wingate’s unhappy experience at Woolwich was to incline him to take sides, invariably, with the underdog. He never forgot the sensation of all men siding against him… The discovery, however, of this quasi-biblical cause in his life, which opened before him just at a time when he was expecting a cause to appear — to justify his existence and fulfil his destiny — explains his decision to take up the challenge.” Selon Derek Tulloch, au moins trois éléments entrent dans la composition du sionisme de Orde Charles Wingate. Les deux derniers éléments méritent une attention particulière, étant entendu que “the quasi-biblical nature of the cause” est une affaire entendue :

• Son “inclination to side with the weaker party”, à prendre la défense du défavorisé (the underdog). Orde Charles Wingate juge le yichouv comme étant l’entité faible, menacée, avec ces exilés débarqués sur un rivage hostile. Ceci étant dit, on peut avancer avec Derek Tulloch : “Had he found the Arabs were being oppressed and considered their cause to be just, he might well have directed his energies on their behalf.” L’étude du yichouv et de la Palestine va préciser une sympathie et confirmer son sionisme. Dans une lettre à son cousin, Sir Reginald Wingate, début 1937, il écrit : “We are in for a war, sooner or later — no hope now of avoiding that after the Abyssinian fiasco — for pitys (sic) sake let us do something just and honourable before it comes. Let us redeem our promises to Jewry ans shame the devil of Nazism, Fascism, and our own prejudices.” A sa sympathie pour les Juifs, les traqués, les persécutés, se mêle de l’admiration — la reconnaissance de leurs mérites. Sa sympathie pour les Juifs de Palestine — pour le yichouv — et pour les Juifs en général est activée par ses observations sur le terrain. Il prend note de l’antipathie générale — et institutionnalisée — des Britanniques envers les Juifs dans la Palestine mandataire.

• Orde Charles Wingate cherche une cause à défendre, une cause à laquelle se dévouer corps et âme — l’expression n’est pas trop forte dans son cas — et, ainsi, donner un sens à sa vie. Son éducation puritaine va probablement attiser cet désir ardent de dévouement. Rex King-Charles qui servit sous ses ordres écrit : “It seems to me that his destiny, in truth, was to burn himself out for a cause — even, with Scottish perverseness, for a lost cause.”

 

Birmanie, mars 1944, par une nuit claire, Orde Charles Wingate se tue dans un accident d’avion. Il a quarante-et-un ans. Sa pensée militaire influencera favorablement la Haganah et l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948.

 

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce soldat d’exception, je recommande “Orde Wingate”, une biographie écrite par Christopher Sykes.

 

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Les lignes qui suivent sont largement inspirées d’un article de Sir Martin Gilbert intitulé “Lawrence of Judea. The champion of the Arab cause and his little-known romance with Zionism.” Sir Martin Gilbert a récemment publié “Churchill and the Jews: A Lifelong Friendship” et “Israel: a History.” Parmi les grands sionistes que comptent les Britanniques, il en est un (très peu connu en tant que sioniste), Lawrence of Arabia ou, plus exactement, Lawrence of Judea.

 

Lawrence of Arabia (1888-1935)

 

Le 11 décembre 1918, T. E. Lawrence ménage une rencontre entre l’émir Fayçal et Chaim Weizmann au Carlton Hotel, à Londres. Nouvelle rencontre entre l’émir et le leader sioniste, le 3 janvier 1919, une rencontre elle aussi organisée par T. E. Lawrence qui espère que grâce à ses efforts “the lines of Arab and Zionist policy converging in the not distant future.” Dans une lettre datée du 1er mars 1919, au responsable sioniste Felix Frankfurter, l’émir Fayçal manifeste son optimisme. Il juge favorablement, très favorablement même, le mouvement sioniste. Il écrit : “The Jewish movement is national, and not imperialist, and there is room in Syria for us both. Indeed I think that neither can be a real success without the other.”

 

Début 1920, T. E. Lawrence s’adresse à Rudyard Kipling en lui demandant s’il est d’accord pour relire les épreuves de “Seven Pillars of Wisdom”. Rudyard Kipling lui répond qu’il en serait honoré mais que s’il y perçoit le moindre signe de sympathie envers les Juifs — “pro-Yid” —, il lui retournera les épreuves sans y avoir porté la moindre correction.

 

Lawrence of Arabia envisage avec sympathie l’établissement d’un Foyer national juif (Jewish National Home) en Palestine. Il écrit en 1920, dans un article intitulé “The Changing East” : “The colonists will take back with them to the land which they occupied for some  centuries  before the Christian era samples of all the knowledge and technique of Europe. They propose to settle down amongst the existing Arabic-speaking population of the country, a people of kindred origin, but far different social condition. They hope to adjust their mode of life to the climate of Palestine, and by the exercise of their skill and capital to make it as highly organized as a European state.” Pour T. E. Lawrence, l’affaire est entendue, l’établissement des Juifs en Palestine ne peut que profiter aux Arabes de la région et, graduellement, à l’ensemble du monde arabe, les convertissant ainsi en une force considérable : “It might well prove a source of technical supply rendering them independent of industrial Europe, and in that case the new confederation might become a formidable element of world power.”

 

Lorsque Churchill est nommé secrétaire aux Colonies, en janvier 1921, il choisit T. E. Lawrence comme son conseiller aux affaires arabes. T. E. Lawrence rapporte ses entretiens avec Churchill, dans une lettre du 17 janvier 1921, lettre par laquelle il assure qu’en échange de la souveraineté arabe sur Bagdad, Amman et Damas, l’émir Fayçal “agreed to abandon all claims of his father to Palestine.” Churchill en est heureux, mais il reste un problème à résoudre : les Français qui représentent la puissance mandataire à Damas s’opposent à un tel projet dans leur zone d’influence. Churchill finit donc par proposer à Fayçal le trône d’Irak et à son frère Abdullah le trône de Transjordanie, un projet qui permet d’établir un Foyer national juif sur l’ensemble des territoires à l’Ouest du Jourdain, sous contrôle mandataire britannique.

 

Le 17 mars 1921, à la Conférence du Caire, Churchill déclare que la présence d’un souverain arabe, sous contrôle britannique, à l’Est du Jourdain permettrait d’éviter dans ladite zone toute agitation anti-sioniste. T. E. Lawrence confiera que Churchill était convaincu qu’en quatre ou cinq ans, et grâce à une politique équilibrée, l’opposition arabe au sionisme aurait faibli et peut-être même disparu. Bref, placer l’émir Abdullah sur le trône de Transjordanie (tout en le contrôlant) semble être à Lawrence of Arabia le meilleur moyen de contrôler toute manifestation d’anti-sionisme. Il juge que cet arrangement est une soupape — “a safety valve.” Il écrit : “It would be preferable to use Trans-Jordania as a safety valve, by appointing a ruler on whom we could bring pressure to bear, to check anti-Zionism”, et il ajoute qu’à cet effet le dirigeant idéal serait “a person who was not too powerful, and who was not an inhabitant of Trans-Jordania, but who relied upon His Majesty’s Government for the retention of his office.” La présence de Lawrence of Arabia à la Conférence du Caire conforte Churchill dans sa volonté de fonder un Foyer national juif en Palestine. Lawrence of Arabia qui apprécie les qualités des Arabes connaît aussi leurs défauts, et il met son expérience au service du sionisme. En novembre 1918, il confie au “Jewish Guardian” : ‟Speaking entirely as a non-Jew, I look on the Jews as the natural importers of Western leaven so necessary for countries of the Near East.” On ne peut être plus explicite.

 

Le 27 mars 1921, soit quelques jours après la Conférence du Caire, Churchill dépêche Lawrence of Arabia auprès d’Abdullah afin de lui spécifier que son autorité ne s’étend pas au-delà du Jourdain et que les Juifs sont autorisés à s’établir dans un espace compris entre ce fleuve et la Méditerranée, un espace désigné par ce nom, Western Palestine. Et il engage le souverain à surveiller et à réprimer toute activité anti-sioniste parmi ses sujets.

 

Douze ans avant la Conférence du Caire, Lawrence of Arabia avait voyagé en Galilée, autour du lac de Tibériade. Il avait pris note de l’état des lieux : “Palestine was a decent country then, and could so easily be made so again. The sooner the Jews farm it all the better: Their colonies are bright spots in a desert.”

 

Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence of Arabia, se tue dans un accident de motocyclette, en mai 1935, près de chez lui, dans le Dorset. Il a quarante-sept ans. Comment aurait-il réagi face à l’intransigeance grandissante des Arabes confrontés à la présence juive, une présence qui avait suscité en lui de si grands espoirs, une présence qu’il avait jugée hautement bénéfique et pour les Arabes eux-mêmes ?

 

On connaît Lawrence of Arabia, on connaît moins Lawrence of Judea, plus modeste il est vrai. Il mérite néanmoins un regard attentif.

 

 

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