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Pour en revenir au « Printemps arabe »


Il arrive que mon inquiétude radicale face au ‟Printemps arabe” et, plus généralement, face aux sociétés musulmanes se tempère. On ne peut vivre sans répit dans l’inquiétude radicale. Le géopoliticien arabe Walid Phares m’a aidé à en sortir, pour quelques instants au moins.

 

Le Caire, place al-Tahrir, mai 2011.

 

L’Égypte est devenue un pays particulièrement inquiétant. C’est un vaste pays à la croisée de bien des chemins : entre Afrique et Asie mais aussi Méditerranée / mer Rouge, golfe d’Aden, mer d’Oman, océan Indien, etc., et inversement. C’est un pays à la population considérable (elle tend vers les 90 000 000 d’habitants) et très jeune. C’est aussi le pays où sont nés les Frères musulmans, en 1928, une organisation internationale qui pour la première fois de son histoire parvient au pouvoir, et dans le pays qui l’a vu naître.

 

La partie engagée est à haut risque, à très haut risque. On est pour l’heure dans une situation de compromis plus ou moins explicite entre les islamistes et l’armée. Une telle situation va activer des luttes d’influences entre ces deux blocs qui, considérés d’un peu plus près, ne sont probablement pas si homogènes. Pour l’heure, on se regarde en chiens de faïence tout en soufflant après avoir éloigné un danger commun : cette jeunesse qui aspire à un mode de vie plutôt occidental, cette jeunesse forte de sa spontanéité mais aussi de l’efficacité des réseaux sociaux, Facebook, Twitter et j’en passe. L’actuelle configuration de la vie politique égyptienne m’évoque (toutes proportions gardées, et je suis conscient de ce que ce rapprochement peut avoir d’incongru) la reprise en main du pouvoir par l’appareil gaulliste, avec l’appui total et décisif du PCF face à la spontanéité d’un mouvement qui les effrayait pareillement.

 

Cette situation de compromis entre des forces qui s’étriperaient volontiers si elles ne partageaient pas sur une question au moins une même inquiétude (réprimer l’élan libéral d’une jeunesse qui s’est mise à mobiliser des foules de plus en plus considérables, au Caire, sur la place al-Tahrir), cette situation donc laisse-t-elle présager un mieux pour le pays ? Car la lutte promet d’être intense entre l’appareil militaire héritier de Nasser et les Frères musulmans. Cette lutte pour l’heure sourde ne pourrait-elle pas déboucher sur une guerre civile totale ?

 

Les islamistes sont à présent à la tête du pouvoir avec un président de la République, candidat des Frères musulmans, Mohammed Moursi, élu de justesse il est vrai. Le but des islamistes à ce que je sache n’a jamais été que l’établissement d’une théocratie, ce que ce nouveau président a ouvertement exposé. Je suis prêt à admettre que ce vaste mouvement que sont Frères musulmans offre une large palette de nuances, avec ses modérés et ses radicaux : mais je sais que dans ce type de mouvance, ces derniers, une fois au pouvoir, réduisent les autres au silence et donnent la cadence. A moins que…

 

Pour l’heure, nous sommes dans une situation de compromis. L’armée et les Frères musulmans jouent à ‟Je te tiens tu me tiens par la barbichette” ; et nous ne savons pas encore qui des deux ‟rira” le premier et ‟aura une tapette”. Les militaires ont pris un ensemble de mesures qui leur garantit des pouvoirs exceptionnels. L’équilibre de la terreur au sein de la vie politique nationale s’est mis en place. Jusqu’à quand ?

 

J’admets qu’il y ait eu un ‟Printemps arabe”, spontané, sincère, nullement manipulé en sous-main par des services secrets, des islamistes de tout poil et j’en passe. J’ai su dès le début qu’il y avait des individus sincères, des femmes et des hommes, jeunes pour la plupart, des individus las de ces régimes autoritaires et corrompus. Je n’en ai jamais douté ; et, pourtant, j’ai haussé les épaules, découragé. Pourquoi ? Je savais que ce faisant j’injuriais des femmes et des hommes qui risquaient l’emprisonnement, la torture ou la mort. Mais je savais aussi que les sociétés musulmanes ne se réformeraient pas ainsi, que ces jeunes, sans le vouloir, pavaient la voie aux Frères musulmans et autres islamistes, à diverses tendances (dont les salafistes) capables de décourager jusqu’aux amibes et aux mollusques.

 

Walid Phares apporte une note d’espoir (bien relative) à mon découragement radical face à l’islam et aux sociétés musulmanes. Il juge qu’une démocratisation trop rapide commence par donner le pouvoir aux forces antidémocratiques qui, de fait, disposent d’une meilleure organisation, qu’il s’agisse des forces laïques (l’appareil militaire par exemple) ou des forces religieuses qui contrôlent notamment les mosquées. Le ‟Printemps arabe” ne pourra se faire que par étapes et il faut se montrer patient, nous dit Walid Phares. Pourquoi pas ? Je me rassure tout en me répétant que je ne puis mettre ainsi au placard les sociétés arabes et, plus généralement, musulmanes. Mais on ne peut qu’être découragé quand on sait que l’ochlocratie est l’une des caractéristiques — et peut-être LA caractéristique — des sociétés musulmanes, l’ochlocratie qui favorise la rumination et la stabulation, qui décourage la spontanéité, cette spontanéité que je suis tout prêt à reconnaître aux révoltés de la place al-Tahrir.

 

Walid Phares est catégorique : le ‟Printemps arabe” (ou arabo-islamique) reviendra — refleurira ! Par ailleurs, nous dit-il, il faut accepter sa date de naissance qui n’est pas 2011 mais 2005, lorsque le peuple libanais a contraint l’occupant syrien au départ. Walid Phares le Libanais est plus qualifié que moi pour traiter de cette question mais je ne suis pas vraiment certain que ce soit le peuple libanais qui ait contraint l’occupant syrien au départ. Par ailleurs, Walid Phares passe d’un événement interne à un pays, la place al-Tahrir au Caire, en l’occurrence, à un événement qui engage deux pays souverains, ce qui me rend peu convainquant l’exemple qu’il nous propose. La révolte populaire en Iran contre le trucage des élections en 2009 me convainc plus sûrement. Tout d’abord, il s’agit bien d’un événement interne à un pays, comparable de ce fait aux événements de la place al-Tahrir ; ensuite, parce que j’ai l’intuition (une intuition dont je fais volontiers part en privé ou sur le Web) que la véritable révolution au sein de l’islam viendra de l’Iran, plus pensant que le monde arabe qui se ressasse depuis des lustres les mêmes formules et qui ne cesse de tourner autour de son piquet. Je ne suis pas un ami du clan el-Assad, mais on me permettra les plus sombres pronostics après sa chute, à moins d’un quadrillage du territoire par des forces internationales qui ne sauront pas qui protéger ni contre qui.

 

Bref, l’islamisme ne s’effacera pas de lui-même, comme le nazisme ne s’est pas effacé de lui-même. Ces chancres idéologiques ne peuvent se résorber d’eux-mêmes, par des traitements homéopathiques, des fumigations ou des prières aux divinités. Les islamistes risquent de se renforcer dans l’un des rares pays encore calmes de la région, la Jordanie. Par ailleurs, les salafistes ne cessent de se renforcer en Afrique noire : Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria et j’en passe.

 

Et dans cette immense partie, l’Occident a des comportements pour le moins bizarres. Walid Phares fait remarquer qu’il soutient systématiquement les régimes les moins démocratiques, les plus anti-occidentaux, qu’il s’agisse de monarchies, de théocraties ou de dictatures, puis, quand ceux-ci s’effondrent, qu’il se tourne vers les plus extrémistes. A ce propos, j’ai jugé l’intervention en Libye conduite par la France de Sarkozy (avec la complicité de l’opposition) comme parfaitement honteuse. On allait protéger les Libyens contre les Libyens (!?). Pourtant, après destruction de toute l’armature étatique (la Libye était l’un des plus prospères pays d’Afrique, rappelons-le tout de même au risque de passer pour un sympathisant de Kadhafi), les puissances attaquantes, France en tête, ne se sont pas attardées, alors que personne n’ignorait que des milices islamistes et des groupes djihadistes faisaient leur apparition, que des guerres entre tribus et clans se généralisaient. Par exemple, j’apprends aujourd’hui 1er juillet 2012 que des violences entre les Toubous et les Zwai ont fait ces derniers jours près de cinquante morts et plus d’une centaine de blessés à Koufra. Mais tout le monde s’en fout, la France s’en fout alors qu’elle y est pour quelque chose, me semble-t-il.

 

Walid Phares dont je ne partage pas toujours l’optimisme juge pourtant qu’à terme (et je le rejoins pleinement sur ce point) nous risquons d’affronter en Libye une version nord-africaine de l’Afghanistan sous les Talibans. Nous ne pourrons pas dire, nous Occidentaux, Français plus particulièrement, que nous n’y sommes pour rien. Et nous n’aurons pas assez de nos larmes pour pleurer…

 

Mais je laisse le dernier mot à Maurice-Ruben Hayoun, avec cet article trouvé sur son blog et intitulé : ‟Les suites de l’élection du candidat islamiste Mohammed Moursi en Égypte”, une réflexion qui invite à un certain optimisme et qui insiste sur le pragmatisme, la patience, la souplesse, en un mot sur l’intelligence des militaires égyptiens :

http://mrhayoun.blog.tdg.ch/archive/2012/07/01/les-suites-de-l-election-du-candidat-islamiste-mohammed-mour.html

 

 

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