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« Je me souviens » en photographie 3/4


Je me souviens de Frank Horvat, en particulier de la photographie ci-dessous, je m’en souviens plus volontiers que de ses autres photographies car il m’est arrivé de prendre ce type d’autobus en compagnie de ma mère, lorsque j’étais enfant dans les années 1960. Il m’amusait beaucoup. Je me souviens de la plate-forme arrière et de la sonnette qu’actionnait le contrôleur pour avertir le conducteur qu’il pouvait démarrer, en tirant sur une chaînette terminée par une poignée en bois qui ressemblait vraiment à un élément de chasse d’eau :

Une mariée 1961, à bord de l’un de ces autobus qui enchantèrent mon enfance. Il me semble reconnaître l’église de la Sainte-Trinité, dans le quartier de la gare Saint-Lazare, ce qui me laisse supposer que l’autobus circule rue de la Chaussée d’Antin. Sur les côté une publicité ‟Nicolas”, avec Nectar ; mais où est Glouglou ? Sur la chaussée, des passages cloutés vraiment cloutés. 

 

Je me souviens de mon émotion, à Córdoba, devant les photographies d’une femme dont j’ignorais jusqu’au nom, Pilar Pequeño, une photographe contemporaine qui dédie son attention au monde végétal. J’en fus émerveillé car il me semblait qu’un photographe de cette qualité ne pouvait qu’appartenir au passé — il m’arrive d’être pessimiste et d’envisager mon époque avec découragement.  L’œuvre de Pilar Pequeño m’évoque les plus grands, à commencer par Karl Blossfeldt et Josef Sudek. Mais Pilar Pequeño est Pilar Pequeño ; aujourd’hui encore, j’éprouve l’envie de la remercier. Je me souviens que Córdoba l’exposa très judicieusement dans son Jardín Botanico, installé le long du Guadalquivir.

 

Je me souviens de Gabriele Basilico, de ses vues urbaines qui invitent à l’attention, à ne rien considérer comme banal ou, plutôt, à voir dans le banal — derrière la banalité si vous préférez — autre chose. Gabriele Basilico nous dit, lui aussi, que l’attention transforme tout, et que l’appareil photographique est l’un des meilleurs vecteurs de l’attention. Le peintre l’hyperréaliste Richard Estes ne nous dit pas autre chose. J’aime décidément la banalité de Gabriele Basilico et de Richard Estes, pour ne citer qu’eux.

 

Je me souviens des doigts pleins d’encre. Je me souviens des encriers en faïence encastrés dans les pupitres en bois, des porte-plumes et des plumes Sergent-Major, de l’encre violette qui parfois quittait d’un coup la belle concavité de la plume et sa fente souple pour se répandre — catastrophe ! — sur les calligraphies appliquées, en pleins et en déliés. Et avec mes doigts pleins d’encre, je me souviens de Robert Doisneau — faut-il le préciser ?

 

Je me souviens des photographies aéronautiques de Jean Dieuzaide, à commencer par ses hommages au Concorde.

 

Je me souviens de la Gran Vía, à Madrid, dans les années 1960, je m’en souviens par Francesc Català-Roca. Je me souviens en particulier de ces élégantes en tenue d’été que des hommes, civils ou militaires, regardent plus ou moins discrètement :

 

Je me souviens de Ferdinando Scianna, de son premier recueil de photographies, ‟Feste Religiose in Sicilia”, réalisé en collaboration avec Leonardo Scascia, son compatriote. Je me souviens de ses portraits de Jorge Luis Borges. Je me souviens aussi de certaines de ses photographies de mode qui exercent sur moi un attrait encore plus marqué que celles de Jeanloup Sieff ou de Helmut Newton.

 

Je me souviens de Mario Giacomelli dont je découvris l’œuvre dans une galerie du Quartier Latin, alors que j’étais étudiant. Il s’agissait de photographies de grands formats, en noir et blanc, des campagnes avec labours prises en plongée et sous des angles variés. Je crus à des compositions abstraites puis, en m’approchant, je découvris leur réalité. Ces graphismes avec sillons me firent penser au gravier ratissé des jardins zen.

 

Je me souviens des compositions extraordinairement élaborées de Joel Peter Witkin, un monde qui m’est plutôt étranger (comme me l’est celui de Jan Saudek) mais dont je sais apprécier l’immense qualité. Je me souviens que l’œuvre de Joel Peter Witkin fut déterminée, ainsi qu’il l’avait confié dans une interview à Frank Horvat, par un accident de voiture dans Brooklyn : à six ans, il avait vu rouler à ses pieds la tête d’une petite fille.

 

Je reviens par le souvenir dans la Galerie Erval, à l’angle de la rue de Seine et de la rue des Beaux-Arts, qui exposa en 1980 les photographies d’Edmund Engelman. Je me souviens en particulier d’une photographie qui montre un vase étrusque (offert par Marie Bonaparte) contenant des fleurs et qui allait accueillir peu après, en 1939, les cendres de Sigmund Freud. Edmund Engelman dut photographier l’appartement du père de la psychanalyse sans jamais faire usage de flash ou de lumière artificielle afin de ne pas attirer l’attention de la Gestapo qui, en ce mois de mai 1938, surveillait déjà l’immeuble du Berggasse 19 :

Le bureau de Freud où la présence des statuettes (voir leur fonction psychanalytique) est au moins aussi importante  que celle des livres.

 

Je me souviens des célébrations du corps humain, tant féminin que masculin, de Herb Ritts. Je me souviens de ses portraits de certaines célébrités, à commencer par ceux de Jack Nicholson : il tient une loupe qui, déformant le bas de son visage, le fait ressembler à un orang-outan ; il est grimé comme le mime Marceau.

 

Je me souviens de Córdoba années 1950, 1960 et 1970 par les photographies de Ladis et de Ricardo.

 

Je me souviens de Xavier Miserachs, en particulier du piropo, la plus reproduite de ses photographies. El piropo a été saisi en 1962 à Barcelona, sur la Vía Laietana. On reconnaît une voiture années 1960, riche de ses chromes, une voiture comme on n’en voit plus, sauf à Cuba :

Le mot “piropo” est difficilement traduisible mais cette image se passe sans peine de mots…

 

Je me souviens du Madrid 1925-1975, je m’en souviens grâce à l’œil de Martín Santos Yubero :

http://www.youtube.com/watch?v=NkBPi7z1i9k

Je me souviens que j’ai découvert l’œuvre de Martín Santos Yubero par le portrait de cette vieille femme, Aurora Borja, qui porte la Croix de Fer de son fils, Nemesío Garcia, un soldat de la División Azul tombé sur le front de l’Est :

http://www.circulobellasartes.com/ag_ediciones-minerva-LeerMinervaCompleto.php?art=19

 

Je me souviens du Suédois Christer Strömholm, de mon émerveillement lorsque je découvris ses photographies au Museo Picasso de Málaga, en 2008. Je me souviens que ce photographe se fit connaître internationalement (et tardivement), dans les années 1980, par ses reportages sur le monde des transexuelles, à Paris, dans les années 1960-1970, reportages rassemblés dans un livre intitulé : ‟Les amies de la Place Blanche”.

 

Je me souviens de Juan Rulfo le Mexicain. Je me souviens de murs d’adobe, d’agaves, de réseaux de chemins de fer pris en plongée (l’extraordinaire esthétique du chemin de fer  qui a séduit tant de photographes), de croix de bois ou de métal qui marquent des sépultures de poussière, des croix qui me disent l’Espagne, les conquistadores. Je me souviens d’éléments architectoniques catholiques et précolombiens dans des espaces de lave et de poussière. Je me souviens d’une belle femme allongée au soleil — cuando el sol quema tu piel. Je me souviens de ce clin d’œil que je découvris par une revue espagnole, chez le coiffeur :

  

Le porche d’une église à Chinchilla de Monte-Aragón (Castilla-La Mancha, provincia de Albacete), photographie d’Odile. L’anthropomorphisme encore. 

(à suivre)

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