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Tel Aviv. Février-mars 2012. 5/6

 

A Shaul Sapir, un ancien du Palmach, en amical souvenir.

 

Redisons-le, Tel Aviv se développa exclusivement par le biais de l’entreprise privée, sans aide de la puissance mandataire et du trésor national. Cette particularité doit rester présente à l’esprit de celui qui marche dans cette ville à l’histoire si profondément originale.

 

                   Un timbre en hommage au Eden Cinema, un édifice emblématique                                      de l’histoire de Tel Aviv.

 

Le cinéma Eden et ses six cents places. C’est dans cette salle que fut projeté, le 30 mai 1930, le premier film parlant à Tel Aviv. A ce propos, les films parlants (diffusés dans des langues étrangères) étaient considérés comme dangereux car ils contrariaient la diffusion de l’hébreu à une époque — les années 1930 — où cette langue s’efforçait de supplanter le yiddish, son principal concurrent considéré par ailleurs comme la langue de l’exil.

 

27 février 2012. J’écoute l’hébreu, une langue qui se forme dans les profondeurs de la gorge bien plus que dans la bouche ou sur les lèvres. C’est la langue orale par excellence, la langue de la vie donc, une langue faite pour le chant et la psalmodie. L’oral serait-il la vie ? Et l’écrit serait-il la mort ? L’encre est obscure. Maurice-Ruben Hayoum écrit dans le ‟Que sais-je ?” acheté sur King George Street : ‟La compilation de la littérature talmudique avec sa notoire complexité répondait à un besoin précis : dans un univers religieux où l’on a même préconisé apparemment un interdit d’écriture, le fait de consigner par écrit le Talmud, véritable mémoire multi-séculaire du penser et du vécu juifs, constituait en soi un acte révolutionnaire. Comme le notait Salomon Maïmon dans son ‟Autobiographie”, les maîtres-d’œuvre de cette immense compilation ont préféré transgresser une seule loi, l’interdit d’écriture, dans le but de sauver toutes les autres ordonnances religieuses.”

 

28 février 2012. Après 1932, le carnaval de Pourim fut désigné sur la proposition de Samuel Joseph Agnon  sous le nom ‟Adloyada” , un nom inspiré de ce passage du Talmud où il est question de boire jusqu’à ne plus distinguer entre maudit soit Haman et béni soit Mordechai. Haman : l’ennemi numéro un du peule juif qui avait envoyé des décrets dans tout l’Empire perse par lesquels il ordonnait de tuer tous les Juifs sans distinction d’âge et de sexe ; mais survint le miracle de Pourim, incarné par la reine Esther et Mordechai. I am Mordechai a very good Jew, / You know me and love me and I love you. / I am a descendant of the Great King Saul, / I made wicked Haman cringe and crawl…

 

Une image de Pourim contenue dans la riche galerie d’images mise en ligne par JSSNews : http://jssnews.com/2012/03/09/pourrim-2012-les-photos/

 

Le premier carnaval de Pourim new wave eut donc lieu à Tel Aviv, en 1912, sous l’impulsion du professeur d’arts plastiques Abraham Aldema qui enseignait dans le plus ancien lycée de Tel Aviv, le Gymnasium Herzleya, un nom donné en hommage à Theodor Herzl. Abraham Aldema prônait les vertus éducatives de l’optimisme et de la fête.

 

L’histoire de ce lycée est inséparable de l’histoire de Tel Aviv, elle est même centrale. En 1962, cette construction emblématique (et fort belle) devenue exiguë et en mauvais état fut détruite. La Shalom Meir Tower (1963-1965) s’élève sur son emplacement. Elle fut longtemps la plus haute construction du Moyen-Orient. Le lycée de Tel Aviv est le premier établissement secondaire national non religieux du pays, creuset des valeurs fondatrices de la culture hébraïque en Eretz Israel.

 

Le lycée hébraïque Herzleya à l’époque de sa splendeur

 

Tel Aviv peut être envisagée comme une ville-État au sein du yichouv, avant même la fondation de l’État d’Israël. Les responsabilités de la municipalité étaient quasiment celles d’un gouvernement, un point que le livre de Yaacov Shavit expose avec pertinence. Tel Aviv comme sphère publique de la société civile juive en Eretz Israel. Tel Aviv subit le regard critique de David Ben Gourion : il la jugeait comme un yichouv urbain qui se serait développé trop vite, au détriment du yichouv rural. Conclusion de Yaacov Shavit : Tel Aviv pesait peut-être trop lourd par rapport à l’ensemble du yichouv des années 1920-1930, mais sans elle le yichouv n’aurait pu subsister.

 

Maison-musée David Ben-Gourion. Une construction années 1930, austère et fonctionnelle, confortable tout compte fait. Dans le salon, des cadeaux offerts par des chefs d’États et de gouvernements, dont un magnifique poignard en silex (XVIIe siècle – XVe siècle av. J.-C.) provenant d’Europe centrale, cadeau du Premier ministre du Danemark, Otto Krag. Dans une vitrine, des cadeaux offerts par diverses communautés juives, tant d’Israël que de la diaspora. Dans le couloir, des photographies montrent David Ben-Gourion en compagnie de personnalités : Winston S. Churchill (en 1961), Conrad Adenauer (en 1964), Pierre Messmer (en 1960), Guy Mollet (en 1959), H.N. Bialik (en 1933) et bien d’autres. Une série le montre dans son cadre familial, le plus souvent dans sa vaste bibliothèque avec ses enfants sur les genoux. Toujours au rez-de-chaussée, la chambre que David Ben-Gourion utilisa comme abri au cours de la campagne du Sinaï (1956) et de la guerre des Six Jours (1967). L’unique fenêtre de cette pièce a été bouchée avec des briques. David Ben-Gourion et sa famille vécurent en permanence dans cette maison jusqu’en 1953, année à partir de laquelle ils commencèrent à partager leur temps entre Tel Aviv et le Néguev, au kibboutz Sde Boker. David Ben-Gourion fit don de sa maison et de tout son contenu à l’État d’Israël, en 1976. Selon ses dernières volontés, elle fut transformée en musée et en Reading, Reviewing and Research Center. Les livres y sont classés par catégories : encyclopédies, religion (dont judaïsme, avec les sous-catégories : judaïsme hellénique, kabbale, etc.), littérature grecque, littérature latine, livres de voyage, histoire, histoire juive, religions (bouddhisme, zen, hindouisme, etc.), sciences, psychologie, éducation, économie, etc. La plupart des livres sont en hébreu et en anglais. Quelques titres au hasard : ‟La Révolution française” de Jean Jaurès, ‟The Doctrine of the Buddha” de George Grimm, ‟The Jewish Problem in the Soviet Union” de B.Z. Goldberg, ‟Cults of the Greek States” de Lewis Richard Farnell, ‟Minoans, Philistines and Greeks” de Andrew Robert Burn, ‟Jewish Influence on Christian Reform Movements” de Louis I. Newman, ‟The Dialogues of Plato translated into English” par Benjamin Jowett.

 

Une vue en perspective de la bibliothèque de David Ben Gourion, quatre pièces de diverses dimensions qui occupent presque tout le premier étage de la maison-musée : quelque vingt mille livres.   

Un mot suffit à me dire l’Inde : rickshaw.  Un mot suffit à me dire le Laos : tuk-tuk. un mot suffit à me dire Israël : sherout.

 

29 février 2010. Netanya. Beaucoup de retraités francophones. L’accent pied-noir est partout. Pâtisseries et bijouteries. Une boutique propose un bric-à-brac religieux dans divers matériaux : métal, verre, céramique. Dans une caisse, des kippas, huit shekels pièce. Netanya, une architecture et un urbanisme désastreux mais une ambiance sympathique. Le chauffeur du sherout est un Juif français de soixante-cinq ans, chaleureux et loquace, qui a fait son aliya dans les années 1960 après avoir vécu à Paris, Porte des Lilas. Il me questionne sur mes impressions d’Israël. Je fais montre d’enthousiasme. Il aime l’Espagne où il a passé des vacances. Il loue la beauté de ses paysages et l’amabilité de ses habitants. Il aimerait parler l’espagnol, ‟une langue qui donne l’envie de chanter”. Des Russes montent dans le sherout. Il me dit combien il apprécie leur venue : ‟Ce sont des gens énergiques ; et beaucoup d’entre eux ont un haut niveau d’éducation, médecins, ingénieurs, etc. C’est une immigration très bénéfique pour le pays.”

 

Le symbole du Palmach à l’entrée du Palmach Museum. Au cours de la guerre d’indépendance, en 1948, la Haganah était constituée de douze brigades dont trois du Palmach, le fer de lance de la Haganah. 

 

2 mars 2012. Au Palmach Museum. Une exposition temporaire de dessins et de peintures de Ludwig Blum (1891-1974) d’excellente facture, au trait et à la touche énergiques, avec pour thème des portraits de membres du Palmach, des scènes de guerre et des scènes après bataille. Parmi les œuvres présentées, Eli, son fils, tué lors du dynamitage du A-Ziv Bridge, le 16 juin 1946 (voir Night of the Bridges), ainsi que les portraits des treize autres combattants tués au cours de cette opération. Dans le centre de documentation du Palmach, je discute avec des anciens. L’un d’eux se présente, Shaul Sapir, et m’entraîne devant d’énormes cahiers bourrés de photographies. Il a quatre-vingts ans passés. Il est petit, râblé, sa voix est profonde et chaleureuse. Je lui parle de Thadée Diffre, un nom qui ne lui évoque rien. Mais j’oubliais que cet officier du Palmach était connu sous le nom de Teddy Eytan. “Teddy Eytan ! s’exclame Shaul Sapir, mais ici tout le monde a connu Teddy. J’étais avec lui à Beer Sheva !” Il me raconte certaines de ses aventures sans jamais cesser de rigoler.  Shaul Sapir tourne les pages plastifiées des grands albums : ‟I am here ! I am here !”, me dit-il en roulant les r. Autour d’une table basse, assis dans des fauteuils en osier, des anciennes et des anciens du Palmach discutent. Je salue ces héros.

 

Shaul Sapir, né en 1928, membre du Palmach.

 

Ci-joint, des interviews (en anglais) d’anciens combattants de la guerre d’indépendance (1948) réalisées par l’écrivain Efrem Sigel, un passionnant dossier. Shaul Sapir y apparaît en page 10 :

http://www.efremsigel.com/pdfs/Sigel,RoadtoLatrun,TheyFought(CongressMonthly)FINALAprMay08.pdf

 (à suivre)

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