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Tel Aviv. Février-mars 2012. 3/6

 

25 février 2012, au Tel Aviv Museum of Art.

Les belles photographies de Gaston Zvi Ickowicz qui excelle tant dans les grands formats que dans les petits formats. Je leur trouve un discret air de famille avec celles de Hamish Fulton (the walking artist) : une même attention au sol qui nous supporte et que nous parcourons d’un regard si souvent négligeant. L’attention aux marques du temps, humain et géologique.

 

Une vaste exposition de gravures de Walid Abu Shakra. Les aquatintes sont plutôt ennuyeuses : on y sent la démonstration technique. Les pointes-sèches quant à elles sont pleines de vigueur avec ces vues de la campagne de son enfance : oliviers, terrains caillouteux, cactus, murets en pierre sèche ; ces gravures ont la spontanéité de dessins à la mine de plomb. A ce propos, la pointe-sèche est la plus belle des techniques en taille-douce, précisément parce qu’elle est la plus spontanée, la plus simple. Par ailleurs, on ne triche pas avec une telle technique, tandis que la cuisine de l’eau-forte permet de masquer les insuffisantes sous de la joliesse. Les empâtements soyeux et veloutés de la pointe-sèche.

 

La galerie des maîtres anciens avec prédominance de scènes bibliques qui prennent ici, en Israël, un sens particulier. Adam et Eve, le sacrifice d’Abraham (une grande composition de Jan Lievens), le rêve de Jacob, les Israélites ramassant la Manne, Moïse et Aaron enseignant aux Israélites les Dix Commandements, David tenant la tête de Goliath, les Égyptiens engloutis dans la mer Rouge, Moïse et le serpent de bronze, etc. La plupart de ces œuvres sont d’une facture plutôt médiocre mais, je le redis, ici, en Israël, elles prennent une signification renouvelée et je médite plus intensément leur enseignement.

 

 

Naum Aronson. Buste en bronze de Léon Tolstoï (1902-1908) réalisé chez Alexis Rudier, fondeur à Paris.

 

Surprise ! Un beau buste de… Raspoutine (1916) en plâtre patiné de Naum Aronson (1872-1943), un artiste qui accèdera à la célébrité en travaillant à un buste de Tolstoï.

 

Une série de beaux portraits de l’école anglaise, généralement en pied. Perdu au milieu de portraits du XVIIIe, un portrait hyperréaliste de David Nipo (né en 1964) réalisé en 2011, avec un fond à l’ancienne vert bronze : Ronald Fuhrer, spécialiste de l’art israélien et auteur d’une étude intitulée ‟Israeli Painting : From Post-Impressionism to Post-Zionism”). Cette facture hyperréaliste soutenue par de fortes références ne peut qu’intriguer le visiteur.

 

Dans les petites vitrines encastrées d’une salle à l’éclairage tamisé et directionnel, dix-sept Miniature Rooms (Helena Rubinstein Collection). Ambiance prenante : chacun de ces intérieurs nous attire en lui avec une sensation de cosiness. Différents styles, différentes ambiances donc : Biedermeier, Georgian, Mid-Victorian, Second Empire, etc.

 

Les maîtres hollandais, l’unité parfaite de la vision. Une peinture qui tend parfois vers le gestuel avec ces arbres agités par le vent. Les maîtres hollandais furent sérieux et jubilatoires, c’est pourquoi je les aime tant. Devant un grand paysage de Ruysdael, je détaille la technique du glacis qui dans le ciel laisse transparaître le support : les veines du bois se font nuages.

 

Une toile de Salvator Rosa, un peintre à la touche très moderne, ‟expressionniste” dirais-je si le mot n’était si galvaudé, si fourre-tout. L’inquiétude sourd de chaque recoin de ce paysage, de chaque touche, comme dans les compositions d’Alessandro Magnasco. A ce propos, signalons que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Paris) a fait l’acquisition il y a peu d’une peinture de ce dernier intitulée ‟Funérailles juives”.

 

‟Le Jugement Dernier” (1571) de Jacob de Backer montre le Christ qui trône bien au centre. Moïse qui tient les Tables de la Loi est placé à la même hauteur mais il est très excentré — je n’ose dire qu’il est poussé dans un coin.

 

Les compositions du peintre hollandais Jozef Israëls (1824-1911), son réalisme social.

 

 Un charmant autoportrait de Mauricy Gottlieb.

 

Le Polonais Maurycy Gottlieb (1856-1879), son bel autoportrait de 1878 dont la touche et la tonalité m’évoquent Léon Bonnat.

 

Boudin, Jongkind, Sisley, Corot, Pissarro, Cézanne, Monet, Signac, Utrillo, Matisse, Vuillard et tant d’autres artistes réunis dans ce musée. Ma mère me les commentait, dans des galeries et des musées, des livres et des revues d’art.

 

Une surprise, Henri Martin, un artiste que j’ai découvert à Toulouse, avec ses grandes compositions qui ornent l’une des salles du Capitole. Henri Martin, un artiste très en vogue sous la IIIe République et injustement,oublié.

 

Un autoportrait de Max Liebermann (1911) : je lui trouve un petit côté Cézanne mais plus spontané. A ce propos, Cézanne fut parfois laborieux et Renoir parfois franchement mauvais. La critique est certes facile, me fera-t-on remarquer à raison.

 

Autre surprise, une composition de grandes dimensions de Leonid Pasternak (le père de Boris Pasternak) : ‟Max Liebermann opening an exhibition at the Academy in Berlin.”

 

Des peintures de Pascin le suicidé qui mêla si délicatement le dessin (au crayon) et la peinture (à l’huile), une peinture légère et transparente comme de l’aquarelle.

 

Kisling, le Juif polonais devenu parisien comme tant d’autres alors. Sa peinture sage, avec ces formes comme découpées aux ciseaux. Je ne me lasse pas du regard de ses modèles pourtant stéréotypé.

 

Matisse, une peinture qui n’est que dessin si on la compare à celle de Vuillard ou de Bonnard, par exemple.

 

Le plaisir très particulier que j’éprouve généralement devant les œuvres de Joaquín Torres-García, un plaisir qu’il me faudra analyser afin de l’augmenter. Ce plaisir tient en grande partie au fait que ses peintures me disent le livre, l’architecture du livre. Un air de famille avec Bissière.

 

Devant un découpage (ou ‟Relief”) en carton de Ben Nicholson dont les tonalités délicatement grises, entre étain et ardoise, me mettent en appétit. Je ne puis m’en détacher : ces tonalités mais aussi ce délicat équilibre entre des figures géométriques simples, sans oublier la netteté du découpage qui m’évoque certains procédés de la gravure.

 

  Tel Aviv Museum of Art. Herta and Paul Amir Building.

 

J’ai éprouvé le même agacement dans cette partie du Tel Aviv Museum of Art qui porte le nom de ses donateurs, Herta and Paul Amir de Los Angeles. Preston Scott Cohen en est l’architecte. L’idée est sympathique, fort belle même, avec le vertical light fall, la folding surface et j’en passe, mais j’aurais préféré qu’elle s’en tienne au papier, à la maquette, que cette idée reste une idée. J’ai fait la même remarque au sujet du Jüdisches Museum Berlin — voir l’article que je lui ai consacré sur ce blog, le 11 avril 2011. Ce dernier surnommé le Blitz par les Berlinois est autrement plus compliqué et ce qui y est présenté est autrement plus riche. Résultat, on s’y perd, on s’y énerve, on y peste même. La construction et le parcours imposé obligent le visiteur à disperser son attention. La masse d’informations présentées dans la construction de Daniel Libeskind est considérable ; en conséquence, l’attention et les jambes sont mises à rude épreuve. Faire simple aurait été préférable. Ces constructions-objets qui réclament à ce point notre attention sont irritantes et, tout compte fait, prétentieuses : elles devraient s’effacer devant ce qu’elles présentent. Dans le genre, le comble de la prétention reste le Museo Guggenheim de Bilbao de Frank Gehry, adepte en l’occurrence des théories du déconstructivisme. Ajoutons que ces bâtiments alambiqués risquent de vieillir fort mal, c’est-à-dire de nous apparaître bientôt ringards mais aussi de perdre leur lustre à moins d’un entretien constant et compliqué, coûteux donc. Par ailleurs, leur coût de construction est pharamineux : chaque élément étant fait sur mesure. J’en reviens au Herta and Paul Amir Museum de Tel Aviv. Il est d’une taille plus modeste et il est moins tarabiscoté que les deux autres architectures en question, il recèle ici et là de charmants détails et d’amusantes trouvailles comme ces murs en forme de demi-coque. J’aurais toutefois préféré le mur perpendiculaire susceptible de recevoir des œuvres. Quant aux angles aigus, ils me sont insupportables : je les vois comme prêts à se refermer tel un piège et m’écraser. Revenons à l’antique simplicité, à la noble simplicité, par respect pour les œuvres présentées et les visiteurs. Lorsque je détaille les œuvres du déconstructivisme, les musées en particulier, je m’éprends plus encore des réalisations du Staatliches Bauhaus, de l’École de Chicago et de Louis Henry Sullivan, de Karl Friedrich Schinkel, à commencer par la Berliner Bauakademie.

 

 (à suivre)

 

 

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