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Un temps de la mémoire espagnole

 

Cet article peut être envisagé comme une suite à l’article précédemment publié sur ce blog : ‟Les Juifs dans la Guerre Civile d’Espagne” qui se termine sur une image de l’une des trois boîtes de la maleta mexicana. 

 

La mémoire espagnole s’est considérablement enrichie il y a peu, suite à la découverte des archives de Niceto Alcalá-Zamora qui fut président de la IIeRépublique entre 1931 et 1936, des archives volées au début de la Guerre Civile (1936-1939) et retrouvées à Valencia fin 2008.

 

Niceto Alcalá-Zamora (Priego de Córdoba 1877 – Buenos Aires 1949)

 

 

En décembre 2008, l’unité Património Historico de la Guardia Civil déclara avoir localisé à Valencia les archives de Niceto Alcalá-Zamora, une somme de documents dont on avait perdu toute trace après le sac de la succursale du Crédit Lyonnais, à Madrid. Précisons que le Ministerio de Cultura versa au couple affirmant être les propriétaires du legs d’Alcalá-Zamora la somme de 80 000 euros. Comment ces documents étaient-ils donc parvenus entre leurs mains ? L’hypothèse la plus sûre reste le vol mais, considérant le temps écoulé, il y avait prescription. Peut-être en saura-t-on un jour davantage sur l’histoire de ces archives, entre février 1937 (date à laquelle on perdit leur trace) et décembre 2008. Outre la correspondance, la partie la plus précieuse est constituée de journaux (diarios) scrupuleusement tenus par celui qui fut chef de l’État au cours d’une période cruciale de l’histoire de l’Espagne.

 

 
Une lettre du 12 janvier 1933 de Niceto Alcalá-Zamora, alors président de la République, adressée à Manuel Azaña, alors président du Conseil et qui succèdera à ce premier au poste de président de la IIe République, de 1936 à 1939. 
 
 

Sur le nuancier politique, Alcalá-Zamora se place au centre-droite. Suite au coup d’État du général Miguel Primo de Rivera, en 1923, il ne tarda pas à prendre ses distances vis-à-vis du régime. Il sera l’un des organisateurs du Pacto de San Sebastián (août 1930) où seront représentées toutes les tendances républicaines.

 

Alcalá-Zamora fut un écrivain prolifique qui consigna sa vie dans une suite de livres de mémoires. Au cours de la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930), il écrivit un premier volume, ‟Memorias íntimas”, qui couvre la période de son enfance à la fin de la dictature. En 1932, il acheva un autre livre intitulé ‟Recuerdos de la victoria republicana” sur cette période de transition de la monarchie à la république. Suite à son accession à la présidence de la République, il dicta ce qui allait constituer le troisième volume de ses mémoires qui ne sera édité qu’à la mi-novembre 2011.

 

Suite à sa destitution (polémique) en avril 1936, Alcalá-Zamora déposa ses archives personnelles au Crédit Lyonnais de Madrid et, début juin, il partit pour la Scandinavie, probablement sans savoir qu’il ne reverrait jamais l’Espagne. Lorsqu’éclata la guerre civile (17-18 juillet 1936), il était à Hambourg. Il passa ces années de guerre en France, sans jamais prendre parti, se considérant comme un représentant de la tercera España, un centriste, un modéré effrayé par la violence qui venait de partout. Au cours de son exil argentin, il rédigea des mémoires en regrettant leur manque de précision faute de documents.

 

Dans cette somme de papiers retrouvés à Valencia, le plus intéressant pour les historiens reste le journal qui couvre la période du Ier janvier au 8 avril 1936, soit le lendemain de sa destitution par les Cortes contrôlées par le Frente Popular.

 

 La couverture du livre publié à partir des journaux volés (los dirais robados), un événement éditorial annoncé en pleine page dans les principaux quotidiens nationaux. 

 

 

Il est possible que des documents personnels d’Alcalá-Zamonra aient été irrémédiablement perdus. Il est également possible que d’autres documents apparaissent un jour, inopinément. Alcalá-Zamora évoque dans ses écrits de Buenos Aires ses journaux des années 1933, 1934 et 1935. Or, ceux-ci ne figurent pas dans la masse des documents retrouvés à Valencia, fin 2008. Ces documents auraient apporté à coup sûr de très précieux renseignements sur ces années cruciales de l’histoire du pays, plus particulièrement la révolte des Asturies, en octobre 1934, une révolte qui se fit révolution et poussa le gouvernement de la République (alors dirigé par Alejandro Lerroux) à une action militaire conduite par le général Franco. Quelques documents concernent toutefois cet événement : une enveloppe contenant quinze photographies aériennes prises par l’Armée de l’Air et un rapport daté du 11 octobre 1934 à l’attention du général Franco. Dans son journal de 1936, Alcalá-Zamora note quelques réflexions sur la révolte des Asturies qui, avec du recul, apparaît comme une répétition de la Guerre Civile de 1936-1939. Les réflexions de ce chef d’État sont d’autant plus intéressantes qu’elles viennent d’un modéré, de l’un des rares représentants de cette tercera España dont la voix n’allait pas tarder à être recouverte par la guerre civile. Les plus brillants acteurs de cette Espagne (comme Gregorio Marañón) partiront en exil, principalement en France. Alcalá-Zamora pressentit la grande guerre civile et son amertume se porta sur tout le spectre politique, à commencer par les radicaux d’Alejandro Lerroux (voir le Partido Republicano Radical) et les cedistas (voir CEDA) de José-María Gil-Robles.

 

Les élections du 16 février 1936 sont très étudiées par les historiens. On imagine leur émoi suite à la découverte des archives privées d’Alcalá-Zamora, en particulier de son dietario. Je n’insisterai pas sur l’inquiétude que ces élections suscitèrent chez un homme qui de sa position de centriste sut juger avec une même sévérité — une même amertume— des forces qui allaient s’affronter dans la pire des guerres civiles européennes du XXe siècle, une guerre que l’érosion du centre lui laissait prévoir. Le 12 janvier 1936, il note qu’au Parlement, sur les 473 sièges, ‟había 230 diputados de derechas, desde los somedidos a Maura y a Lerroux hasta los carlistas ; unos 120 de izquierdas, desde Martínez Barrio al extremo; y no llegaban a un centenar de centro”. Parmi les modérés — les centristas —, ceux de son parti, le Partido Republicano Progesista. Ajoutons que la Loi électorale accentuait cette radicalisation, une loi qu’Alcalá-Zamora jugeait ‟monstruosa” (une loi à caractère majoritaire approuvée sous le gouvernement de Manuel Azaña, entre 1932 et 1933) et comme le chemin le plus direct pour arriver à la guerre civile étant donné qu’elle favorisait ‟a dos tendencias extremas, obsesionadas por las ideas del aplastamineto y exterminio de los adversarios.”

 

Mais je m’arrête dans la crainte de lasser le lecteur. Je voulais simplement lui dire combien les traces de la mémoire sont imprévisibles et merveilleuses. La maleta mexicana et les archives privées de Niceto Alcalá-Zamora marquent deux temps forts des retrouvailles avec la mémoire d’un peuple. Il y en a eu d’autres, il y en aura d’autres.

 

 

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