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Juda Halévi (1075 ? – 1141). D’Espagne à Jérusalem. 1/2

Le présent article prend appui sur la monographie de Masha Itzhaki, spécialiste de poésie hébraïque médiévale espagnole. J’ai lu cette monographie à sa parution, en 1997. Je l’ai relue pour Zakhor-online car elle constitue une introduction de qualité à l’œuvre d’une figure majeure du judaïsme.

 

Sculpture de Juda Halévi, à Césarée (Israël).

 

Juda Halévi fut un voyageur comme Benjamin de Tudela ; il parcourut cependant une aire moins vaste. Et puisqu’il est question de ce grand voyageur, je propose le lien suivant : http://www.teachittome.com/seforim2/seforim/masaos_binyomin_mitudela_with_english.pdf

Je n’ai pu résister à la tentation de vous faire découvrir ce document légèrement hors-sujet ici. Il s’agit du texte (en anglais) établi par Marcus Nathan Adler : «The Itinerary of Benjamin of Tudela – Critical Text, Translation and Commentary».

 

La date de naissance de Juda Halévi est incertaine. On ne sait rien de ses parents et de son enfance, quelque part dans le Nord de l’Espagne. Est-il né à Toledo ou à Tudela ? On sait qu’il a séjourné à Granada, Lucena, Sevilla et Córdoba ; mais on n’a pu établir une chronologie précise de son séjour andalou.

 

Avant de tomber aux mains des Almoravides, en 1090, Granada était une ville-phare en Andalousie. La famille Ibn Ezra (avec le père, Jacob, et ses quatre fils) occupait une position de première importance à la cour du dernier roi berbère. Il semblerait que ce soit Moïse (l’un des fils de Jacob Ibn Ezra), le plus grand poète juif de son temps, qui ait découvert le talent de Juda Halévi, lors d’un concours de poésie dans une ville d’Andalousie dont nous ignorons le nom, un concours que Juda Halévi remporta malgré son jeune âge. Juda Halévi, figure majeure de la spiritualité juive, commença comme poète itinérant dans les cours d’Andalousie. Sa poésie subit l’influence de la poésie arabe, une influence déjà bien installée dans la poésie hébraïque.

 

La première chanson à boire en hébreu fut écrite par Dunash Ben Labrat (né à Bagdad, il vécut à Córdoba, à la cour de Hasdaï Ibn Shaprut) qui introduisit dans la poésie hébraïque les normes (le fond autant que la forme) de la poésie arabe de son temps. Moins d’un siècle plus tard, Juda Halévi sera à son aise dans le genre poème à boire et poème d’amour. Ce processus d’emprunt amorcé à la fin du Xe siècle se poursuivit pendant deux siècles et demi. Moïse Ibn Ezra conduisit à son apogée la poésie hébraïque profane ; Juda Halévi prit la relève. Parmi les genres de cette poésie, la devinette dont Juda Halévi fut le plus brillant représentant.

 

La poésie était alors un métier. La plupart des poètes vivaient de leur plume et, pour ce faire, ils devaient prouver leur habileté technique. C’est pourquoi on trouve chez un même poète des genres si différents : poème liturgique, poème de louanges, poème à boire, devinette (un genre qui pouvait être une manière d’adresser de discrètes louanges à un ami ou un personnage influent), etc. Voir l’œuvre de Samuel Ha Nagid, Salomon Ibn Gabirol, Moïse et Abraham Ibn Ezra et Juda Halévi.

 

Il n’est pas aisé d’établir une chronologie précise de la production de Juda Halévi. On peut toutefois avancer qu’il suivit une pente naturelle (comme Samuel Ha Nagid et Moïse Ibn Ezra), une pente que favorise l’âge, à savoir que les œuvres légères (poèmes à boire, épigrammes, etc.) sont plutôt des œuvres de jeunesse, tandis que les œuvres plus graves (religieuses ou philosophiques) sont plutôt des œuvres de maturité ou de vieillesse.

 

On ne dispose d’aucune information précise sur les voyages de Juda Halévi en Espagne. Une lecture attentive de ses poèmes profanes épistolaires (rassemblés dans le «Diwan») permet cependant de recueillir des indices sur les milieux qu’il fréquentait et les rapports qu’il entretenait avec eux. Juda Halévi tissa un impressionnant réseau d’amitiés, notamment avec la communauté juive de Lucena, une ville qui appartenait alors au royaume de Granada, avant sa prise par les Almoravides, une ville à majorité juive — voir la description qu’en fait le géographe arabe Idriss. Du milieu du XIe siècle au milieu du XIIe siècle, Lucena fut notamment un centre de jurisprudence pour le judaïsme séfarade. La correspondance de Juda Halévi laisse supposer qu’il a très certainement vécu à Lucena dans sa jeunesse et qu’il y est retourné pour y séjourner durablement.

 

Toledo tient une place particulière dans la vie de Juda Halévi. Cette ville qui fut capitale du royaume chrétien serait-elle sa ville natale ? Toledo ou Tudela ? Les Juifs qui fuyaient les Almoravides se réfugiaient volontiers chez les Chrétiens, à Toledo en particulier. Ce fut le cas de Joseph, frère de Moïse Ibn Ezra dont le fils devint conseiller et bras droit d’Alfonso VII. Juda Halévi séjourna dans cette capitale en même temps que Joseph Proutsiel (alias Cidellus), médecin d’Alfonso V.

 

Ce séjour à Toledo fut décisif pour l’évolution spirituelle de Juda Halévi. Son sentiment national s’y fortifia. En effet, c’est au cours de cette période que le poète assista à la multiplication des violences infligées aux communautés juives, non seulement au Sud, avec les Almoravides et ces Berbères appelés en renfort pour combattre la poussée des Chrétiens, mais aussi au Nord, avec ces seigneurs normands, français, bourguignons et gascons envoyés en Espagne avec cet esprit de croisade insufflé dès 1053 par le pape Alexandre II. Prises entre le marteau et l’enclume, les communautés juives se trouvèrent désemparées. De faux messies se manifestèrent. Ils spéculaient sur la fin des malheurs du peuple juif. Parmi eux, Moïse Draï. Ses prophéties s’avérant erronées, il partit pour Israël. Cette effervescence mystique activa la conscience nationale de Juda Halévi.

 

Je ne m’étendrai pas sur les particularités de la poésie de Juda Halévi, comme le fait Masha Itzhaki. Que le lecteur sache simplement que sa poésie (qui, rappelons-le, fonctionne selon les normes de la poésie arabe) véhicule également une influence romane, influence perceptible chez Abraham Ibn Ezra, pour ne citer que lui. Parmi ses poèmes profanes, on trouve un ensemble d’élégies qui marquent l’introduction d’éléments populaires chrétiens dans la poésie médiévale et qui annoncent un changement d’orientation par rapport à la tradition musulmane, une orientation qui culminera avec la poésie provençale du XIIIe siècle.

(à suivre)

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