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La Turquie et l’Iran se disputent le contrôle du «Printemps arabe».

Cet article a été traduit par mes soins pour Zakhor-online. Il rend compte d’une interview parue dans le quotidien espagnol ABC (du mercredi 14 septembre 2011, en page 29). Boaz Ganor, directeur de l’Institut pour le Contre-terrorisme au Centre Interdisciplinaire Herzliya (Israël), est interviewé par Estaban Villarejo.

 

Trois questions préoccupent actuellement les experts : les conséquences qu’auront la proclamation (unilatérale) d’un État palestinien, le «Printemps arabe» et, enfin, le jihad global. La Turquie n’était pas à l’ordre du jour. Mais le vieil allié d’Israël est devenu un problème pour ce pays depuis qu’Erdogan, toujours plus néo-ottoman, est entré en compétition avec l’Iran pour le contrôle de ce processus au nom qui pourrait prêter à sourire, le «Printemps arabe».

 

 Boaz Ganor

 

Quelles conséquences a le «Printemps arabe» pour Israël ?
Ce processus a favorisé les jihadistes, Al-Qaida et ses filiales, le Hezbollah et l’Iran qui, dans certains cas, s’emploient à entrer en contact avec des organisations comme les Frères Musulmans, en Égypte. Je crains que les démocrates n’aient guère de poids dans des pays tels que l’Égypte ou la Syrie. Je crains que ce ne soit les jihadistes et les islamistes qui ne détiennent la clé du pouvoir. Nous avons vu, il y a peu, des navires de guerre iraniens passer par le canal de Suez !

 

Comment expliquez-vous la récente attaque, au Caire, contre l’ambassade d’israël ?
Cette attaque est liée à l’influence grandissante des Frères Musulmans, une organisation préjudiciable à la région qui vise à établir un califat. Autre sujet de préoccupation : il y a en Égypte des vides du pouvoir, comme dans le Sinaï qui s’est converti en un no man’s land, ce qui constitue un grand danger pour Israël.

 

Une démocratie arabe est-elle possible ?
Les États-Unis jugent que l’instauration de la démocratie est la réponse à opposer aux radicaux. Le «Printemps arabe» ne va pas nécessairement engendrer des démocraties.

 

Et la Libye ?
Nous savons que des jihadistes se sont infiltrés dans le pays, que des tribus entretiennent des relations avec Al-Qaida ; et j’ai bien peur que la situation n’en vienne à se dégrader toujours plus au point de conduire à une guerre civile entre des groupes liés à Al-Qaida et d’autres groupes libyens. Pour ce qui est du «Printemps arabe», deux pays doivent nous préoccuper tout particulièrement : la Libye et le Yémen, avec leurs structures tribales liées à Al-Qaida.

 

La mort de Ben Laden a-t-elle un impact dans la lutte contre le terrorisme ?  Non, pas vraiment. Al-Qaida est beaucoup plus que Ben Laden, et le jihad global est beaucoup plus qu’Al-Qaida. Sa puissance mortifère n’a guère été entamée.

 

Quel est le rôle de l’Iran dans le terrorisme global ?
L’Iran est impliqué dans le terrorisme au Moyen Orient. Nous pouvons noter son influence au Liban via le Hezbollah, et à Gaza via le Hamas. Mais aussi, toujours sur la scène palestinienne, via le Comité de résistance populaire ou le Jihad islamique palestinien. L’Iran pousse ses pions en Syrie, dans la Corne d’Afrique et en Amérique latine. Et il espère avoir l’arme nucléaire pour étendre plus encore son influence.

 

La communauté internationale doit-elle agir pour que l’Iran ne dispose pas de l’arme nucléaire ?                                                                                                                 Sans aucun doute. Le monde changera avec l’Iran disposant de l’arme nucléaire.

 

L’Espagne reste-t-elle un objectif d’Al-Qaida ?                                                             Sans aucun doute. Ses membres ont dans l’idée que l’Andalousie doit devenir un territoire islamique, l’Andalousie et une bonne partie de l’Europe.

 

Comment jugez-vous le monde dix ans après le 11-S ?                                             C’est un monde beaucoup plus dangereux. Mais, par ailleurs, il existe une meilleure  coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme.

 

Ci-joint, une interview de Boaz Ganor, sur JSSNews, à propos des attentats d’Eilat. Elle complète la présente interview :
http://jssnews.com/2011/08/18/exclusif-jssnews-interview-du-dr-boaz-ganor-au-sujet-des-attentats-d%e2%80%99eilat/

 

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Israël sert d’activateur dans le monde musulman, qu’il soit arabe, turc ou iranien.  Les uns et les autres cherchent à se positionner (se placer à la tête du monde musulman en mettant notamment à profit le «Printemps arabe») en prenant fait et cause pour les Palestiniens et en dénonçant Israël, avec surenchère à l’appui. Il faut voir Erdogan se dresser sur ses ergots avec Gaza. Il sait que la cause palestinienne est l’une des clés, et pas la moindre, qui pourrait lui permettre de devenir une sorte de nouveau Nasser.

 

On connaît la formule : Si les Juifs n’avaient pas existé, il aurait fallu les inventer. De même : Si Israël (l’État d’Israël) n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. Il n’y a aucun doute à ce sujet. En dénonçant Israël, les Musulmans de divers pays et obédiences n’ignorent pas qu’ils trouvent des complaisances  un peu partout, en particulier chez nous, en Europe. L’antisémitisme comme l’anti-sionisme (qui entretient de nombreux liens avec ce premier, contrairement à ce que certains s’efforcent de nous faire accroire) servent de liant. Hitler compris vite que seule l’activation de l’antisémitisme (la dénonciation du Juif) pouvait faire du peuple cette pâte homogène et malléable qu’il lui fallait. De même avec les pays arabes et, plus généralement musulmans, c’est l’anti-sionisme (la dénonciation d’Israël) qui seul peut donner une certaine cohésion à des ensembles fort disparates.

 

En Europe, l’antisémitisme active l’anti-sionisme. Dans les pays musulmans, principalement arabes, c’est l’inverse : l’anti-sionisme active l’antisémitisme. Et qu’un rigolo ne vienne pas me ressortir que les Arabes ne peuvent être antisémites étant eux-mêmes des Sémites. Il ne s’en sortira pas à si bon compte. A présent, on assiste à un étrange chassé-croisé ou, plus exactement, à un jeu de miroirs entre eux et nous. L’[antisémitisme ➝ anti-sionisme] contemple son image inversée dans le miroir soit [anti-sionisme ➝ antisémitisme], et inversement. C’est un chassé-croisé d’images mentales qui dessine une étrange chorégraphie. Elle enivre les spectateurs qui se laissent emporter par les psalmodies de la propagande et des «raisonnements» qui s’évitent toute complication : il faut faire simple pour espérer convaincre.

 

*  *  *

 

Les terribles tensions qui parcourent le monde musulman sont un atout majeur à prendre discrètement en considération. On connaît la vieille formule qui a fait la puissance et le prestige des Britanniques : Divide and rule, une règle à manier cependant avec précaution car elle peut à tout moment se retourner contre celui qui en fait sa règle de conduite.

 

Les craintes de Boaz Ganor sont les miennes. Une fois balayées les structures laïques des pays en question (avec l’armée comme pilier de leurs régimes), il ne reste comme seule alternative (proposition de structure sociale) que l’islam, cette idéologie politico-religieuse. Et dans les périodes troubles comme celle que nous traversons, les radicaux (jihadistes et islamistes) voient augmenter leurs chances de se saisir du pouvoir. On peut se rassurer en se répétant que les Frères Musulmans ne constituent pas un tout parfaitement homogène, que les nuances y sont marquées. Bien sûr, bien sûr… Toutefois, lorsqu’ils montrent le bout de leur nez, il est conseillé de dormir avec une hache sous son oreiller.

 

L’affaire libyenne est à suivre avec attention. Ce n’est qu’une fois la guerre terminée que nous aborderons la zone de tous les dangers. Tout de même ! Il faut être soit inconscient soit vouloir délibérément répandre le chaos pour se risquer dans un pays de clans et de tribus, comme la Libye ou le Yémen. Il est vrai qu’avec la Libye nous pouvons sur le court et le moyen terme espérer décrocher des contrats et, ainsi, donner un petit stimulant à nos économies patraques. Et puis disons-le, toute guerre est l’occasion rêvée de tester les systèmes d’armes et d’affiner stratégies, tactiques et logistiques ; on ne peut s’en tenir aux simulations pour espérer avancer ! J’aimerais ne pas faire preuve de cynisme mais les Arabes n’ont ni ma confiance ni mon estime. Roulons-les dans la farine avant qu’ils ne nous y roulent. Le mieux ne serait-il pas de les éviter autant que possible ? Impossible ! Nous sommes à présent emberlificotés avec le pétrole et une immigration massive qu’a gravement encouragée la politique du regroupement familial lancée par Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, et son Premier ministre, Jacques Chirac.

 

L’Iran est le grand danger, nous ne sommes pas les seuls à le savoir. Les Saoudiens, ces rentiers du pétrole et des Lieux Saints, cœur de l’islam sunnite, le savent aussi. Mais dois-je redire que je préfère les Iraniens aux Saoudiens et, plus généralement, aux Arabes ? Pourquoi ? Parce qu’il est préférable d’avoir des ennemis intelligents que des «amis» bêtes. Et j’en viens à me dire que passé le temps des plus grands dangers, nous pourrions nouer avec l’Iran de riches relations, ce que je ne crois guère possible avec l’Arabe, moins doué, plus frustre.

 

Erdogan fait le commis-voyageur. Il est vrai que le dynamisme économique de ce pays est remarquable, avec un taux de croissance de 8 % pour l’année 2010. Rien à voir avec la pauvre Grèce. Erdogan s’est rendu en Égypte puis en Tunisie ; il est à présent en la Libye d’où il a lancé, de Tripoli, un avertissement à Bashar al-Assad. Il est vrai que le Turc se sent un peu isolé dans cet immense monde arabe et que l’Iranien est un sérieux rival (d’où l’avertissement à la Syrie, alliée occasionnelle de l’Iran). Il est vrai aussi qu’après bien des polémiques l’Europe n’a pas donné suite à la demande (pressante) du voisin turc. Il est vrai enfin que les Kurdes (18 % à près de 30 % de la population totale de la Turquie, une imprécision liée au fait que le gouvernement d’Ankara pourrait minimiser leur nombre), imposante minorité forte d’une tradition guerrière et d’un esprit d’indépendance marqué, n’ont pas dit leur dernier mot. Erdogan s’est lancé dans une course en avant particulièrement ambitieuse, stimulé, redisons-le, par les «Printemps arabes», le refus européen mais aussi par l’isolement ethnique des Turcs qui méprisent au fond d’eux-mêmes les Arabes (qu’ils ont si longtemps dominés) et qui portent en eux l’immensité des steppes de l’Asie centrale dont ils sont originaires. Les Turcs à la croisée de tant de courants ne savent pas vraiment dans quelle direction aller.

 

Mustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition (CNT) a déclaré vouloir construire en Libye un État démocratique et… musulman, inspiré du modèle turc. On peut sourire, mais depuis que les grands mots — et démocratie en est un — ont été maltraités jusqu’à perdre toute forme, on peut y mettre n’importe quoi. Démocratie est devenu un concept fourre-tout qui peut sans peine signifier l’exact contraire de ce qu’il est censé signifier. On a connu des Démocraties populaires, le Kampuchéa démocratique et j’en passe ; alors, pourquoi pas «Islam démocratique» ou «Démocratie musulmane» ? Pourquoi pas «Islam = Démocratie» ou «Démocratie = Islam» ?

 

L’Espagne reste un objectif des jihadistes et islamistes. A ce propos, on sait que la Catalogne est devenue le fief du salafisme en Europe. L’Espagne reste pour eux un objectif non pas à conquérir mais à reconquérir : ce qui a été musulman doit revenir en priorité à l’Islam. De ce point de vue l’Espagne est dans le même sac qu’Israël.

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Ci-joint, un lien en anglais à lire avec attention :

http://www.jcpa.org/JCPA/Templates/ShowPage.asp?DRIT=1&DBID=1&LNGID=1&TMID=111&FID=442&PID=0&IID=7209&TTL=The_Arab_Spring_from_a_Counter-Terrorism_Perspective

et sa traduction en français : http://www.jcpa-lecape.org/ViewArticle.aspx?ArticleId=346

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