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Un parti politique portugais peu connu, le Partido Popular Monárquico (PPM)

 

Il y a peu, j’ai découvert l’existence d’un parti politique ultra-minoritaire au Portugal. Et les ultra-minoritaires en tous genres m’ont toujours intéressé, ce qui ne signifie pas que je partage nécessairement leurs idées. Dans le cas de ce parti portugais, mon intérêt n’est pas dénué de sympathie. Il s’agit du PPM, le Partido Popular Monárquico dont le symbole est une lettre de l’alphabet grec, la vingt-troisième, le Ψ.

 

Le symbole du PPM, Partido Popular Monárquico.

 

L’opposition monarchiste à la République est officiellement née le 2 juin 1926, sous l’impulsion d’officiers, notamment à Braga, ville située au nord de Porto. Ces officiers avaient en tête de restaurer la Carta Constitucional de 1826 telle qu’elle était appliquée en 1910, année de la fondation de la Première République (Primeira República) qui s’inscrit entre les dates suivantes : 5 octobre 1910 / 28 mai 1926, soit le coup d’État qui conduira par étapes à l’Estado Novo de Salazar, un régime qui prendra fin le 25 avril 1974, avec la Révolution des Œillets, la Revolução dos Cravos.

Outre la restauration de la Carta Constitucional de 1826, ces officiers avaient en tête d’établir une « Junta de Regência » puis, après une période d’apaisement, de réunir les « Cortes Constituintes » afin de restaurer la Carta Constitucional mais aussi de résoudre une question dynastique que je ne détaillerai pas dans le présent article. Il s’agit d’une querelle interne aux monarchistes portugais, comparable d’une certaine manière à celle qui en France oppose légitimistes et orléanistes.

L’histoire de l’opposition monarchiste au régime de l’Estado Novo de Salazar est peu connue, moins connue encore que celle des diverses oppositions dites « de droite » au régime de Franco. Cette opposition est d’autant moins connue qu’elle n’a pas eu à affronter une situation aussi éminemment dramatique que la guerre civile qui vit notamment le mystérieux assassinat de José Antonio Primo de Rivera, le 20 novembre 1936, ou la fusion de plusieurs forces politiques qui donna la FET y de las JONS (Falange Española Tradicionalista y de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista), fondée le 19 avril 1937, également connue sous le nom de Movimiento Nacional, seul parti politique autorisé sous Franco. A ce propos, il me faudrait évoquer le Carlismo, ce mouvement royaliste qui n’a jamais vraiment supporté Franco et le franquisme. Dans l’opposition au franquiste post-guerre civile, il me faudrait également évoquer la haute figure de Dionisio Ridruejo auquel j’ai consacré un article sur ce blog même. Mais là n’est pas le sujet du présent article.

J’en reviens au Portugal. Le Grupo de Acção Monárquica Autónomo lance les bases sur lesquelles se formeront après 1945 les mouvements d’opposition monarchistes, du Movimento Monárquico Popular à Renovação Portuguesa.

Avant 1945, l’opposition monarchiste au Portugal se manifeste, et parfois avec force, mais d’une manière peu organisée. La mort de D. Manuel II en 1932 et la proclamation de D. Duarte II, présenté comme unique prétendant au trône par les monarchistes du pays, en 1934, conduit à l’unification des monarchistes, à la fondation de Causa Monárquica, à la mise à l’écart du Partido Legitimista, de Integralismo Lusitano et de toutes les organisations monarchistes autonomes. Par ailleurs, la mort prématurée de Aires de Ornelas, l’âge avancé de João de Azevedo Coutinho et de Fernando Pizarro, ainsi que la mort de Domingos Pinto Coelho, vont faciliter la subordination de Causa Monárquica à la politique menée par António de Oliveira Salazar, une subordination progressive qui va fracturer le mouvement monarchiste et faire passer certaines de ses tendances dans une opposition volontiers spectaculaire. Par ailleurs, l’ambiance générale au Portugal, déterminée en grande partie par la Guerre Civile espagnole puis la Seconde Guerre mondiale (soit de 1936 à 1945), va mettre cette opposition en sourdine.

 

Antonio de Olivera Salazar sitting at his desk. (Photo by Bernard Hoffman/The LIFE Picture Collection/Getty Images)

 

Il ne faut cependant pas oublier l’origine monarchiste de certains des principaux représentants du Salazarismo et leur relative soumission due à l’âge et la fatigue. Même s’ils y adhéraient sans conviction, ils y adhéraient, et cette attitude portait préjudice au monarchisme, le monarchisme qui parviendra pourtant à s’affirmer au fil des ans grâce à la patience de quelques-uns, avec le Centro Nacional de Cultura, le SPES, la revue Cidade Nova, l’organisation Semanas de Estudos, l’Instituto António Sardinha.

Les petits groupes de jeunes monarchistes se multipliaient ; certains eurent une existence éphémère ; mais dans leur ensemble ils exercèrent une influence notable, comme par exemple le Grupo de Acção Realista. Ils s’efforcèrent d’insuffler un esprit d’indépendance aux organisations de jeunesse face au Frente da Juventude Lusitana et à la Causa Monárquica, deux organisations chapeautées par le régime de Salazar.

Suite aux radiations de Luís de Almeida Braga, Francisco Vieira de Almeida et Francisco José Veloso, que Salazar avait imposés aux responsables de Causa Monárquica, en 1949, et suite aux expériences conduites à partir de 1945 quant aux possibilités d’action directe, le Movimento Monárquico Popular finit par se constituer dans les années 1950. Il va alors mener une ferme politique d’opposition, une opposition malheureusement pas assez connue, bien moins connue que d’autres oppositions, comme si l’opposition au régime de Salazar (mais aussi de Franco) n’avait été que « de gauche », communiste de préférence, comme s’il n’y avait jamais eu aucune opposition « de droite » à ces régimes, à commencer par celle de monarchistes.

Au milieu des années 1950 prend fin cette période au cours de laquelle l’opposition monarchiste est représentée par des personnalités isolées. Les Manifestos Monárquicos d’octobre 1957 et de mai 1958, la présence simultanée à Comissão Eleitoral de Humberto Delgado, Luís de Almeida Braga, Francisco Vieira de Almeida et Francisco Roãlo Preto, l’intervention marquée de monarchistes dans le mouvement du 11 mars 1959, la proposition de candidatures pour Lisbonne en 1961, et l’implication de monarchistes dans des tentatives de déstabilisation du régime de Salazar qui précédèrent la Revolta de Beja (nuit du 31 décembre 1961 au 1er janvier 1962) montrèrent clairement que les possibilités d’entente et de collaboration entre les monarchistes et le régime de Salazar étaient plutôt restreintes.

Le Partido Popular Monárquico (PPM) est donc officiellement né le 23 mai 1974, soit un mois après la Revolução dos Cravos (25 avril 1974), à l’initiative de Convergência Monárquica. Le PPM agrégeait les différentes forces politiques qui avaient contribué à la formation de Convergência Monárquica lors des élections de 1969.

Les forces politiques monarchistes s’organisaient essentiellement de la manière suivante : Movimento Monárquico Popular, un mouvement réduit à la semi-clandestinité et qui agissait comme un mouvement révolutionnaire opposé à l’Estado Novo ; Liga Popular Monárquica (fondée en 1964), tournée vers la réflexion politique ; Renovação Portuguesa (fondée en 1969) ; à ces trois mouvements s’ajoutaient Juventude Monárquica ; enfin, des personnalités isolées et hostiles à la dictature salazarista-caetanista rejoignirent ces mouvements. Elles venaient pour l’essentiel de déçus de Causa Monárquica, trop compromise avec l’Estado Novo et l’« Estado Social ». Cette dissension parmi les monarchistes était devenue flagrante à partir de 1961, lorsque des personnalités monarchistes (nombre d’entre elles appartenaient au Movimento Monárquico Popular) établirent une liste de candidats pour les élections législatives. L’Estado Novo Mais, à force de tracasseries administratives, l’Estado Novo s’arrangea pour lui interdire l’accès aux urnes. Après une autre tentative frustrée, en 1965, des monarchistes se présentèrent en 1969, volontairement dispersés, sur trois listes d’opposition : Comissão Eleitoral Monárquica (C.E.M.) de Lisbonne, Comissão Eleitoral de Universidade Democrática (C.E.U.D.) et Comissão Democrática Eleitoral (C.D.E.).

Immédiatement après le 24 avril 1974, Convergência Monárquica fut reconnue par la Junta de Salvação Nacional comme l’un des mouvements d’opposition à l’Estado Novo et, de ce fait, elle fut invitée à définir le nouvel ordre politique aux côtés d’autres opposants, parmi lesquels des socialistes et des communistes. Les propositions du Partido Popular Monárquico quant à la formation du premier Gouvernement provisoire ne furent cependant pas retenues. Pourtant, cette mise à l’écart sera atténuée par la nomination de Gonçalo Ribeiro Telles au poste de sous-secrétaire d’État à l’Environnement, Gonçalo Ribeiro Telles qui, à ce poste, ne cessera de se considérer comme représentant son parti, le Partido Popular Monárquico, le PPM. Je me permets de mettre en ligne le lien Wikipedia en français sur Gonçalo Ribeiro Telles, cet homme de grande qualité. L’article contient quelques imprécisions mais il aidera à rendre sensible aux lecteurs francophones la valeur de l’opposition monarchiste à l’Estado Novo :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gon%C3%A7alo_Ribeiro_Telles

Concernant cette personnalité, d’assez nombreux liens ont été mis en ligne en portugais, des liens à ce sujet plus riches et plus fiables qu’en français.

 

Gonçalo Ribeiro Telles (né en 1922)

 

En février 1975, le statut du PPM est formalisé par le Supremo Tribunal de Justiça. Cette même année, le PPM présente des listes aux élections de l’Assemblée constituante mais n’obtient pas assez de voix pour avoir des sièges au Parlement. Le PPM dévoile son projet de réforme agraire au niveau national ainsi que ses idées concernant le communalisme et l’écologie. L’histoire du PPM se poursuit mais je m’en tiendrai pour l’heure à cette brève présentation en m’arrêtant à l’immédiat post-24 avril 1974, soit la chute du régime de l’Estado Novo, le retour de la démocratie et la fin d’une semi-clandestinité.

Je ne ferai pas une présentation exhaustive de l’intéressant programme du PPM et me contenterai d’en exposer brièvement quelques points. Le PPM invite à surveiller l’État, étant entendu qu’il n’est pas l’« occupant » de la Nation et qu’il faut défendre avant tout une démocratie communaliste et pluraliste qui s’épargne les idéologies. Le Pouvoir local ne dérive pas du Pouvoir central – c’est l’inverse. Ce programme revient sur les communautés naturelles (comunidades naturais) par lesquelles l’individu existe. Le PPM préconise une organisation à partir de la commune, premier degré de l’organisation et du pouvoir politique qui englobent la vie de l’individu. L’État doit se mettre au service de cet ordre naturel (ordem natural) et n’exercer qu’une fonction supplétive. Le Roi doit veiller à ce que cette relation de la plus petite entité vers la plus grande soit respectée et que cette dernière soit exclusivement au service de cette première. Le PPM se montre très soucieux d’environnement à une époque (nous sommes dans les années 1970) où ce sujet n’était pas une priorité. Et ce n’est pas un hasard si Gonçalo Ribeiro Telles a été nommé à l’Environnement. Par exemple, le PPM se montre très soucieux de l’organisation du territoire national. Il condamne la concentration urbaine, à Lisbonne, Porto et sur le littoral, une concentration qui a entre autres effets d’appauvrir le reste du pays. Le PPM prône une nouvelle ruralité.

A la lecture de ce programme aujourd’hui vieux de plus de quarante ans, j’ai pensé au Rojava, aux préoccupations du Kurdistan syrien inspirées des travaux de l’Américain Murray Bookchin. Je suis certain que le Rojava ne désapprouverait nombre d’idées de ce petit parti portugais, le Partido Popular Monárquico.

Olivier Ypsilantis

5 thoughts on “Un parti politique portugais peu connu, le Partido Popular Monárquico (PPM)”

  1. Mystère et boule de gomme

    C’est très curieux. J’ai parcouru la bio de ce monsieur Ribeiro Telles, et je lis qu’il était de la maison de Mario Soarès (qui a tout de même été grand maître du Grand Orient du Portugal) et proche du lieutenant colonel Delgado, autre maçon, candidat aux élections présidentielles de 1958, que Salazar jugeait dangereux et donc fit assassiner. Donc, ça nous explique peut-être pourquoi Salazar se méfiait de ces monarchistes là.

    1. Certes, Salazar n’aimait pas les francs-maçons. Et Franco les détestait – probablement parce qu’il avait été refusé. Concernant le général Humberto Delgado, il me semble que la décision de l’assassiner a été prise par Salazar suite au coup de force dans la nuit du 31 décembre 1961, à Beja, organisé par un général devenu trop populaire.

  2. Oui c’est exact, Delgado a été assassiné par le pouvoir portugais de l’époque, sur ordre de Salazar, tout comme Sa Carneiro a été assassiné par le franc-maçon Soarès, qu’il gênait. Par contre je ne savais pas que Franco avait été refusé par la loge. Si c’est vrai c’est très intéressant et je vous serais reconnaissant si vous pouviez nous donner plus d’informations à ce sujet. C’est possible après tout. Franco était un carriériste et très du genre à jouer sur tous les tableaux. Mais avant de lire vos révélations sensationnelles je pensais que Franco détestait les francs-maçons simplement par rancune parce que son père l’était et que c’était un bambocheur qui avait abandonné sa femme, la mère du futur caudillo.

    1. Concernant le refus de Francisco Franco par la franc-maçonnerie, les informations sont nombreuses et, me semble-t-il, bien documentées. Vous trouverez par exemple en ligne un texte d’Adrián Mac Liman, « La guerre civile de 1936-1939 et l’exil maçonnique espagnol ». Concernant les rapports du Caudillo avec la franc-maçonnerie, il y a aussi l’étrange frère Ramón, l’aviateur, et les relations complexes entre ces deux frères.

  3. Très intéressant, je ne connaissais pas l’histoire de ce frère de Franco, dont les opinions étaient opposées à celles du caudillo. A-t-il été maçon? Ca n’aurait rien d’étonnant puisque leur père à tous deux l’était.
    De toute façon dans les familles ce genre de contradictions, ou d’ambivalences, ne sont pas rares. Un exemple qui me vient à l’esprit est celui d’André Oltramare, frère de Georges. Ca ne vous dit rien mais la famille Oltramare est une bonne famille genevoise, qui a donné des professeurs, des pasteurs, des banquiers et un chef fasciste et antisémite virulent: Georges Oltramare qui est le plus connu de la famille. La personnalité de Georges Oltramare est un peu oubliée mais il a été un des propagateurs les plus redoutables de l’antisémitisme à son époque, pas seulement en Suisse. Comme il avait été quasiment chassé de Genève car son parti l’Union Nationale gênait trop de monde, il s’était réfugié à Paris où pendant la guerre il a animé avec un succès incroyable le journal collaborationiste de gauche La France au Travail. Il y signait des chroniques très antisémites et il parlait aussi à Radio Paris, dans le même esprit. Ses deux pseudonymes habituels étaient Charles Dieudonné et André Soral. Curieux non?
    Eh bien ce fasciste antisémite avait un frère socialiste antifasciste pacifiste etc., membre du gouvernement genevois, et toute sa vie ami de coeur de Melle Jeanne Hersch, une philosophe juive genevoise très connue. Comme quoi. Les deux frères André et Georges Oltramare aveint pour grand père Antoine Cartret, grand franc maçon, grand patron du canton de Genève au temps du radicalisme triomphant. Une sorte de Gambetta genevois.

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