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Quelques souvenirs grecs – 1/2

 

Nauplie. Montée vers la colossale forteresse Palamidi (Παλαμήδι), l’une des plus colossales forteresses d’Europe et peut-être même la plus colossale. Je déambule dans cet ensemble très complexe (il date de la seconde occupation vénitienne, 1686-1715) tout en m’efforçant de concevoir le travail qu’il a supposé. Palamidi, petit-fils de Poséidon, considéré comme le roi des inventeurs par les Grecs d’alors ; en effet, la liste et la variété de ses inventions sont étourdissantes. Je me souviens de la vue que j’avais de cette forteresse : Nauplie et son golfe, la plaine d’Argolide et les côtes du Péloponnèse, un vertige !

Lépante. Mon plaisir à détailler ce golfe où les Turcs ont été tués en si grand nombre (comme à Navarin auquel je reviendrai). Ce sont les galéasses vénitiennes, une douzaine (elles constituaient l’avant-garde de la flotte chrétienne), qui jetèrent la confusion chez les Turcs. Contrairement aux autres galères dont l’artillerie tirait dans l’axe, celle de cette douzaine de galères tirait latéralement, ce qui sema la confusion dans les rangs ennemis.

 

Plan de la bataille des Thermopyles (480 av. J.-C.)

 

Les Thermopyles. Je parcours le défilé et des souvenirs du film « La bataille des Thermopyles » (1962) de Rudolph Maté me reviennent. Mais il me faut faire des efforts, le tracé du littoral ayant été fortement modifié par des apports alluvionnaires. Aujourd’hui, des hauteurs de ce défilé, une vaste plaine se découvre. Je me souviens tout particulièrement du tracé du mur des Phocidiens derrière lequel les Grecs se tenaient. Je me souviens du sentier du traître, celui qui montra aux Perses le moyen de contourner la défense grecque, ce traître qu’enfant j’aurais voulu tuer de mes propres mains.

Je me souviens de mon premier logement à Athènes, rue Ypsilantis, à Kolonaki, ce quartier central et chic édifié sur l’une des pentes du Lycabette. Les fenêtres s’ouvraient au ras du trottoir, ce qui me distrayait lorsque j’écrivais, surtout lorsque passaient les belles athéniennes. Le déménagement dans Plaka allait m’être favorable : j’étais distrait mais différemment et revenais plus aisément à mon travail, j’y revenais même avec plus de conviction.

Baignades à Gythion. Au loin, parfois, l’île de Cythère. La légende rapporte que Pâris et Hélène (épouse infidèle de Ménélas) auraient passé leur première nuit amoureuse sur l’île de Kranai (vers laquelle je nageais volontiers) avant d’embarquer pour Cythère et, de là, vers Troie. On connaît la suite. Sur une terrasse de Gythion, je prends le soleil tout en lisant un essai de Georges Haldas – cet écrivain suisse d’expression française, né de père grec et ayant passé son enfance à Céphalonie – et en buvant du retziné.

Volos. Ma chère mère à la recherche de la demeure de ses grands-parents, photographie en main, une vaste demeure néoclassique ornée d’une frise d’acrotères. On ne tarde pas à lui faire comprendre qu’un tremblement de terre (celui de 1955 me semble-t-il) l’a détruite. Mon émerveillement au musée de la ville, avec ces quelque trois cents stèles funéraires d’époque hellénistique, peintes ou sculptées. Elles avaient été retirées d’une proche nécropole, vers 50 ap. J.-C., pour renforcer à la hâte les défenses de la ville. Les parties ornées ayant été tournées vers l’intérieur, les archéologues purent réunir sans trop d’efforts une trouvaille exceptionnelle.

La station de métro Botzaris, à Paris, à quelques pas du parc des Buttes-Chaumont. J’y descendais pour retrouver une amie, au cours de mes années d’études. Ce souvenir me reconduit vers un autre souvenir, à Missolonghi qui d’une certaine manière est à la Grèce ce que Massada est à Israël.

Éleusis. Août. Chaleur accablante. Sueur et poussière, avec les cheminées de l’industrie qui crachent, là-bas. Je m’efforce malgré tout de comprendre le plan du sanctuaire, sa partie grecque tout au moins. Voie sacrée, portique de Philon, Telesterion, le cœur du sanctuaire. Mais la chaleur est telle que je finis par remettre l’étude des Mystères à plus tard, dans la pénombre d’une pièce, volets fermés, sous un ventilateur, avec grands verres d’eau fraîche. Et, à ce propos, je repense à « The Colossus of Maroussi » de Henry Miller, lu au cours de mon premier voyage en Grèce, à ce mot qu’il avait appris, un mot essentiel dans cette chaleur : νερό, (se prononce neró), soit « eau ».

Un printemps. Visite du champ de bataille de Chéronée (338 av. J.-C.). Philippe II de Macédoine contre les cités grecques activées par Démosthène. Alexandre y fait ses premières armes ; il a dix-huit ans. Le Bataillon sacré (des Thébains) est anéanti.

Mantinée dans le Péloponnèse, une étendue bien verte en ce début de printemps. C’est là que tomba Épaminondas (en 362 av. J.-C.). En parcourant ce haut-lieu de l’histoire grecque dont il ne reste presque rien, je découvre une étrange construction, un assemblage de styles et de matériaux. J’en prends de nombreuses photographies. Cet édifice mériterait d’être aussi connu que le Palais Idéal du Facteur Cheval. Sa construction remonte aux années 1970 ; son auteur, me dit-on, un architecte américain d’origine grecque ; mais personne pour me donner son nom.

Santorin, l’intuition de Spyridon Marinatos. L’article majeur de Ferdinand Fouqué paru dans « La Revue des Deux Mondes », en 1869, et dans lequel il affirmait que Santorin avait été le foyer d’une très brillante civilisation avant la catastrophe de 1530 av. J.-C.

 

Plan de la bataille de Navarin (20 octobre 1827)

 

Excursion à Navarin et sa rade dans laquelle une force navale anglo-franco-russe détruisit une force navale turque bien supérieure. Il arrive que des massacres me réjouissent, en l’occurrence celui de ces milliers de Turcs écrasés par l’artillerie de marine de cette force combinée. Chaque 20 octobre, je célèbre cette bataille de 1827 en ouvrant une bouteille de vin grec.

On évoque volontiers l’expédition d’Égypte, expédition militaire mais aussi scientifique ; on évoque moins celle de Morée (1828-1833) qui lui ressemble pourtant par son aspect savant et s’en inspire.

Mycènes, la citée grecque qui a ma préférence – je la préfère même à Delphes – autant pour son site et ses vestiges que pour l’histoire qui s’y rattache. Fascination devant le Premier Cercle royal de tombes – je pense à la découverte des masques d’or. C’est guidé par une phrase de Pausanias laissant entendre qu’Agamemnon avait été enterré à l’intérieur de l’enceinte que Heinrich Schliemann découvrit sans tarder cet ensemble de tombes. Fascination aussi à l’intérieur de cette tombe à coupole dite « tombe d’Agamemnon » (ou « trésor d’Atrée »), fascination essentiellement due à cette désignation, pourtant fantaisiste.

Monemvassia et son malvoisie qui fut tant appréciée des Anglais. On rapporte que le duc de Clarence, condamné à mort par son frère Edward IV, put choisir les conditions de sa mise à mort. Il demanda à être noyé dans un tonneau de… malvoisie, ce qui fut fait.

Ma mère à Olympie, particulièrement intéressée par l’atelier de Phidias, un espace rectangulaire identifié au cours de fouilles dans les années 1950.

Bouboulina, héroïne grecque, à la tête d’une flottille de bricks et de goélettes à bord de son navire amiral, une solide corvette baptisée « Agamemnon ». Anthony Quin prononçant ce nom, amoureusement, dans « Zorba le Grec ».

Skyros, île natale d’une ancêtre poétesse. C’est dans cette île des Sporades qu’est inhumé le poète Rupert C. Brook (1887-1915), embarqué avec la Mediterranean Expeditionary Force (MEF), décédé de maladie à bord d’un navire-hôpital français ancré devant Skyros. Écoutez son poème, « The Soldier » lu par David Barnes :

https://www.youtube.com/watch?v=BcDQZTJU_aA

Vallée du Tempé, une vallée importante dans la mémoire familiale, une vallée entre Macédoine et Thessalie. Les ancêtres célébraient sa fraîcheur et sa végétation. La nymphe Daphné s’y transforma en laurier (d’où son nom) pour échapper aux assiduités d’Apollon.

Céphalonie et de lointains cousins que je n’ai pas encore rencontrés. Une histoire venue de Crète et de Byzance. Des drames géologiques et humains. Les séismes de 1953, le plus violent, celui du 12 août, avec soulèvement de toute l’île, avec glissements et fissures qui entraînent ou engloutissent des villages entiers.

 

L’Acrocorinthe au fond, sur la hauteur. Vue prise du temple d’Apollon.

 

Corinthe et l’Acrocorinthe, l’une des plus vastes forteresses de Grèce et même du monde, avec cette vue à couper le souffle. Sur le point culminant, à l’intérieur de cette très vaste enceinte, l’emplacement d’un temple à Aphrodite. L’ordre dit « corinthien », une dénomination hasardeuse et discutée, n’a pas ma préférence. Dans « De architectura », Vitruve rapporte sous forme de légende qu’une fille de Corinthe décéda et que sa nourrice déposa sur sa tombe des petits vases placés dans une corbeille et recouvrit le tout d’une tuile. Mais cette corbeille avait été involontairement placée sur une racine d’acanthe qui ne tarda pas à pousser. Le sculpteur Callimaque venant à passer devant aperçut ce panier à présent orné de feuilles. Séduit, il s’en inspirera pour élaborer un nouveau type de chapiteaux, à Corinthe.

Ma grand-tante porte à l’auriculaire une chevalière aux armes des empereurs de Byzance, l’aigle bicéphale. Sa famille prétend descendre d’Alexis Ier Comnène, ce que je n’ai jamais pu vérifier. J’ai souvent remarqué que les très vieilles familles éprouvaient le besoin d’en rajouter, que prises par le vertige de l’ancienneté elles s’efforçaient de franchir la limite symbolique de l’an 1000 en espérant se porter en deçà. Des légendes se construisent et se répandent, dans la famille et hors de la famille. Une question toutefois : ces légendes ne se nourriraient-elles pas d’un peu de vérité ?

Olivier Ypsilantis

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