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Une semaine à Madère (Madeira) – 1/3

 

12 janvier 2019. Départ Lisbonne pour l’île de Madère (Madeira) à bord d’un Airbus A-319-320. Le mot du commandant de bord. Mon plaisir jamais démenti à écouter du bel anglais, cette langue si précise qui en quelques mots nous dit ce que d’autres langues nous disent mais en plus de mots. Durée de vol, environ 1 h 30. Dans la salle d’embarquement, j’ai pu constater, une fois encore, que j’étais le seul à faire usage de papier et d’un stylographe et à lire un livre, un vrai, pas un e-book. Ce disant, je ne prétends à aucune supériorité ; simplement, je me sens un peu seul, ce qui tout compte fait m’amuse.

Madère… Ce nom m’a longtemps fait rêver comme Almería a fait rêver Francis Jammes – voir son poème « La vallée d’Almería ». Ce nom m’a longtemps fait rêver avec ces cartes postales envoyées par ma grand-mère et ses descriptions enthousiastes. Elle s’y était rendue il y a une cinquantaine d’années. J’étais alors enfant et à l’écouter et à la lire, je ne savais pas que ce nom allait me suggérer tant de belles choses pendant tant d’années. Je n’y trouverai (presque) rien de ces rêveries ; mais il est vrai que dans les années 1960, l’île devait être bien peu construite ; rien à voir avec ce qui m’attendait. Madère, une Região Autónoma, comme les Açores.

Décollage. L’océan aveuglant. L’estuaire du Tejo, l’un des plus beaux d’Europe. Le Ponte du 25 de Abril, l’immense courbe de la côte de Caparica et ses plages. Nous survolons la rive nord du Tejo puis l’océan pour atteindre un île distante d’un peu moins de mille kilomètres des côtes portugaises. J’emporte avec moi les notes de voyage que Hans Christian Andersen a rapportées de son séjour au Portugal, un petit livre traduit du danois au portugais par Silvia Duarte sous le titre « Uma visita em Portugal em 1866 ». Une bonne partie de ce livre est par ailleurs constituée de notes établies par la traductrice. Quelques images agrémentent l’ensemble, dont un dessin d’Andersen représentant l’aqueduc de Águas Livres. Les écrits de voyages d’Andersen constituent une part non négligeable de ses écrits. Peu de gens savent que cet écrivain danois qui a exploré de nombreuses formes de l’écrit fut l’un des plus grands voyageurs de son temps, à une époque où tout voyage demeurait une rude épreuve, et malgré les débuts de la vapeur, en particulier du chemin de fer. Andersen a effectué une trentaine de voyages qui l’ont conduit dans vingt-cinq pays. De fait, ses récits de voyages constituent le meilleur de son œuvre avec ses célèbres contes. Et c’est à l’étranger qu’il est d’abord reconnu (ses voyages y ont probablement aidé), dans des pays tels que l’Angleterre, l’Allemagne et la France où il rencontre les meilleurs esprits de son temps parmi lesquels il se fait de nombreux amis.

 

Lisbonne vue des airs

 

Andersen part de Bordeaux pour le Portugal. Il hésite d’abord à prendre le bateau (la traversée peut être dangereuse dans le golfe de Gascogne) et finit par opter pour le chemin de fer. Il passe la frontière par la côte basque avant de se diriger vers Burgos puis Madrid.

Par des hublots de l’Airbus, et à perte de vue, des nuages, comme des moutons serrés les uns contre les autres. L’hôtesse de l’air, une Portugaise, teint mat, cheveux bien tirés en une forte queue de cheval. Un très léger strabisme lui donne un air rêveur.

Andersen ne se plait pas en Espagne. Ses impressions sont relativement tristes et ne rejoignent pas celles de son précédant voyage dans ce pays, en 1863. Il déplore la saleté et les manières rudes. Il va jusqu’à écrire que les tableaux incomparables de Murillo et Velázquez ne parviennent pas à le réconforter.

Le commandant de bord annonce 20°C à Madère. L’avion survole une île de l’archipel, Porto Santo, un peu plus de cinq mille habitants, Porto Santo et ses îlots inhabités. L’île est distante d’environ soixante-quinze kilomètres de Funchal. Un ferry relie les deux îles. Durée de la traversée, deux heures et quinze minutes. Madère enfin qu’annonce cet appendice, un cordon qui s’étire à l’est d’une île à la forme par ailleurs plutôt massive.

La ligne ferroviaire de Madrid à la frontière portugaise étant inachevée, Andersen se rend jusqu’à Badajoz en diligence, soit trois nuits et deux jours avec très peu de haltes, environ soixante heures, comprimé dans une diligence où se tiennent par ailleurs le cocher et un jeune médecin de Lisbonne, d’agréable compagnie, avec lequel il peut s’entretenir en français, deux passagers serrés contre des colis postaux. La meseta plongée dans le silence, sans autre lumière que celle d’une lune énorme. Une maison parfois, celle d’un garde chargé de surveiller la route et de protéger les voyageurs. Il entre au Portugal par Badajoz et se montre plutôt élogieux envers cette ville frontière, contrairement à Madrid qui lui laisse un triste souvenir. Les ruines romaines de Mérida ne parviennent à l’émouvoir tant la fatigue l’accable. Lorsqu’il passe d’Espagne au Portugal, il a l’impression de passer du Moyen Âge au temps présent, avec ces maisons bien tenues, une nature soignée, un pays équipé des commodités les plus récentes, ce qu’il attribue à l’influence anglaise.

L’aéroport de Madère a été récemment baptisé « Cristiano Ronaldo », un nom inscrit très discrètement au fronton d’un aéroport par ailleurs modeste. Dans l’aéroport, présentation de l’une des principales attractions touristiques de l’île, les carreiros do Monte. Ci-joint, le départ de ces traineaux très particuliers :

https://www.youtube.com/watch?v=NHEKIzVD_jk

Dans ce qui ressemble à des luges (en osier), les habitants de Monte (un village dans les hauteurs de la capitale de l’île, Funchal) désireux de se rendre rapidement à Funchal montaient à bord de ce moyen de locomotion plutôt efficace dirigé par deux hommes : deux kilomètres en fort dénivelé effectués en dix minutes, avec des pointes de trente kilomètres à l’heure.

 

13 janvier. De l’aéroport à Funchal. Des tunnels et encore des tunnels. La conduite sur cette île demande une attention particulière. Nombreux démarrages en côte. Embrayage et freins sans cesse sollicités et indications plutôt hasardeuses. L’habitat est terriblement dispersé, sans aucun urbanisme – il est vrai qu’avec de tels dénivelés… Les habitations semblent avoir été larguées du ciel et être restées là où elles sont tombées. Dans les zones basses de ce versant, les bananiers occupent tout l’espace restant. Il y en a même sous les ponts routiers.

 

Aéroport de Funchal (Madère)

 

Arrêt dans un café de Serra d’Água. Longue conversation au comptoir avec un homme au visage franc et au regard clair. Il a passé une vingtaine d’années en Angleterre et se livre à une analyse poussée de la différence de caractère, et de comportement (à partir de sa propre expérience), entre l’Anglais et le Portugais, analyse qui confirme la mienne et qui n’est pas nécessairement à l’avantage du Portugais, contrairement à ce que des lecteurs pourront supposer. Je le questionne sur les activités économiques de l’île, des questions auxquelles il répond en me livrant nombre de détails fort intéressants et que je me promets d’approfondir.

Les bananiers ne prospèrent que sur la côte sud ; ils disparaissent sans tarder sitôt que l’on quitte le versant le plus ensoleillé. De nombreux massifs de roseaux (juncos), particulièrement hauts et dont la tige sert volontiers à des propriétaires de jardins désireux d’y placer des tuteurs. Le petit cimetière de Serra d’Água. Il semblerait que l’inhumation se fasse à même la terre, dans un cercueil certes mais sans toute cette maçonnerie que suppose un caveau. Une simple plaque légèrement inclinée pour faciliter la lecture est placée au chevet de la sépulture, avec prénom et nom, dates de naissance et de mort et, toujours, médaillon en porcelaine du (de la) défunt(e). Dans la rue principale du village, alignés, des bâtiments modernes et d’une architecture plutôt agréable qui constituent un ensemble plutôt imposant (en regard du village) : Junta de Freguesia, Centro de Saúde, Casa do Povo, Segurança social.

São Vicente sur la côte nord. Habitat soigné et lieu touristique (mais rien sur cette île n’échappe au tourisme). Une fois encore, je note l’importance des établissements à caractère social. L’intérieur de l’église est féérique ; et au visuel s’ajoute un parfum qui enveloppe et dont on s’efforce de deviner les composants : un produit d’entretien citronné ? de la cire ? de l’ambre ? Les fresques qui saturent les murs et le plafond (en bois) me reconduisent vers certaines images de contes pour enfants. La douceur des dorures dans une lumière atténuée. J’ai rarement éprouvé un bien-être aussi complet dans une église. Des draperies en trompe-l’œil ajoutent au merveilleux de l’ensemble. L’église m’apparaît comme un théâtre, un merveilleux théâtre où pourraient surgir des marionnettes ; elles interpelleraient les enfants et, sous un air rigolard, leur transmettraient une idée du Bien et du Mal, du Bon et du Méchant, avec récompense et punition. Je dilate les narines ; l’olfactif agit sur le visuel, confirme la ligne et la couleur et leur donne un vibrato très particulier. Du sacré au sucré. Je surprends un mouvement dans la crèche ; un chat s’y promène à pas circonspects, probablement soucieux de n’en rien déranger. Le cimetière et ses tombes sans ces horribles dalles comme on en voit en France, destinées à on ne sait quoi : à empêcher les morts de venir tourmenter les vivants ? à les empêcher de ressusciter ? Très peu de croix, une fois encore, ce qui est plutôt reposant.

 

Intérieur de l’église de São Vicente

 

São Vincente. Marche vers le rivage. Un cours d’eau discret, Ribeira Grande, coule vers l’océan. Des falaises de vertige entourent le panorama. Une puissance géologique – cosmique donc – qui écrase et exalte simultanément. Les strates de lave se lisent plus ou moins nettement ; le manteau végétal les laisse généralement deviner lorsque des éboulements ne les découvrent pas. Les taxis sont d’un beau jaune qu’orne sur toute leur longueur une double ligne épaisse bleu ciel. Ces taxis mettent une belle touche dans le paysage urbain (et de plus ils sont aussi propres que s’ils sortaient d’une chaîne de montage), tout comme les taxis de Lisbonne, noirs à toits verts.

Vers Porto Moniz. Des tunnels encore et encore. Les travaux de l’homme sur cette île sont aussi discrets que considérables. Porto Moniz. Des restaurants occupés par des touristes. Nous fuyons, achetons des figues, des amandes, un litre d’eau et nous nous installons sur un banc public, au soleil devant l’église, une belle petite église dont la voûte en bois est couverte de rinceaux peints sur fond bleu marial.

Il faut le redire, la conduite dans cette île est particulièrement éprouvante pour le conducteur mais aussi pour son véhicule et malgré toutes les précautions. Retour vers Funchal par l’intérieur.

(à suivre) 

Olivier Ypsilantis

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