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Notes diverses, oubliées et retrouvées – 3/7 (Le négationniste Paul Rassinier)

 

Dans son Introduction (datée du 1er septembre 1960) à « Ulysse trahi par les siens » (complément au « Mensonge d’Ulysse »), Paul Rassinier déclare d’un air entendu (ce monsieur ne peut se départir de son air entendu) que sous couvert de discréditer le nazisme, les plumitifs (c’est le terme dont il fait usage) – comprenez : ceux qui ne vont pas dans mon sens – se proposaient tout simplement « de creuser un insondable fossé entre la France et l’Allemagne en discréditant à jamais le peuple allemand ». Il fallait compromettre l’avenir de l’Europe en tant qu’entité politique et économique afin de faire le jeu du communisme. Au fil des ans (je rappelle que cette Introduction date de 1960), l’idée de l’Europe s’imposa néanmoins toujours plus, entraînant jusqu’aux plus rétifs, ce qui inquiétait les États-Unis (qui ne l’accepteraient qu’à la condition d’y garder leur mainmise) et, plus encore, l’U.R.S.S. La seule chance d’en empêcher la formation était d’en isoler l’Allemagne. De quelle manière ? En creusant le fossé entre la France et l’Allemagne et, notamment, en plaçant au pinacle « des arguments puisés dans la littérature concentrationnaire ». 1960, année de l’arrestation d’Adolf Eichmann, année de la rédaction de ce livre, une arrestation qui permit d’offrir du nouveau « tous les jours au petit-déjeuner du matin, six millions (…) de Juifs exterminés dans les chambres à gaz ». Bref, le monde entier en fut agacé, se mit à douter, « à tort ou à raison » (Paul Rassinier, en bon négationniste, laisse entendre qu’il sait prendre à l’occasion une certaine distance envers son sujet alors qu’il y étouffe littéralement), aussi bien quant au nombre qu’au moyen. Et ce n’est pas fini, Paul Rassinier ajoute que le monde n’appréciait guère (une fois encore « à tort ou à raison ») qu’un problème pour lui « exclusivement européen, se transformât ainsi en problème à peu près exclusivement israélien. ». La mauvaise foi est l’une des caractéristiques du négationniste ; il s’en enivre. La mauvaise foi est au négationniste ce que la bouteille de pinard est à l’alcoolo.

 

 

La logique dévoyée de Paul Rassinier est celle des adorateurs de la Théorie du Complot – ou Conspirationnisme ou Complotisme. Wikipédia que j’évite généralement de citer propose une intéressante définition de cette théorie : « La démarche de la théorie du complot cherche à adosser à des faits avérés un responsable selon une logique souvent uni-causale de narration. Elle se différencie en cela de la démarche historique qui induit une multi-causalité ». J’ajoute que cette logique est caractéristique d’une grande paresse intellectuelle : l’uni-causalité est si reposante… Plus généralement, le mécanisme mental de l’Adepte de la Théorie du Complot est rudimentaire ; il surfe sur un a priori qui pourrait se résumer ainsi : si ça l’arrange, c’est qu’il est à l’origine de ce qui l’arrange…  .

Et dans son irrésistible lancée, Paul Rassinier passe au chapitre I : «  “Le Commandant d’Auschwitz parle…”, Rudolf Hoess », fort de son présupposé avec les Communistes dans le rôle des Comploteurs, des Conspirateurs. Lorsque l’existence des camps nazis fut révélée au monde, on remarqua que ceux qui criaient le plus fort étaient les Communistes (?!). Pourquoi ? L’adepte de ladite théorie, soit Monsieur-j’ai-réponse-à-tout : il s’agissait de faire diversion et de détourner l’attention du monde du système concentrationnaire soviétique (je n’entrerai pas dans la polémique) et de faire d’une pierre deux coups : avec le slogan « N’oubliez jamais cela », « maintenir les puissances occidentales en état de division et, plus particulièrement, empêcher tout rapprochement entre la France et l’Allemagne, piliers de l’union occidentale ». Et, toujours selon Paul Rassinier, leur thèse sur les camps de concentration ne les a pas peu aidés ; et ainsi de suite dans une petite suite qui procède du présupposé initial qui chemin faisant se nourrit de détails scrupuleusement choisis afin de ne pas porter préjudice à la « splendeur » du présupposé, cette Idole devant laquelle l’auteur se prosterne et nous invite à nous prosterner, à taire tout esprit critique, l’Idole étant elle-même douée d’esprit critique… C’est une fois encore la logique uni-causale de narration.

Au chapitre I de son livre et afin d’illustrer l’escroquerie dont nous serions victimes, il cite deux ouvrages : « S.S. Obersturmführer Dr Mengele » du Dr Miklós Nyiszli et « Der Kommandant von Auschwitz spricht », une confession rédigée par Rudolf Hoess alors détenu. Je passe sur les détails. Paul Rassinier affirme qu’en confrontant ces deux livres, il prend note des contradictions et se gausse de la validité de sa thèse soutenue dans « Le mensonge d’Ulysse », à savoir que les Juifs ne peuvent avoir été exterminés dans les chambres à gaz. Il faut dire que ce vieux rusé de Paul Rassinier choisit dans l’immense production écrite relative aux camps nazis ce qui l’arrange et, en particulier, ce qui recèle une contradiction, comme si la mémoire était fiable à cent pour cent, comme si tout témoignage (y compris celui qui ne cherche pas à tromper) était irréfutable et jusqu’au moindre de ses détails. Le cas du Dr Miklós Nyiszli est trop particulier, trop dramatiquement particulier, pour servir de point d’appui sérieux. Paul Rassinier fait mine de l’ignorer et déclare : « L’histoire étant un peu mon métier, je pouvais être assez familier avec le document historique pour en accepter ou en refuser l’authenticité à simple lecture ». Le bonhomme ne manque pas de culot ; il est habité par un présupposé qu’il s’emploie à étayer fanatiquement en se donnant des airs d’historien alors qu’il en est le contraire : soit un propagandiste. Il ne retient que les documents qui vont dans son sens, des documents authentiques à l’occasion, comme ce témoignage du Dr Miklós Nyiszli, qui a bien été écrit par un déporté juif à Auschwitz, mais qui est trop particulier (il faut étudier la vie de cet homme) pour prétendre servir de point d’appui exclusif à un historien digne de ce nom.

Paul Rassinier ne retient donc que ce qui va dans le sens d’une thèse préétablie, à l’inverse de l’historien qui avance à tâtons et qui rassemble autant de documents que possible afin d’approcher une vérité contradictoire, fragile, susceptible d’être sans cesse modifiée. La manière de procéder de Paul Rassinier ne manque pas d’efficacité auprès de gens peu préparés et qui ne flairent pas la manœuvre, aussi simple qu’efficace, qui se masque derrière des références, des documents choisis, bref derrière une apparence scientifique. Ils sont nombreux à s’arrêter au sérieux apparent, au sérieux de façade et qui cache une désolation totale. Il est vrai que ces gens-là ne cherchent qu’à confirmer ce en quoi ils croient déjà… Ils étaient acquis aux thèses négationnistes avant même d’en avoir connaissance…

Il m’est arrivé de penser : Si Paul Rassinier et autres négationnistes pouvaient avoir raison ! Pourquoi ? Parce que ce je découvrais était tellement massif, tellement inimaginable, qu’il arrivait que je me dise, fugitivement et comme honteusement : Et si cela n’avait jamais été ou, tout au moins, n’avait pas été dans de telles proportions. J’ai eu ce désir de soulagement – car il s’agit bien de cela – en lisant deux petits livres, deux témoignages écrits par des rescapés du tout dernier cercle de l’Enfer : « Sonderkommando – Dans l’enfer des chambres à gaz » de Shlomo Venezia (Auschwitz-Birkenau) et « Je suis le dernier Juif » de Chil Rajchman (Treblinka). Être soulagé, se dire que les choses n’ont peut-être pas été aussi terribles… Et pourtant. En exergue au livre de Shlomo Venezia, on peut lire : « L’entière vérité est bien plus tragique et épouvantable », une note de Zalmen Lewental retrouvée sur un bout de papier rédigé en yiddish, en octobre 1962, dans la cour du Crématoire.

Donc, Paul Rassinier et plus généralement les négationnistes (qui se présentent volontiers comme révisionnistes, histoire de paraître plus présentables) soignent la façade, histoire de séduire le passant, d’attirer le chaland – et ils en séduisent et en attirent plus d’un –, mais derrière elle, on ne trouvera qu’un terrain vague qui sert de décharge sauvage.

Concernant l’étude comparée des deux livres ci-dessus mentionnés, Paul Rassinier ratiocine et se perd dans des calculs morbides sur le nombre des gazés et des incinérés avec un sérieux d’expert-comptable destiné à en imposer. Regardez comme ce monsieur est sérieux, ce n’est pas un quelconque antisémitisme qui le conduit mais le désir de connaître la vérité et dans tous ses détails… Le problème est que dans cette masse de détails contradictoires, Paul Rassinier choisit les détails qui l’arrangent, qui vont dans le sens de la ligne qu’il s’est préalablement fixée. Il est vrai que l’état des recherches à la fin des années 1950 et au début des années 1960 était bien moins avancé qu’aujourd’hui, que des aberrations pouvaient apparaître ici et là – et elles plaçaient des points d’interrogation. Paul Rassinier est mort en 1967. Mais d’autres négationnistes comme Robert Faurisson (mort très récemment, en 2018), malgré l’immensité des documents et des recherches, s’en sont tenus aux mêmes a priori que leur maître Paul Rassinier, tous encagés dans une même routine mentale. Mais pourquoi s’étonner ? Robert Faurisson portait en lui le négationnisme (pour des raisons complexes qui ont probablement à voir avec « la psychologie des profondeurs »). Lui aussi s’est contenté d’analyser une documentation en y retenant ce qui ne contrariait pas ou confirmait sa vision préétablie. La technique du copier-coller est la technique préférée des falsificateurs, des menteurs, parmi lesquels les négationnistes. Elle est d’un emploi simple et n’a rien perdu de son efficacité ; alors, pourquoi s’en priver ?

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

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