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Le grand peuple mongol – 2/2

 

La destruction la plus vaste (tout au moins la plus médiatisée) conduite par les Mongols a été celle de Bagdad, une destruction conduite après la mort de Gengis Khan par son petit-fils, Hulagu Khan. La ville tomba après un siège de deux semaines, le 10 février 1258. Elle sera systématiquement détruite, avec tueries à l’appui. Cet événement est resté gravé dans la mémoire collective arabe et plus généralement musulmane, dans tout le Moyen-Orient.

Je me permets d’insister : les Mongols respectaient a priori la connaissance. Savants et artisans étaient autant que possible épargnés afin de passer au service de l’Empire. Les Mongols firent prospérer la Route de la Soie et activèrent les échanges entre l’Orient et l’Occident. Ils organisèrent un immense système postal, très efficace. Ils ont eu d’autres mérites.

Avec du recul, ne peut-on pas estimer que la défaite des Mongols le 3 septembre 1260 à Aïn Djalout est regrettable ? La victoire des Mongols n’aurait-elle pas été le prélude à une humanité nouvelle, lavée de l’islam, de l’islam arabo-musulman plus particulièrement ? Aïn Djalout, une défaite des Mongols face aux Mamelouks d’Égypte, une défaite qui sauva à coup sûr l’islam. Capitale du califat abbasside, Bagdad avait été enlevé et anéanti en 1258. L’année suivante, une armée mongole conduite par Kitbuga, un Chrétien, fonça dans ce qui est aujourd’hui la Syrie, enleva Damas et Alep avant d’atteindre les rivages de la Méditerranée. Les Mongols envoyèrent un émissaire au Caire afin de demander au sultan mamelouk sa soumission. Le sultan le fit mettre à mort. Ce fut la guerre ; et c’est dans ce qui est aujourd’hui Israël, entre le lac de Tibériade et la mer Morte, que les Mongols allèrent subir une grande défaite.

Les Mamelouks font mouvement vers le nord et dispersent une force mongole réduite dans ce qui est aujourd’hui la frange de Gaza, avant d’affronter le gros de l’armée, soit environ vingt mille hommes, à Aïn Djalout (soit Goliath’s Spring car, selon le Livre de Samuel, c’est en ce lieu que David a tué le géant). L’armée mongole comprend d’importants contingents de Syriens ainsi que des Chrétiens de Géorgie et d’Arménie. Les Mamelouks alignent un nombre sensiblement égal de guerriers, mais l’un de leurs généraux, Baybars, connaît fort bien le terrain et il établit le plan de bataille qui met notamment en pratique l’une des techniques favorites des Mongols : la retraite simulée (feigned retreat).

 

 

Il n’existe aucun portrait de Gengis Khan fait de son vivant. Il y a peu, quelques décennies à peine, il n’était vu que comme un destructeur, un massacreur. Mais il y a une quarantaine d’années fut traduit un livre rédigé en chinois selon un code reproduisant les sons de la langue mongole du XIIIe siècle (les Mongols n’avaient alors pas d’écriture) : « L’Histoire secrète des Mongols ». Il y était question des qualités guerrières de Gengis Khan, bien connues, mais aussi de ses qualités de chef d’État, qualités qu’expliquent probablement en partie ses origines nomades. Cet homme jamais n’imposa de religion dans son immense empire, à une époque où en terre chrétienne comme en terre musulmane on massacrait et on condamnait à mort pour cause de religion.

Redisons-le, Gengis Khan rapprocha l’Orient et l’Occident, avec transferts de savoirs scientifiques et techniques à partir notamment des foyers chinois et perse. Pour sa part, il pratiquait une sorte d’animisme.

La naissance ne lui importe guère ; ce qui compte avant tout ce sont les compétences. Son armée est démocratique et l’avancement ne se fait qu’au mérite. La justice est codifiée, les grands et les humbles y sont pareillement soumis. C’est une armée de chasseurs, l’éleveurs et de paysans. Gengis Khan ne tient pas compte des lignées et mêle les clans. Il intègre autant que possible les vaincus à son peuple et à son armée où les possibilités de promotion sont ouvertes à tous, ce qui en incite plus d’un à la rejoindre. Au cours de la bataille finale pour le contrôle et l’unification de la Mongolie, certains de ses généraux sont musulmans, chrétiens ou bouddhistes. Et redisons-le, sa « grande loi » unificatrice interdit notamment le kidnapping des femmes, le vol d’animaux, l’esclavage entre Mongols, déclare tous les enfants légitimes (avec toutes les obligations qu’implique cette reconnaissance), autorise la liberté de culte (un fait alors rarissime), exempte de taxes les religieux, les savants, les professeurs, bref, tous ceux qui détiennent un savoir afin qu’ils se consacrent mieux à leur travail.

Gengis Khan a quarante-quatre ans et règne sur un territoire grand comme l’Europe. Il a créé des relais postaux de l’Altaï au Nord de la Chine. Son armée est formidable. Tous ses soldats sont des cavaliers et le petit cheval mongol est le plus endurant des chevaux. Sans eux, cette armée n’aurait jamais conquis un tel empire. L’arc mongol (à double courbure) est supérieur à tous les autres arcs. Le cavalier mongol est autonome et transporte dans un sac tout le nécessaire à sa survie. La logistique est réduite au minimum. Un corps d’ingénieurs fabrique des engins de siège (ultramodernes) là où ils doivent servir. Gengis Khan est un stratège et un tacticien hors pair. Spécialiste de la guerre éclair et des retraites simulées, il dispose par ailleurs d’un formidable système d’espionnage qui balise les espaces à conquérir. Il pratique la guerre psychologique avec un art consommé en faisant par exemple circuler des récits d’atrocités où le nombre de ses victimes est décuplé avant de proposer le deal : la mort ou la reddition et l’incorporation au peuple mongol. Il interdit à ses soldats l’usage de la torture. Il fait distribuer équitablement les richesses dont il s’empare et sa part n’excède pas celle des autres Mongols. Il accapare les compétences en tous genres, des savants aux artisans sans oublier les médecins, les mineurs, les agriculteurs qu’il envoie dans les régions à développer.

 

 

Gengis Khan mérite au moins un peu de respect car nous sommes ce que nous sommes en partie grâce à lui. Il œuvra à un monde immense, cosmopolite, séculier, ouvert à la libre circulation des hommes, des marchandises, des savoirs et des idées, sur fond de parfaite tolérance religieuse.

La « Pax mongolica » établie par les successeurs de Gengis Khan avait préparé la Renaissance avec ces immenses transferts de biens du Pacifique vers la Méditerranée et inversement, avec la Route de la Soie. Des savants arabes se rendent en Chine, des savants chinois se rendent au Moyen-Orient. Des produits sont acclimatés au Moyen-Orient et d’autres en Chine. Via les comptoirs vénitiens et chinois, avec lesquels commercent les Mongols, l’Europe va hériter de bien des inventions, dont trois fondamentales : la boussole à aiguille magnétique, la poudre à canon, l’imprimerie, trois découvertes sans lesquelles, nous, Européens, ne serions pas ce que nous sommes. On n’insistera jamais assez : les Mongols furent aussi par leur contrôle des grands axes commerciaux de grands civilisateurs qui contribuèrent et d’une manière radicale au phénomène de la mondialisation. Certes, leur déclin au milieu du XIVe siècle et la Grande Peste (qui balaya l’Asie puis l’Europe, tuant environ 30% de la population mondiale) supposèrent un frein aux échanges entre l’Orient et l’Occident ; mais l’impulsion était donnée et allait reprendre.

L’idée d’une coalition entre Mongols et Européens – la Chrétienté donc – a été soupesée, à Rome notamment. Le Vatican avait en tête de propager le christianisme chez les Mongols et les souverains d’Europe (à commencer par Saint Louis) favorisaient une intense activité diplomatique en leur direction. Le plan le plus ambitieux consistait à laisser les Mongols mettre à feu et à sang le Califat de Bagdad (militairement très faible) tandis que les Croisés protégeraient l’offensive mongole en contenant les Mamelouk d’Égypte afin d’empêcher ces derniers de se porter au secours des territoires musulmans soumis aux attaques mongoles. La cour de Hulagu Khan comptait nombre de chrétiens nestoriens et aux plus hauts postes.

L’histoire des invasions mongoles et de l’Empire mongol nous fait passer d’une terreur diffuse à une curiosité toujours augmentée, curiosité mêlée d’admiration. Cet empire poursuit son expansion après la mort de Gengis Khan, en 1215. Il est divisé en quatre empires, en 1251. Il commence à essuyer des défaites et à se rétracter en 1260, avec la défaite d’Aïn Djalout.

L’aventure mondiale de Gengis Khan commence par une attaque contre la Chine, une conquête qui s’étend sur plusieurs décennies. Elle est initiée par Gengis Khan, dans une suite d’attaques limitées contre les Xia occidentaux, en 1205 et 1207. En 1279, le petit-fils de Gengis Khan, Kubilai Khan, fondateur de la dynastie Yuan, écrasera le dernier centre de résistance pro-Song. La domination mongole/Yuan s’étendra alors à toute la Chine.

Gengis Khan partagea son empire entre les quatre fils qu’il avait eu avec son épouse Börte (dont il avait également eu cinq filles). L’un d’eux, Őgedeï, allait se distinguer. C’est sa mort en 1241 (les Mongols étaient devant Vienne) et le court règne de Güyük (1241-1248) qui épargnèrent l’Europe ; en effet, l’armée mongole repartit alors vers l’est. Mais le plus intéressant était à venir. Sous l’empereur Môngkâ (1251-1259), une troisième poussée mongole s’en prit au monde musulman. Le frère de cet empereur, Hulagu, un bouddhiste, fils et époux de chrétiennes nestoriennes, envahit la Perse avant de prendre Bagdad qui va être soumis à des destructions et des tueries systématiques durant une semaine. On a évoqué près d’un million de victimes, un nombre probablement exagéré ; mais tout laisse supposer qu’elles furent très nombreuses. On a dit que les Sunnites avaient été massacrés alors que les Chiites, les Chrétiens nestoriens et les Juifs avaient été épargnés, ce qui reste à vérifier. La concurrence victimaire se porte bien chez les Musulmans, en l’occurrence chez les Sunnites, ce que j’ai pu vérifier en visionnant des vidéos mises en ligne.  Dans tous les cas, la destruction de Bagdad reste dans la mémoire de ce monde le symbole même de l’effroi. Alep subira un sort comparable, mais sa destruction n’a pas laissé une marque aussi profonde dans cette mémoire. Damas se rendit et fut épargné. Hulagu fut rappelé en Mongolie suite à la mort de Môngkâ et laissa le commandement à l’un de ses lieutenants. On peut imaginer que s’il n’avait pas été rappelé, les Mongols n’auraient peut-être pas essuyé leur première défaite, à Aïn Djalout, et que l’islam aurait été définitivement écrasé, tout au moins l’islam arabe… Il est vrai qu’avec des si

 

 

Les informations sur le niveau de violence des Mongols sont contradictoires. Par exemple, Ebn Kathir affirme que Juifs et Chrétiens furent relativement épargnés lors de la prise de Bagdad et que, plus généralement, la colère des Mongols se portait alors principalement sur les Musulmans.

Au XIIIe siècle, des légendes présentent les Mongols comme des descendants des Dix Tribus perdues d’Israël. Dans « Histoire des Juifs », Michel Abitbol écrit : « Étrange coïncidence : en ce début du sixième millénaire du calendrier hébraïque, de nombreux Juifs sont persuadés aussi de vivre les derniers moments avant l’arrivée du Messie qui, incarné par Gengis Khan, allait venir délivrer les “frères” juifs d’Europe du joug chrétien ». Les Chrétiens étaient au courant de cette croyance la firent payer aux Juifs, comme à Frankfurt am Main où cent quatre-vingts Juifs furent tués le 24 mai 1241, suite à l’annonce de la victoire mongole à Liegnitz (ou Legnica ou Wahlstatt), en Pologne.

On sait qu’après le partage de l’Empire mongol en quatre États (en 1259), trois des quatre souverains se convertirent à l’islam, alors religion dominante dans les régions où ils régnaient. La Perse se releva sous le règne de Ghazan (1295-1304) qui se convertit à l’islam avec toute son armée. Parmi les plus graves destructions causées par l’invasion mongole, celle des systèmes d’irrigation, des systèmes très élaborés et perfectionnés au cours des générations. Certaines villes ne s’en relèveront jamais. On peut même juger que l’ensemble du monde arabe tomba dans un état général de médiocrité dont il ne s’est pas encore relevé, contrairement à la Perse qui, suite à la conquête mongole, fut gouvernée un siècle durant par les Ilkhans, descendants de Hulagu. De fait, les Mongols vont être subjugués par la civilisation persane (comme l’avaient été les Romains par la civilisation grecque) à laquelle ils s’intégreront, une civilisation qui connaîtra une nouvelle splendeur sous le gouvernement des descendants de ces nomades.

La plupart des monuments édifiés sous les Ilkhanides ont disparu. On en devine la forme générale par les éléments qu’il en reste. La littérature persane connaît au cours de ces années un rayonnement mondial ; mais, surtout, la miniature atteint un raffinement incomparable (on y devine en filigrane l’influence chinoise). Aujourd’hui encore, elle caractérise la Perse d’alors et d’aujourd’hui. Elle est appréciée dans le monde entier, reproduite plus ou moins habilement et proposée aux touristes qui visitent l’Iran. Sous la dynastie des Timourides (1369-1507), et grâce au mécénat, les arts, et plus particulièrement la miniature, vont connaître une période de splendeur. L’art de la miniature est inséparable du livre et de la poésie ; il doit être considéré en regard du manuscrit enluminé, à la manière des livres irlandais, Book of Durrow ou Book of Kells pour ne citer qu’eux.

Lorsque j’étais enfant, une grand-tante m’offrit un petit livre sur la miniature iranienne. Ce fut mon premier contact avec cet art et avec l’Iran. Miniature iranienne, des mots qui suffisent encore à déclencher en moi d’immenses rêveries. Je m’épris de cet art qui rendait visible des métaphores, qui accompagnait des pages que je goûtais par des traductions, un peu triste de ne pouvoir les lire dans l’original, une tristesse atténuée voire effacée par la splendeur du dessin, aigu, comme gravé, et la délicatesse des coloris, leur saveur qui me mettait l’eau à la bouche. Aujourd’hui encore, je la célèbre avec une même ferveur et peut-être même avec plus de ferveur car j’ai compris que ce monde célèbre des temps préislamiques, comme « Le Livre des rois » qui vers l’an 1000 exalta l’épopée cosmogonique composée par Ferdowsi, relatant l’histoire des rois perses depuis la création du monde jusqu’au dernier prince sassanide malheureusement vaincu par les Arabo-musulmans en 637. Je ne puis contempler l’une de ces miniatures sans avoir une pensée pour Gengis Khan dont je m’efforce toujours de saisir l’impact sur l’histoire du monde et de découvrir des forces lumineuses sous la cendre et le sang.

Olivier Ypsilantis

 

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