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A l’adresse des Adeptes d’un Monde simple, à l’adresse des Repentants et des Indignés

 

Les Repentants sont ces professeurs de morales autoproclamés qui, en France notamment, veulent en imposer et conserver leurs prébendes, des prébendes  qui leur viennent de leur statut de représentants du Vrai, du Beau et du Bien. Les Repentants pullulent à gauche et sous des formes diversement virulentes. Ils veulent nous imposer, et c’est un élément de leur credo, que les conquêtes coloniales, celle de l’Algérie en particulier, ont été parmi les premières guerres (sinon les premières) à mettre en œuvre le mépris absolu de l’adversaire, un mépris qui autorisait automatiquement tous les comportements. Du haut de leur chaire, ces Repentants nous assènent que cette déshumanisation de l’adversaire a pris corps face aux « indigènes », qu’un degré dans la violence avait été franchi, un degré jamais (ou presque jamais) atteint sur le sol européen, avant les conquêtes et les guerres coloniales.

Les exemples qui mettent à mal cette belle assurance (une assurance née d’un parti-pris idéologique et/ou de la simple ignorance) ne manquent pas. Daniel Lefeuvre en retient quelques-uns dans son étude, « Pour en finir avec la repentance coloniale ». Il commence par les deux ravages du Palatinat, à la fin du XVIIe siècle, et l’expédition contre les Camisards (guerre des Cévennes), au début du XVIIIe siècle. Il suffit d’étudier ces manifestations d’extrême violence pour considérer avec suspicion la thèse de Gilles Manceron, dans « Marianne et les colonies », selon laquelle l’Afrique coloniale aurait été un « terrain d’expérimentation (…) de nouvelles techniques de soumission des populations civiles, par exemple le déplacement de populations, leur « regroupement » et leur enfermement derrière les fils de fer barbelé des camps ».

Et la Vendée ? Peut-on évoquer cette atrocité organisée par la Convention sans être aussitôt traité de « facho » ? Contrairement à une idée reçue et très obligeamment véhiculée par divers courants de la bien-pensance, cette révolte généralisée des campagnes de l’Ouest (Vendée, sud-ouest du Maine-et-Loire, sud de la Loire-Inférieure, nord-ouest des Deux-Sèvres) n’a pas été conduite par des calotins et des bigots, désireux avant tout de défendre Dieu et le Roi, mais qu’elle a été un immense refus de la levée en masse décrétée par la Convention le 24 février 1793. Je passe sur les autres décrets de la Convention, dont ceux du 1er avril puis du 1er août 1793, pour en venir à l’accord donné par le Comité de salut public (une désignation qui suffit à me révulser), en janvier 1794, à la proposition du général Louis Marie Turreau, commandant en chef de l’armée de l’Ouest, de former douze colonnes infernales destinées à dévaster la Vendée d’est en ouest.

 

« Los desastres de la guerra », Goya

 

Je passe sur l’ordre du jour du 17 janvier 1794 adressé aux commandants des colonnes. Daniel Lefeuvre pose cette question, sans ironie : « Campagnes dévastées, récoltes brûlées, cheptel razzié ou tué, une spécialité coloniale ? » Je passe également sur le compte-rendu chronologique des dévastations et des meurtres pour noter ce propos de Daniel Lefeuvre : « Avant même que la responsabilité collective des tribus algériennes soit mise en œuvre, elle est appliquée dans les départements de l’Ouest par l’article 1er du titre IV de la loi du 10 vendémiaire an IV (1er octobre 1795) ». Le 17 octobre 1793, l’armée vendéenne est battue devant Cholet. Commence alors la « virée de Galerne » qui s’achève le 23 décembre de la même année avec la bataille de Savenay. Les combats terminés, le général Westermann qui commande des troupes républicaines écrit à la Convention : « Il n’y a plus de Vendée, elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui au moins pour celles-là n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas de prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé. (…) Nous ne faisons plus de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté et la pitié n’est pas révolutionnaire ».

La Vendée militaire a vécu, elle est morte à Savenay. C’est le début de la guérilla (la chouannerie). Elle durera jusqu’au Consulat. Les milliers de prisonniers faits par les armées de la République (hommes, femmes mais aussi enfants) sont rassemblés à Nantes. Entassés dans des conditions effroyables, ils meurent par centaines d’épidémies qui finissent par menacer la ville. Jean-Baptiste Carrier décide de faire place nette. De décembre 1793 à février 1794, il en fait fusiller un grand nombre avant de passer aux noyades, les « Déportations verticales » par paquets de trois cents à quatre cents victimes, à Nantes mais aussi à Angers et à Saumur. Les enfants sont exécutés comme les adultes et la distinction entre combattants et civils n’a plus cours.

Le XIX siècle est lui aussi lourd de ces discours qui excluent l’adversaire du genre humain. De la Révolution française et ses massacres idéologiques à cette « bonne » société qui jugeait les Communards avec un mépris radical, comme le fit l’immonde général marquis Gaston de Gallifet.

Daniel Lefeuvre note : « Les Algériens ne sont donc ni les premiers ni les seuls à peupler le bestiaire des élites ; Blancs de Vendée et Communards de Paris, paysans et ouvriers de France ont aussi illustré quelques pages de ce triste album. La colonisation n’a décidément rien inventé à cet égard ! ». Voilà qui devait être dit !

 

« Los desastres de la guerra », Goya.

 

Dans son essai « Violence et révolution », Jean-Clément Martin s’interroge sur les origines de cette violence révolutionnaire. Et, de ce point de vue, la guerre opposant les armées révolutionnaires à la Vendée puis à la chouannerie et la conquête de l’Algérie peuvent être rapprochées : « Ignorants des intentions de leurs adversaires vus comme des êtres pernicieux, perdus dans les complexités politiques mais convaincus de défendre la nation, effrayés de la sauvagerie des combats et des risques courus en rencontrant une population « civile » dont ils ne comprennent pas la langue et dont ils doivent craindre des attaques en permanence, ils ne peuvent que répondre par une violence de plus en plus grande au fur et à mesure que le conflit dure ». La guérilla ajoute à l’exaspération. Et en Vendée comme en Algérie, les armées de ligne doivent affronter une forme de guerre, la « petite guerre », ou guérilla, dont ils ont une sainte horreur. Cette guerre qui use des nerfs des combattants de ligne est par ailleurs très couteuse en hommes. Le guérilleros (ou le partisan) ajuste ses coups par soucis d’économiser ses munitions et parce qu’il ne peut pas s’offrir le luxe de manquer sa cible, contrairement à ceux qui participent à des feux roulants. Chaque coup doit faire mouche et, le plus souvent, il fait mouche.

Daniel Lefeuvre : « Bien avant les Algériens, les habitants du Palatinat, les Camisards, les Vendéens ont subi la panoplie complète des « brutalités » dont les Repentants situent faussement les origines dans la conquête coloniale. Du reste, les hommes de la colonisation dressent eux-mêmes le parallèle entre la Vendée et la guerre qu’ils pratiquent en Afrique. Tocqueville cite Bugeaud parlant de “chouannerie” pour qualifier la guerre des Algériens ; un interprète militaire, Alexandre Bellemare, évoque de son côté “les difficultés de cette Vendée musulmane contre laquelle nous allons avoir à lutter” ». A ce propos, n’oublions pas que nombre des chefs de l’armée d’Afrique qui débarquent en Algérie, à commencer par Bugeaud, ont fait campagne dans l’armée de Napoléon 1er en Espagne, un pays où elle s’usa sous les effets prolongés de la guérilla, un mot spécifiquement espagnol et élaboré au cours de cette période, Bugeaud qui déclara le 7 juin 1836, en Algérie, devant ses officiers d’état-major : « J’ai eu, pour ma part, quelques succès contre les guérillas en Aragon, sous les ordres du maréchal Suchet (…). Cette guerre de guérilla ressemble à celle des Kabyles ; j’ai été assez heureux pour battre souvent les Espagnols, j’espère l’être encore suffisamment pour battre les Arabes, en employant les mêmes moyens ».

 

« Los desastres de la guerra », Goya

 

Ce point d’histoire en amène un autre. Au début de l’année 1809, Napoléon a battu les armées espagnoles et a placé son frère Joseph sur le trône d’Espagne. Il quitte le pays, persuadé qu’il est soumis. Certes, il n’existe plus de forces espagnoles organisées ; mais ce que l’empereur ignore encore, c’est que partout se dressent les Espagnols et à la guerre régulière va succéder la guerre nationale, la guérilla. On retrouve donc là le schéma vendéen. Les Français vont tenter de s’adapter à cette guerre terriblement mobile en organisant des colonnes mobiles. Dans ces violences précoloniales on adopte sur le sol européen des méthodes non moins radicales que celles qui seront mises en œuvre pour la conquête de l’Algérie, par exemple. Ci-joint, un extrait des souvenirs du colonel Jean-Baptiste Morin, commandant le 5Régiment de dragons sur son séjour en Espagne (1812-1813) :

« Les environs de Saragosse si riants autrefois ne sont plus aujourd’hui qu’un désert, les belles plantations d’oliviers qui faisaient la richesse de ce pays ont toutes été coupées pendant le siège, les villages, les fermes, les campagnes si fertiles sur les bords de l’Ebre, tout est dévasté. Le long siège que cette ville a soutenu, la résistance inouïe qu’elle a opposé à nos armes, sont des événements qui feront époque dans l’histoire de la guerre. Les fortifications qui défendaient les approches de la ville ont été enlevées pendant les premiers jours du siège, mais ensuite chaque couvent, chaque maison devenait un fort dont il fallait faire un siège particulier et dont on ne pouvait se rendre maître qu’en y attachant le mineur et en les faisant sauter avec tous leurs défenseurs, on a détruit ainsi 1 500 maisons, églises ou couvents et la capitulation n’a eu lieu que lorsque les maisons du centre de l’ancienne ville ont commencé à sauter; c’est particulièrement sur El Coso, grande rue, qui entoure le centre de Saragosse que l’on voit des murailles énormes abattues à coups de balles de fusil, il n’y a pas une seule sur El Coso qui ne soit entièrement criblée de balles du haut en bas, c’est dans cette même rue que des batteries de canons étaient établies dans les chambres d’une maison à une autre maison, on s’emparait du rez-de-chaussée, mais l’ennemi maître encore du premier étage s’y défendait, on le chassait, il se retirait au second, toutes les maisons se communiquaient les unes aux autres par des ouvertures, par des échelles ou des ponts en planches. On se battait dans les rues, dans les caves, dans les chambres, jusques (sic) sur les toits; on s’égorgeait partout; pendant que ces scènes d’horreurs se passaient, une pluie de bombes et d’obus tombait sur le centre de la ville ; 54 000 habitants sont morts par le fer, le feu, la famine ou les maladies ; on ne peut trouver dans cette ville immense une seule maison qui ait été épargnée. Une grande partie des femmes et des enfants s’étaient réfugiés dans la superbe église de Nuestra Señora del Pilar à laquelle ils avaient grande dévotion et sur laquelle ils s’étaient imaginés qu’aucune bombe ne pouvait tomber parce que pendant les premiers jours du siège on voulait ménager cet édifice et sauver les trésors qu’il renfermait, mais cependant plusieurs bombes perdues y tomberont à la fois et produisirent un désordre épouvantable au milieu de la multitude qui y était réunie. Toutes les rues étaient jonchées de cadavres depuis quelque tems (sic), on ne les enterrait plus, les blessés, les malades étaient abandonnés sans secours, la ville se rendit enfin ; c’est alors que les habitants connurent l’étendue de leur malheur ; on les força de brûler, d’enterrer ou de jeter les cadavres dans l’Ebre. Dans les courses que j’ai faites dans les quartiers renversés quoiqu’il se soit passé trois ans depuis ce siège mémorable, j’ai vu encore des restes effrayants de la résistance opposée par les assiégés, des couvents sont remplis de squelettes de moines ayant leurs habits. On y trouve des soldats, des femmes, des enfants sans sépultures entassés, au milieu de ce qui était autrefois des cours ou des jardins.»

Et je pourrais multiplier les exemples, évoquer le général Louis-Henri Loison qui en juillet 1808 massacre les défenseurs d’Evora, dans l’Alentejo, au Portugal, et qui, harcelé, détruit tout ce qu’il peut sur son passage.

Olivier Ypsilantis

 

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