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Franz Kafka, notes retrouvées – F/H

 

Parmi mes plus belles lectures sur Franz Kafka, l’étude de Klaus Wagenbach, « Franz Kafka. Années de jeunesse (1883-1912) », un ouvrage gorgé de détails biographiques qui, à l’occasion, relèvent du travail de détective (à la manière des biographes britanniques), un ouvrage qui s’oppose à la décontextualisation dont sont friands les intellectuels français – décontextualiser, comme c’est chic ! Klaus Wagenbach a travaillé à cette étude entre 1951 et 1957, fruit d’une recherche systématique relative au milieu pragois de Franz Kafka. La seule biographie de Franz Kafka en ces années était celle de Max Brod. Elle ne fait pas mention des éléments biographiques (rares et épars) des années envisagées par Klaus Wagenbach.

Franz Kafka (1883-1912) ; 1912, année décisive selon ses propres appréciations. Voir la nuit du 22 au 23 septembre 1912. « Le verdict » ou l’émergence d’un nouveau style, un style resserré, implacablement logique et ascétique pourrait-on dire.

En annexe au livre de Klaus Wagenbach en question, la liste des livres de la bibliothèque personnelle de Franz Kafka, liste présentée par ordre alphabétique des auteurs, liste (incomplète) établie dix ans après la mort de Franz Kafka. Le nombre des livres de cette liste s’élève à environ deux cent cinquante titres ; il ne s’agit donc pas d’une bibliothèque considérable. On peut y noter la présence d’assez nombreux livres sur la religion.

Le Nouveau cimetière juif de Prague (Nový židovský hřbitov), un cimetière situé dans le quartier de Žižkov et d’une superficie d’environ dix hectares. La tombe de Franz Kafka (je viens de trouver la réponse à ma question) est l’œuvre de Leopold Ehrmann (1886-1951), auteur de diverses réalisations pour les communautés juives de la région, en particulier des synagogues. Il part pour les États-Unis en 1940, avec sa femme, et s’installe à Chicago. Leopold Ehrmann est également l’auteur d’un immeuble d’habitation construit en 1937-1938 (sur Lodecká 3, Prague) en collaboration avec František Zelenka, mort en déportation.

 

La tombe de Franz Kafka au Nouveau cimetière juif de Prague (Nový židovský hřbitov)

 

Un témoignage sur l’oncle Philipp, qui s’orthographie aussi Filip (frère du père de Franz Kafka), témoignage d’une nièce : « Philipp était facile à vivre, toujours gai, il portait toujours des souliers vernis, une fleur blanche à la boutonnière, il racontait volontiers des histoires (pas toujours convenables), il savait et aimait vivre. Contrairement à son frère Hermann, il s’entendait bien avec les enfants ». Les témoignages de cette nièce, Mme Bergmann, alors la seule survivante des vieilles générations, sont d’autant plus précieux qu’au moment où elles les a livrés, elle ne connaissait ni la « Lettre au père », ni le « Journal ».

Le livre de Klaus Wagenbach est riche en précisions établies à partir de recherches dans des bibliothèques mais aussi grâce à des conversations et des correspondances ainsi qu’à des témoignages écrits à la demande de l’auteur. Voir ces pages du chapitre II, « Au lycée. 1893-1901 », qui fourmillent de détails sur la scolarité de Franz Kafka.

Ma méfiance envers l’interprétation psychanalytique appliquée à Franz Kafka est relative. Je ne dénonce pas la psychanalyse en tant que telle, je ne fais que dénoncer la prétention de certaines interprétations – de certains auteurs – qui déclarent tout de go (ou laissent sous-entendre) ne rien laisser passer au travers des mailles de leurs filets. Il ne s’agit en aucun cas de nier la fécondité des propositions de la psychanalyse mais de limiter certaines prétentions comme ivres d’elles-mêmes et de leur jargon spécialisé. Klaus Wagenbach : « On trouve une description grosso modo du caractère de Kafka dans l’essai “Deuil et mélancolie” de Sigmund Freud. Voir également Carl Gustav Jung, “La signification du père dans le destin de l’individu” ». Une remarque qui va dans mon sens (une mise en garde) : par exemple, il ne faut pas pousser jusqu’au délire le double sens de nombreux noms propres chez Franz Kafka, comme le fait Norbert Fürst – voir « Die offenen Geheimtüren Franz Kafkas Fünf Allegorien ».

Les relations de Franz Kafka avec les anarchistes. Trouver des documents (témoignages) à  ce sujet. Klaus Wagenbach écrit : « Les sources concernant les relations de Kafka avec les anarchistes ne sont pas nombreuses, mais sûres et indépendantes les unes des autres. Le document le plus important est le compte-rendu de Michal Mareš » ; on le trouvera à la fin du livre « Franz Kafka. Années de jeunesse (1883-1912) ». Voir la biographie de (Josef) Michal Mareš (1893-1971).

Berta Fanta (1865-1918) et son salon, le plus célèbre de Prague avant la Première Guerre mondiale, un salon situé dans l’appartement juste au-dessus de la pharmacie de son mari, Max Fanta. Else Fanta, la fille de Berta et de Max, épousera Hugo Bergmann, l’ami de Franz Kafka, qui fréquenta également ce salon. Quelle fut l’influence de ce salon sur Franz Kafka ? On ne le sait avec certitude. On y parlait essentiellement de sciences naturelles et de physique (parmi les habitués, Albert Einstein qui enseignait à Prague) ainsi que de philosophie et de deux sciences nouvelles : la théorie de la relativité et la psychanalyse. Franz Kafka était peu doué pour la physique et encore moins pour les mathématiques, aussi certaines conférences dispensées dans ce salon durent le laisser indifférent.

 

Hugo Bergmann (1883-1975)

 

Adolf Gottwald, l’un des professeurs de Franz Kafka au lycée. Adolf Gottwald avait cette particularité de n’attacher que peu d’importance aux devoirs et d’exiger la plus grande attention pendant les cours, des cours qui se faisaient à l’occasion conférences avec digressions philosophiques. Ces conférences eurent une grande influence sur Franz Kafka qui, vers la fin de ses études secondaires, devint avec Oskar Pollak un adepte passionné du darwinisme. Redisons-le, Franz Kafka était peu doué pour la physique et encore moins pour les mathématiques ; il n’empêche qu’avant même d’écrire ses principaux ouvrages, il avait acquis une connaissance plutôt ample et profonde d’une époque scientifique en pleine formation.

C’est probablement chez Berta Fanta que les questions religieuses commencent à le préoccuper. Les divergences confessionnelles au sein de la famille Fanta lui rendent sensible l’insécurité engendrée par un complet détachement de la foi juive. Max Fanta est un adepte de l’islam tandis que sa femme, Berta, après avoir goûté à diverses croyances cède au goût du jour : le spiritisme et, plus encore, la théosophie. En 1911, Rudolf Steiner donne une série de conférences chez Berta Fanta. Il est à l’origine de la première communauté théosophique. Franz Kafka n’échappe pas à la séduction exercée par ce conférencier, bien que les notes rapportées dans le « Journal » tendent vers le scepticisme, un scepticisme de plus en plus affirmé. Ce timide intérêt pour la théosophie représente chez Franz Kafka une tentative destinée à combler un vide, vide que confirme la pratique religieuse de sa famille et de son entourage : un judaïsme privé de base solide, un judaïsme desséché.

La connexion de Franz Kafka avec un judaïsme vivant va s’opérer en mai 1910, à Prague, au cours d’une représentation donnée par une troupe d’acteurs yiddish, une connexion qui va aller en s’affirmant et sous l’influence de son ami Max Brod. Jusqu’alors, les rapports de Franz Kafka au judaïsme avaient été indolents, déprimés même, des rapports communs aux Juifs émancipés de Prague. Ainsi Franz Kafka qualifia-t-il la bar mitzvah de « ridicule effort de mémoire » et les heures passées à la synagogue « d’infiniment ennuyeuses » et ainsi de suite. Vers la fin de ses études secondaires, le judaïsme de Franz Kafka est au plus bas. Par ailleurs, le sionisme qui intrigue et attire nombre de ses contemporains le laisse indifférent lorsqu’il ne provoque pas sa moquerie. De fait, Franz Kafka fuit un judaïsme protocolaire et comme plongé dans du formol pourrait-on dire sans forcer la note. Quant au sionisme naissant, il sent encore l’académisme et la ratiocination. Lui aussi manque de vigueur, bien que…

C’est donc par la troupe de Yitzhak Löwy que Franz Kafka va irriguer un terrain desséché, le terrain de ces Juifs occidentaux qui « en bons sujets font, sans s’inquiéter, ce qui leur est dicté ». En octobre 1911, la troupe de Yitzhak Löwy est de retour à Prague où elle donne des représentations au cours des mois qui suivent. Franz Kafka y assiste et en rend compte sur plus de cent pages dans son « Journal ». Il comprend à peine le yiddish, il n’en est pas moins profondément ému par le jeu des acteurs. Il comprend qu’il est juif et « sans curiosité du monde chrétien ». Il veut étudier la littérature yiddish mais avant tout l’histoire juive. Il lit « Histoire des Juifs » (Geschichte der Juden von den ältesten Zeiten bis auf die Gegenwart) de Heinrich Graetz puis « Histoire de la littérature judéo-allemande » de Meir Pines qui porte un jugement négatif sur la Haskalah, son intellectualisme, son éloignement du peuple. « Pour le peuple, le nom de maskil gardera toujours un sous-entendu d’ironie » écrit Meir Pines, une appréciation qui rejoint celle de Franz Kafka. Vers la fin de l’année 1917, dans une lettre à Max Brod, il écrit que les contes hassidiques sont « les seuls éléments juifs où, indépendamment de mon état d’esprit, je me sens toujours chez moi, alors que dans tout le reste, je me laisse embarquer… » La relation entre Yitzhak Löwy et Franz Kafka mériterait un article à part, notamment à partir de sa correspondance, des nombreuses pages du « Journal » ayant trait à cette troupe d’acteurs yiddish, sans oublier cet article qui rapporte des souvenirs de Yitzhak Löwy (destinés à une revue sous le titre, « Du théâtre juif ») auquel Franz Kafka travaille à Zürau, en 1917-1918. Peu après le départ de cette troupe, Franz Kafka assiste pour la première fois aux réunions organisées par le club sioniste Bar Kochba.

Alors que Max Brod devient sioniste, Franz Kafka, et jusqu’au début 1914, reste indifférent au sionisme sous toutes ses formes, ce qui jette un froid entre les deux amis. Pourtant, en 1912, on peut déjà noter l’intérêt soutenu qu’il porte aux implantations juives en Palestine et au mouvement HeHalutz. En mai 1912, il suit avec intérêt une conférence donnée par David Trietsch, ainsi qu’il le rapporte dans son « Journal ». Il ne perdra plus cet intérêt pour le sionisme, un intérêt qui ira en s’affirmant jusqu’à sa mort. L’austérité des pionniers socialistes (essentiellement issus d’Europe orientale et de Russie) le séduit. Il apprécie cette vie simple, au contact de la nature. Son sionisme ne va guère au-delà. Il manque de bases théoriques et il n’envisage guère la communauté. C’est par Yitzhak Löwy et sa troupe que Franz Kafka se penche pour la première fois et avec émotion vers le judaïsme et qu’il s’interroge.

La communauté ! Dans une nouvelle intitulée « Dans notre synagogue » (1922), le narrateur, membre de la communauté juive, rapporte qu’un mammifère plus ou moins de la taille d’une martre vit dans la synagogue ; c’est un animal étrange mais très doux et craintif qui se tient à l’écart des hommes (ils ne lui prêtent plus la moindre attention depuis longtemps) et qui a plaisir à se trouver du côté des femmes qui fréquentent ce lieu, des femmes qui ont des rapports ambigus avec ce petit animal. Mais lisez ce texte dans son intégralité :

http://zork.net/~patty/oldkafka/ksynagogue.html

Bien qu’écrit par un universitaire, l’étude de Michael Löwy intitulée «”Devant la Loi” : le judaïsme subversif de Franz Kafka » (consultable en ligne) a un ton fort juste et non dénué de délicatesse.

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

 

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