Skip to content

En lisant l’article de Menahem Macina : “L’attitude de l’Église face à la persécution des Juifs par les nazis dans les années 1930”

 

Un article signé Menahem Macina vient de m’être signalé. Il enrichit un dossier qui me préoccupe depuis des années : l’attitude de l’Église catholique, apostolique et romaine face au nazisme dans les années 1930 – et 1940. J’apprécie le ton de cet article qui ne donne pas dans la récrimination ou le règlement de compte mais qui invite à refuser tout faux-fuyant, toute échappatoire, l’écran de fumée et la finauderie. C’est donc une invitation au vrai dialogue visant à une meilleure compréhension de l’autre, de soi-même donc, un dialogue sans concession mais sans animosité. Car, nous dit le Juif par la bouche d’Edmond Jabès : “L’étranger te permet d’être toi-même, en faisant, de toi, un étranger”, Edmond Jabès, ce Juif d’Égypte, qui poursuit : “Si “Je” est vraiment “Je” son emploi ne pourrait être revendiqué que par un étranger. Pour être, enfin, soi-même, le juif se devait d’être sans compromis. “L’étranger de l’étranger”, ai-je, une fois, écrit”. Il faut lire et relire Edmond Jabès que je tiens pour l’un des plus grands poètes de tous les temps. Et ce poète écrivait dans notre langue !

 

Edith  Stein (1891-1942) devenue en religion sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix

 

Il ne s’agit donc pas d’asseoir l’Église au banc des accusés (beaucoup le font pour d’obscures raisons) mais de l’inviter à un dialogue sans concession et amical car l’amitié ne peut être qu’exigeante. Et le Chrétien se doit d’interroger le Juif sans trêve pour enrichir la compréhension qu’il a de lui-même. Il n’y a pas d’autre voie.

Le ton de cet article soulève en moi une tempête de questions – et, croyez-moi, l’expression n’est pas forcée. Ce sont donc des pages exigeantes, fraternelles ; et quoi de mieux pour espérer avancer d’au moins un pas ?

Menahem Macina interroge l’attitude de l’Église face au nazisme dans les années 1930, sous le pontificat de Pie XI (1922-1939), pontificat qui sur ce point a été bien moins interrogé que celui de Pie XII (1939-1958). Je recommande tant aux Juifs qu’aux Chrétiens un article qui appelle bien des prolongements et que je place ici en lien :

http://www.france-israel.org/articles.ahd?idart=1528

Que nous dit cet article ? Tout d’abord que les grands gestes de repentance, tel que celui accompli par Jean-Paul II (aussi admirable soit-il) ne doivent pas être utilisés (et la tentation peut être forte, très forte) pour s’épargner les complexités de l’analyse. Il arrive que ces gestes dont nous ne contestons pas le bien-fondé, et que nous accueillions même avec émotion, soient récupérés dans un but apologétique : glorifier l’Église toujours et partout. Or, une relation renouvelée avec le judaïsme est l’avenir du christianisme, au point que la distinction “Ancien Testament” / “Nouveau Testament” (souvent employée à la légère – sans même y penser – par les chrétiens) puisse s’en trouver bouleversée et, ainsi, découvrir un espace amplifié où instituer des relations au potentiel énergétique infini. L’avenir du christianisme est dans le judaïsme, il faut le dire et le redire sans chercher à porter atteinte aux richesses respectives de ces deux religions, de ces deux pensées, et… sans chercher à inviter, l’air de rien, les Juifs à la conversion. La conversion des Juifs au christianisme, qui fut bien une obsession chrétienne, amènerait l’effondrement irrémédiable du christianisme – mort de soif, mort par tarissement de la source. Vouloir convertir les Juifs est aussi une faute contre le christianisme.

Une précision. Je ne suis pas de ces chrétiens qui, à la suite de saint Augustin, Père de l’Église, tiennent les Juifs pour les porteurs d’un livre qui atteste la vérité chrétienne mais dont la signification leur reste cachée. Je ne suis pas de ceux qui, hier, explicitement, et aujourd’hui, implicitement, espèrent leur ultime conversion. Je juge même que chercher à convertir les Juifs est une faute voire un péché. L’Église catholique s’est calmée de ce point de vue mais des groupes protestants ont pris le relai et très activement. Il est bon de défendre de peuple d’Israël et l’État d’Israël comme ils le font mais sans avoir plus ou moins en tête de susciter des conversions… C’est un point très important sur lequel on n’insiste pas assez. Les Évangéliques ne sont pas dépourvus de qualités, mais leur prosélytisme – véritable turbine – ne cesse de tourner à plein régime.

J’en reviens au fil de cet article. Les “Justes parmi les nations” peuvent bien malgré eux servir une certaine théâtralisation. Il ne s’agit en aucun cas de s’en prendre à des individus venus de tous les horizons et à l’institution qui décerne ce titre (le Mémorial de Yad Vashem au nom de l’État d’Israël) mais de signaler que les Justes peuvent être agités comme de saintes images, ce qui évite à certains les complications et les inquiétudes du questionnement. L’émotion ne doit pas pousser de côté ou étouffer la raison, l’appréhension politique d’une certaine réalité. J’ai parfois eu affaire à des chrétiens qui, pour s’épargner certaines interrogations, brandissaient les noms de membres de l’Église honorés de ce titre et s’en servaient comme d’un paravent ou d’un bouclier. Tout au moins est-ce l’impression qu’ils m’ont donnée. Or, c’est porter atteinte à la mémoire des Justes que d’agir de la sorte. Honorons-les, qu’ils soient chrétiens ou non, mais ne les agitons pas pour fuir certaines questions qui doivent être envisagées frontalement. Une fois encore, il ne s’agit pas de régler des comptes  mais de comprendre, les yeux dans les yeux – et pourquoi pas ? – la main dans la main.

Menahem Macina écrit à propos d’Édith Stein : “Sa lettre au pape insiste sur trois points : la détresse de son peuple, le lien entre haine du juif et haine du Christ, la menace qui pèse sur son Église”. Et je me dis que la mise en garde à peine voilée de cette “fille du peuple juif” (ce sont ses mots), entrée en religion sous le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, pourrait avoir influé sur la rédaction de “Mit brennender Sorge”, cette encyclique publiée en 1937 sous le pontificat de Pie XI. Et n’oublions pas que la haine du Juif poussa certains dirigeants nazis à vouloir trouver à Jésus des origines aryennes (?!) A ce propos, ceux qui voudraient en savoir plus peuvent se reporter à la visite de Himmler au monastère de Montserrat, dans les environs de Barcelona, avec cette recherche du Saint-Graal mais aussi… d’une généalogie non-juive (?!) de Jésus.

Édith Stein écrit, dans une lettre adressée au pape, le 12 avril 1933 : “La lutte contre le catholicisme est provisoirement encore menée avec discrétion et sous des formes moins brutales que celles contre les Juifs, mais elle n’est pas moins systématique. Sous peu, aucun catholique ne pourra plus exercer une charge sans avoir souscrit inconditionnellement à la nouvelle orientation”. D’autres voix s’ajoutaient à cette voix.

Qu’on me comprenne, je ne suis pas un contempteur de l’Église mais je me méfie de l’apologie religieuse telle que l’analyse Menahem Macina dans une série d’articles, l’apologie religieuse qui s’emploie à justifier voire à glorifier la “discrétion” de Pie XII, à en faire une figure souffrante, condamnée au silence. Je ne suis ni un contempteur ni un thuriféraire : je refuse simplement la dorure ; elle me paraît suspecte (destinée à cacher quelque chose) comme me paraît suspect l’acharnement systématique contre l’Église.

Je n’ai pas à juger les papes Pie XI et Pie XII, leurs sentiments intimes me demeureront mystérieux à jamais. Je puis toutefois avancer ce qui suit : ces hommes furent des chefs d’État et à la tête d’une institution mondiale qu’ils s’employèrent à épargner. Rien de bien extraordinaire après tout. Ce fut une attitude que je qualifierais de moyenne : profil plutôt bas dans l’espoir de sauver l’institution et sa hiérarchie. Il me semble qu’à ce sujet, l’ouverture des archives ne nous apprendra pas autre chose. Une fois encore, je parle de l’Église en tant qu’appareil religieux – et politique –  sans jamais oublier qu’elle compta et compte encore bien des femmes et bien des hommes admirables.

Le professeur Martin Rhonheimer, prêtre catholique d’origine juive, signale que, le 10 avril 1933, le dominicain Franziskus Stratmann écrivit une lettre au cardinal Michael von Faulhaber dans laquelle on peut lire : “Mais personne n’émet de protestation efficace contre cette honte allemande et chrétienne indescriptible. Même des prêtres trouvent dans ce comportement déshonorant un apaisement à leurs instincts antisémites (…) Nous savons qu’il faut un courage exceptionnel aujourd’hui pour témoigner de la vérité. Mais nous savons aussi que ce n’est que par un tel témoignage que l’humanité et le christianisme peuvent être sauvés. Le véritable christianisme est en train de mourir d’opportunisme”.

L’Église – l’institution – ne peut se targuer d’avoir fait partie de ceux qui, dès le début, prirent publiquement la défense des Juifs. Et, une fois encore, méfions-nous des apologistes catholiques qui produisent des rapports faisant état de condamnation par l’Église du nazisme et du racisme. “Le véritable problème n’est pas la relation de l’Église avec le national-socialisme et le racisme, mais la relation de l’Église avec les Juifs (…) L’indéniable hostilité de l’Église catholique envers le national-socialisme et le racisme ne peut être utilisée comme une justification historique de son silence sur la persécution des Juifs”. Cette mise au point de Martin Rhonheimer m’importe grandement dans la mesure où, instinctivement dirais-je, j’ai toujours distingué le racisme de l’antisémitisme (sans jamais chercher à mettre les Juifs à part) car : “Le premier se nourrit de la xénophobie, du mépris et de la haine, et aboutit à la mise à l’écart, à la ségrégation et au meurtre. Le second est d’emblé nourri par une problématique démonologique (les Juifs sont les agents du Mal sur la terre et les vecteurs d’un complot mondial) et exterminatrice”, précise Georges Bensoussan. Par ailleurs l’antisémitisme est d’une complexité particulière, ses racines forment un réseau bien plus ramifié que celui de la xénophobie et du racisme. Georges Bensoussan poursuit : “La complexité de l’antisémitisme empêche de l’amalgamer à la xénophobie et au racisme. Elle plonge ses racines loin en amont, dans la pensée froidement délirante d’un Jules Soury, d’un Georges Vacher de Lapouge, et d’un Paul de Lagarde par exemple, pour ne citer que ces trois grands idéologues de la fin du siècle dernier”. Et je sais que souligner la spécificité de l’antisémitisme recèle un risque, celui d’attirer un sous-entendu : derrière la thèse de la spécificité de l’antisémitisme se dissimule la prétention des Juifs “à bénéficier d’un capital moral, d’un bien symbolique du plus haut intérêt puisqu’il vous place au premier rang des victimes” (Georges Bensoussan). Que répondre ? Tout d’abord, préciser que la Shoah ne fut en aucun cas le fait d’un groupe d’assassins mais qu’elle est en rapport direct avec l’histoire occidentale qui fit de la haine du Juif  “l’un de ses puissants fondements religieux, voire identitaires, lorsque fut venu le temps de la sécularisation” (Georges Bensoussan).

La demande de pardon (“Nous nous souvenons”, une réflexion sur la Shoah) et l’appel à la fraternité lancé par Jean-Paul II qui appela les Juifs “nos frères aînés” ne peuvent qu’émouvoir ; cependant, il y traîne en coin un peu d’autojustification. Je le dis sans animosité, je ne suis pas un grincheux. Ce repentir est empreint de sincérité, d’une volonté de fraternité, je m’incline. Toutefois il n’admet tout simplement pas la véritable ampleur de l’échec moral de l’Église durant l’ère nazie et son appréciation du pape Pie XII est entièrement partiale. Par ailleurs la distinction opérée entre l’antijudaïsme ecclésial et l’antisémitisme profane est trop facile. L’apologétique ne peut se substituer à la recherche historique. Et que des Juifs, parmi lesquels le rabbin David Dalin et Gary Krupp, aient célébré le pape ne me détourne en rien de mon questionnement.

P.S. En relisant un livre qui m’est cher entre tous, “Journal 1951-1975” de Maxime Alexandre, un passage m’a littéralement sauté aux yeux. Je vous le livre car il vient enrichir un certain dossier. Maxime Alexandre note donc le 22 septembre 1967 : “J’aurais pu ajouter un témoignage du comte Harry Kessler, ambassadeur d’Allemagne, qui dit dans une lettre, écrite à Paris, le 20 juillet 1935 : “Ce n’est pas le pape (Pie XI) qui tirerait les ficelles en vue de l’accord avec Hitler, mais la bureaucratie vaticane et son augure Pacelli. Ils ont en vue un État autoritaire et une Église autoritaire, dirigée, celle-ci, par la bureaucratie vaticane, afin de contracter entre eux deux une alliance éternelle.” (“Mémoires”, 1961, p. 742 dans l’édition allemande.)”

                                  Olivier Ypsilantis

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*