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En compagnie de Bernard Chouraqui – 2 /4

 

 « Il s’agit donc pour tous, juifs et non-juifs, de comprendre que le conflit du monde juif et du monde non-juif est premièrement le conflit du monde non-juif avec sa propre Judéité. Chaque culture est, en tant que système moral d’identité collective, substitutive à celle de l’homme singulier, un enfermement où l’homme-de-la-culture a mis sa Judéité propre, se livrant sur elle à une agression perpétuelle. Le Juif à proprement parler est persécuté en tant qu’insupportable figure de sa propre Judéité persécutée en lui-même par l’homme-de-la-culture », peut-on lire dans « Qui est Goy ? Au-delà de la différence » de Bernard Chouraqui.   

 

Bernard Chouraqui à l’époque où il écrivit « Qui est Goy ? Au-delà de la différence »

 

Étrange texte qui en révoltera plus d’un mais qui va dans le sens de ce que je pressens depuis des années. De fait, je suis mal à l’aise dans le christianisme car je sens le coup de force opéré contre le judaïsme, je le sens à chaque lecture d’un Testament dit nouveau, je le dis sans esprit de polémique et sans vouloir blesser ; je me contente de rapporter ce qui me trouble avec autant d’exactitude que possible, sans jamais chercher à vouloir plaire ou provoquer, deux passe-temps que je laisse aux racoleurs et aux histrions.

Bernard Chouraqui ouvre « De la vision et de l’épouvante » (dans « Qui est Goy ? Au-delà de la différence ») sur cette considération : « La vraie tragédie de la Goyité aura été de rester captive des données de son expérience qui était celle de sa perte de la liberté et, idolâtrant son expérience, de l’ériger en espace-temps. En furent barrées les voies du salut. Dès lors, impossible de franchir cette mer Rouge puisque le pouvoir mosaïque de désigner l’expérience comme obstacle à franchir avait été perdu et que la volonté pharaonique mondiale décidait seule, dans un sens réducteur et faussement satisfaisant, de la souveraineté ». La loi mosaïque marginalisée et méprisée par la Goyité, nouveau Pharaon. Du foyer énergétique de lumière vivante, cette dernière a fait un foyer de poussière fatale qui enferme le monde dans une pyramide, cette colossale sépulture à momies érigée par des esclaves ! La poussière contre la lumière et la haine du Juif en substrat — au sens religieux du terme ; et pour l’heure, laissons de côté le mot antisémitisme, trop moderne : car à l’origine il y a l’antijudaïsme et rien que l’antijudaïsme. Le christianisme est une construction antijudaïque et ce qu’il y a de bon (car il ne s’agit pas de le rejeter en bloc mais de se livrer sur lui à un travail archéologique) est juif : Jésus le Juif n’ayant jamais prétendu créer une nouvelle religion. Le Christ est une autre affaire, une création idéologique. Je le redis, dans ma tête il y a toujours eu un gouffre entre Jésus et le Christ. Certains voient dans le petit signe placé entre Jésus et Christ — Jésus-Christ — un simple trait d’union, j’y  vois un gouffre et qui ne cesse de s’élargir à mesure que j’avance en âge. Et, au fond de ce gouffre, je ne vois pas de la lumière, un foyer énergétique de lumière, mais bien… de la cendre.

Le Juif dérange, il a toujours dérangé car il est le témoin d’un rapt, d’un coup de force, coup de force contre le judaïsme. Les tentatives pour faire taire le Juif par tous les moyens, tantôt violents tantôt doucereux, ne s’expliquent d’abord que par sa qualité de témoin. Toutes les prévarications dont il a été et est encore la victime tiennent d’abord à sa qualité de témoin, il n’y a pas d’autre explication ou, plus exactement, c’est l’explication-socle, celle sur laquelle reposent toutes les autres. Là est la racine de tout ce qui a suivi, jusqu’à la Shoah, jusqu’à la dénonciation radicale de l’État d’Israël, l’État juif. Certes, dans le puissant courant de l’Histoire d’autres éléments sont venus et viennent « enrichir » ce courant, comme des choses arrachées aux berges ; il n’empêche, la force même qui anime ce courant est bien l’antijudaïsme, la rage et l’inquiétude de Pharaon, représentant du Cosmos sépulcral, de la finitude. Or, nous dit Bernard Chouraqui, la finitude pousse les hommes à se séparer des autres, à cultiver leur différence, à radicaliser leur différence. Le monde de la cendre, monde de fatalité, pousse à la guerre dans l’espoir de communiquer ; tandis que le monde de lumière lie et relie les êtres entre eux, repousse finitude et conflits.

« De la vision et de l’épouvante », l’un des textes les plus radicaux et inspirés de Bernard Chouraqui, nous place devant la lumière et les cendres, deux mots qui saturent ces pages. Les cendres enferment les hommes dans leur finitude et, de ce fait, les dressent les uns contre les autres, tous contre tous ; tandis que la lumière les lie et les relie. La lumière eût signifié « pour chaque être tout en tous ». La finitude et la Goyité collent l’une à l’autre.

Lorsque je lis Bernard Chouraqui, deux images me viennent : la mer qui roule des blocs de granit jusqu’à en faire des galets et du sable ; le haut et le bas qui, à bord d’un avion de chasse, ne cessent de s’intervertir. Ses écrits me placent donc dans des espaces marins (et sous-marins, ainsi que je l’ai spécifié dans des textes précédents) et aériens. Bernard Chouraqui nous parle de l’infinie réversibilité de toutes choses. Sa pensée nous entraîne dans des loopings. Les repaires s’intervertissent, on écarquille les yeux.

La finitude colle à la Goyité, au Cosmos sépulcral. Or, il s’agit ni plus ni moins que de replacer la lumière dans la poussière. Il faut lire ces pages de Bernard Chouraqui, philosophe de la réversibilité infinie. Cette réversibilité infinie est l’une des marques de la philosophie de l’Inouï, dénomination par laquelle il caractérise sa pensée, tant par l’écrit que par la parole. Cette réversibilité infinie déploie clairement ses fastes, si je puis dire, dans les premières pages de « De la vision et de l’épouvante ». Cette réversibilité infinie se dresse contre l’illusion dialectique, ruse historique de la Goyité qui « aura été d’opposer une histoire fatale à un Cosmos mortel, œuvre criminelle et misérable de la Goyité ». « Nul n’aurait jamais prononcé cette parole qui résume toutes les justifications du Sépulcre : ‟A bas les Juifs” si, en même temps, il n’avait en silence pratiqué une technique pour se détruire lui-même, technique qui consiste à s’identifier au Cosmos fatal et fantasmé en renonçant à s’en évader ». Et restant fidèle à sa « logique » (je mets ce mot entre guillemets car je sais combien l’auteur la dénonce ), Bernard Chouraqui affirme que même le cri « A bas les Juifs ! » dans la bouche de Hitler n’aurait pu être lancé si Hitler n’avait été un phénomène collectif et cosmique d’enfermement, voix du Cosmos sépulcral. Pour comprendre Hitler, il faut se comprendre soi-même, c’est-à-dire se saisir « comme subjectivité souveraine et radieuse au-delà du Cosmos sépulcral », le nazisme « résultant de la croyance mortelle en la Différence, instaurée par l’apparition, due à la Goyité, du Cosmos sépulcral ». Et depuis Abraham, Israël a déclaré une guerre infinie aux fossoyeurs passés, présents et à venir, et en tout lieu.

Le Sépulcre, Pharaon despote divinisé sous l’emprise de la Goyité, Adolph Hitler le nihiliste combattant de la Goyité. De Pharaon à Hitler… « Pharaon triomphait avec le témoignage, en apparence irrécusable, de sa divinité que lui donnaient les pyramides ; Adolph Hitler ne disposant plus d’aucun sacré n’est plus en état d’édifier des pyramides et ne dispose plus d’aucun moyen d’établir dans l’histoire — comme Pharaon, avec une mystique — sa divinisation. Il déclenche ses fureurs avec les armées d’une Goyité frappée à mort par le virus désacralisant du nihilisme ». Et Bernard Chouraqui ajoute : « L’hypnose de la pyramide ne fonctionne plus ».

Et ce n’est pas fini. Pharaon ignorait qui était Moïse. Sa propre mystique lui offrait un monde lisse, sans la moindre fissure, un monde impeccable et fermé comme ses pyramides où chaque pierre était parfaitement jointée. Pharaon ne pouvait pressentir « sa propre judéité refoulée et accusatrice », contrairement à Adolph Hitler qui savait qu’il la portait en lui, d’où sa rage, ses frénésies mortifères, son obsession de possédé. Et Bernard Chouraqui agit comme un bélier contre les vantaux d’un portail cadenassé : le nihilisme a retiré à Adolph Hitler le pouvoir de se sacraliser ; avec lui disparaît le dernier Pharaon ; le « sacré se défait dans la pourriture du nihilisme ».

Rappelons que Bernard Chouraqui est un philosophe tout entier occupé à combattre le nihilisme. Et le fer de lance de ce combat est Israël, Israël dressé contre l’hitlérisme cosmique — ou Pharaon. Tout homme porte en lui une Judéité — sa Judéité —, le plus souvent inconsciemment ou avec la volonté de la refouler, et à l’occasion par les moyens les plus radicaux. Pharaon était un Goy inconscient de sa Judéité tandis qu’Adolph Hitler en avait une hyper-conscience qui le dévorait, et il se mit en tête d’être son propre exorciste. Cette volonté d’extraire de lui sa Judéité désignait explicitement le nihilisme. « Tous les hitlérismes (…) ne sont plus que dénégation devant leur propre Judéité et reconnaissance implicite de leur Judéité comme clef historique et cosmique de la réalité ». Au centre de la Goyité se trouve l’imprononçable Tétragramme. L’affrontement Moïse / Pharaon, Judéité / Goyité, victime / bourreau sont des infinis en regard desquels l’infiniment grand et l’infiniment petit de Pascal ne sont rien. C’est l’absence d’amour entre les êtres et cette séparation qui sont vertigineusement infinies, une absence et une séparation auxquelles remédiera l’entrée du Tétragramme dans l’Histoire.

Insistons. Dans une vue prophétique — réaliste donc —, les deux infinis sont représentés par le Bourreau et la Victime, deux infinis historiques, deux fatalités qui seraient irréconciliables sans « la subversion messianique des idolâtries déclenchée par Israël », Israël qui tend à les faire se rejoindre dans le seul infini véritable, Dieu, le Nom et son Mystère, soit l’évasion hors du Sépulcre.

Redisons-le, la pensée de Bernard Chouraqui procède par enveloppements, et j’en reviens à l’image du ressac. Il y a bien une liquidité de la pensée chez ce philosophe, un brassage perpétuel. Mais ces enveloppements et cette liquidité ne sont pas simple dispersion, simple dilution ; ils opèrent autour d’une géométrie dotée d’un centre, le Nom, l’au-delà de la Différence, le Tétragramme, « le foyer destructeur de toutes les horreurs provoquées par l’actuelle réalité meurtrière qui résulte de l’idolâtrie », le Nom en lequel se résorbent tous les noms (leur déterminisme qui ôte les hommes à eux-mêmes), qui efface la Différence et prépare l’harmonisation messianique.

De tous les ouvrages de philosophie que j’ai lus, aucun ne m’a brassé à ce point, probablement parce que Bernard Chouraqui ne cherche pas à élaborer un système, car c’est la grande affaire en philosophie, le système ! Les philosophes sont des fétichistes du système aussi sûrement que Trotsky était un fétichiste de la théorie. J’ai lu son gros ouvrage sur Staline et je suis sorti navré par cette lecture ; car le principal reproche que Trotsky adresse à son ennemi, Staline, c’est son incapacité à théoriser ; tandis que le principal mérite qu’il s’attribue est précisément sa capacité à théoriser, capacité qu’il juge être la marque suprême de sa supériorité intellectuelle sur Staline.

Mais je me suis égaré. Bernard Chouraqui procède plus comme un courant marin que comme un architecte occupé à couler du béton. Il se moque d’être l’auteur d’un système, le père d’une théorie, car il sait que le système et la théorie (dont l’étude ne doit pas pour autant être négligée) ne sont que des divertissements et des travestissements, des entreprises destinées à subjuguer et à soumettre — de l’idolâtrie. Parmi les philosophes promoteurs de l’idolâtrie, d’un système massif entre tous, celui qui a bien failli me faire périr entre ses griffes, un philosophe-vampire, une véritable goule, Arthur Schopenhauer. Je n’oublierai pas l’étouffement que m’a fait subir ce sagouin.

Bernard Chouraqui est un philosophe liquide, avec, au centre de cette liquidité, un foyer ardent nourri de la Torah et de la foi d’Israël. Le feu et l’eau, la flamme et la cascade…

Arnold Lagémi suit une même préoccupation dans un article intitulé « Jésus ou la véhémence du reniement ! », publié sur son blog, le 5 décembre 2016 :

http://www.arnoldlagemi.com/?p=10527

Ci-joint, un article de Noémie Grynberg dans lequel on peut notamment lire : « Aux yeux des rabbins, citant le Talmud, les comportements de ces descendants de nazis ne semblent pas surprenants : ‟Des descendants d’Aman, lui-même descendant d’Amalek, archétype du Mal absolu, se sont associés à Israël”. C’est donc un ‟phénomène connu” dans le judaïsme. Il est appelé réparation (tikoun en hébreu). Il vise au perfectionnement du monde. Dans ce cas, la conversion équivaut à une renaissance, au renoncement au déterminisme, à la prise de conscience de sa propre liberté de choix. La notion de culpabilité appartient davantage à la sphère du christianisme ». Ci-joint, l’intégralité de cet article :

http://www.noemiegrynberg.com/pages/histoire/les-descendants-juifs-de-hitler-himmler-goering-et-goebbels.html

(à suivre)

Olivier Ypsilantis

 

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