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Notes désordonnées prises en écoutant et en lisant Bernard Chouraqui – 4/4

 

Le Jésus des Évangiles pratique la charité juive. Le Jésus saint chrétien pratique la charité chrétienne. La première est une dynamique, la seconde est charité et n’est que charité.

Des brèves de comptoir, ici et là. J’imagine un livre de Bernard Chouraqui qui ne soit que brèves de comptoir, agrémentées de ses réflexions goguenardes et désabusées, tendres aussi. Au café, un homme se plaint de l’état du monde et de la nullité des politiques. Et Bernard Chouraqui de conclure : « Entre la grossesse nerveuse de la gauche et les quintuplés de la droite, le citoyen ne sait plus quoi penser. »

Ne pas « faire » mais « être », la condition même de l’action étant l’aveuglement sur la cage et sa roue que fait tourner l’ « homme d’action ».

Cette réflexion, comme tant d’autres réflexions de Bernard Chouraqui, pourrait être à l’origine d’un livre au volume conséquent : « L’antisémitisme : l’agression commise par des fous sur les infirmiers chargés de les guérir ». De fait, je l’ai déjà écrit ce livre, mentalement, avant de me coucher, dans le demi-sommeil, au réveil, sous la douche, en marchant dans la rue, en… Il me reste à le consigner, entre le stylographe et le papier, entre le clavier et l’écran. Réflexion sœur de cette première : « Les hommes : leur rejet des Juifs est le signe de la folie dont seuls les Juifs peuvent les guérir ».

Bernard Chouraqui compose ses livres à la manière d’un musicien, avec variations sur des thèmes (variations liquides, ondoyantes, enveloppantes…). J’écris ces articles comme malgré moi, pris à mon tour dans des variations à partir des siennes. Je poursuis le travail de tissage car les motifs qui ornent le tapis qu’il déroule proposent des variations infinies à partir de quelques figures simples, comme dans ces tapis iraniens ou ces céramiques iraniennes que sous-tend une géométrie kaléidoscopique. Bernard Chouraqui propose vagues tubulaires et courants aériens. Le lecteur se fait surfeur et oiseau marin. On retrouve aussi la structure de l’étoile de David dans ses écrits, avec la plus dynamique et la plus volontaire des figures géométriques : le triangle. Ses écrits offrent aussi de nombreux entrelacs.

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Ce livre est ainsi présenté aux Éditions de La Différence : « On parle beaucoup de la « judéité ». Qu’est-elle au juste ? L’intuition d’indestructibilité qui habite tout homme dont le peuple juif est la métaphore historique ? Y aurait-il une « judéité sauvage », caractéristique de tous ceux, pas nécessairement juifs, qu’obsèdent l’Indestructible ? Selon Bernard Chouraqui, la Judéité sauvage est l’impressionnant florilège d’écrivains, de poètes et de penseurs qui ont brusquement rencontré au plus profond d’eux-mêmes leur judéité et fixé en filigrane sa signification sauvage. Aucun des écrivains choisis n’est juif au sens strict du terme, pour indiquer que bien qu’historiquement la Judéité s’incarne dans un peuple, elle est l’aventure de l’universel. Textes de Sartre, Cioran, Dürrenmatt, Klíma… »  

 

Un conseil fondamental dont personne ne devrait faire l’économie : « Remplacer ‟Qui suis-je ?” par ‟Où suis-je ?” : tant que nous chercherons qui nous sommes au lieu de chercher où nous sommes, nous nous maintiendrons dans l’état de disparus ». Invitation à passer de ‟l’homme” à l’édénien, formulée d’une manière particulièrement aiguë. Définir ce que Bernard Chouraqui entend par le lieu, élément essentiel de son lexique. Une clé parmi tant d’autres qui peut aider à s’en approcher : « On ne connaît quelqu’un que lorsqu’on connaît le lieu (ou le non-lieu) qu’il occupe. »

Bernard Chouraqui et ses parents, sa mère surtout. Bernard Chouraqui et les femmes. Autres livres à écrire. Ce qu’il dit des filles, avec la mère qui toujours se tient derrière elles. « La femme : une édénienne que sa mère recouvre et dissimule ». Plus haut, il écrit : « Même Marilyn Monroe n’est pas Marilyn mais sa mère ; nous ne connaîtrons Marilyn que lorsqu’elle se sera débarrassée de sa mère ». Je comprends mais probablement partiellement ces réflexions et je l’interrogerai à ce sujet, sachant qu’il ne s’embourbera pas (et moi avec lui) dans des interprétations prêt-à-porter, psychanalytiques et j’en passe…

Humour (juif) : « Chacun meurt le jour de sa naissance et met une vie à s’en remettre », cet humour qui ouvre grand les portes de la réflexion, les portes à la réflexion.

Au cours de notre entrevue, il m’a évoqué Cioran. Je l’interrogerai. Cette remarque : «  Les idées que je développe dans mes écrits correspondaient aux intuitions qui habitaient Cioran, qu’il ne parvenait pas à rejoindre. Il m’approuvait, tout en regrettant de ne pas pouvoir me suivre jusqu’au bout » et, un peu plus loin, la clé que je soupçonnais : « Contrairement à ceux de Cioran, mes aphorismes ne sont pas des aphorismes de l’amertume mais de l’allégresse ». Hier, au réveil, j’ai pensé que Bernard Chouraqui et Cioran pourraient être envisagés comme les deux faces d’une même pièce, d’une même planète. Je ne sais ce que vaut cette impression (car il s’agit plus d’une impression que d’une pensée) mais elle m’est passée par la tête — et je crois même qu’elle s’y attarde…

Chapitre 98 de « L’Implosion du monde », une entrevue Marc Cohen – Bernard Chouraqui. Marc Cohen termine ainsi sa première question : « Vous publiez aujourd’hui ‟L’Implosion du monde”, ouvrage dans lequel vous reprenez le thème du conflit entre Homme et Juif, titre de votre précédent ouvrage : pouvez-vous préciser ce que vous entendez par ce conflit ? » Mais lisez ce qui suit ! Et lisez au moins quelques-uns de ses livres. On éprouve à ces lectures une ivresse mais nullement passagère, et c’est bien le plus important.

Le conflit entre l’Homme et le Juif (qui a commencé avec l’apparition du premier Juif) cessera lorsque l’Homme se sera fait édénien, par désensorcellement. L’extraordinaire importance que Hitler accordait au peuple juif ne vient pas de nulle part. Hitler a pressenti la révélation dont ce « mystérieux petit peuple » est porteur, d’où son acharnement. Le peuple juif n’est pas seulement un peuple, il est une énergétique (autre concept fondamental du lexique de Bernard Chouraqui) qui s’adresse à tous les hommes et non seulement aux Juifs. Le peuple juif provoque l’implosion des idoles (idoles = ensorcellement), au sens le plus large du mot.

L’énigmatique retour en Terre Promise : beaucoup plus un événement métaphysique que politique. Ce retour provoquera une synergie de la vie retrouvée. La Révélation hébraïque ou l’universel humain radical, révélation sans laquelle les hommes sont des poissons hors de l’eau. Et je rapporte sa réponse sur laquelle se termine — s’ouvre — l’entrevue avec Marc Cohen tant la pensée (et je pourrais dire l’audace) de Bernard Chouraqui s’y concentre. Je me permets de préciser que je la rapporte aussi parce que je la porte en moi, sur une mode intuitif, et depuis bien des années : « Le retour des Juifs en Terre Promise n’a d’autre sens que de provoquer une telle propagation, qui déclenchera, sur toute la terre, une synergie de la vie retrouvée. Ce qui exige que se connectant sur Israël, tous ceux, qui, dans les nations, conscients du non-lieu qu’est le monde, cherchent à s’en extraire. Pour entendre ce que signifie le retour des Juifs en Terre Promise et la Possibilité proprement inouïe qu’offre ce retour, non seulement aux Juifs, mais à l’ensemble des hommes, nous devons faire preuve d’une audace folle : nous devons aller plus loin que les modernes et provoquer non une ‟transmutation des valeurs” mais une transmutation de lieu ; nous devons nous évader du non-lieu de l’Histoire dans lequel la Shoah et toutes les horreurs de l’Histoire ont été commises et basculer dans l’éden, présent au secret de nous-mêmes et au secret de l’Histoire dans lequel Shoah et horreurs de l’Histoire n’ont pas été commises ! Nous devons opposer aux crimes de l’Histoire non le Jugement, qui fixe les irréversibles et entérine les crimes de l’Histoire, mais la Possibilité inouïe (l’éden), à l’intérieur de laquelle tous les hommes sont Un et à l’intérieur de laquelle les crimes commis cessent d’avoir été commis. Provoquer la transmutation du non-lieu qu’est l’Histoire en le lieu-sans-mort (l’éden), c’est cela être Juif ». Ce passage pourrait constituer la profession de foi de Bernard Chouraqui, profession où apparaissent des termes vitaux de sa pensée — de sa foi — comme le lieu-sans-mort, l’éden (la Possibilité inouï), l’Histoire (ce non-lieu) opposée à l’éden, etc.

Je pourrais ajouter des articles et des articles à ces six articles, toujours porté par l’enthousiasme et la joie. Mais avant de reprendre la plume et le clavier et présenter d’autres livres de ce philosophe, j’invite ceux qui veulent pousser la porte à lire au moins un de ses livres, un peu au hasard, car chacun d’entre eux contient tous les autres. Bernard Chouraqui, une cascade d’eau pure venue des sommets. Je ne puis que lui exprimer ma gratitude.

 

Olivier Ypsilantis

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